Elections .
La dislocation, à la veille des législatives, des deux
principales coalitions, a transformé du jour au lendemain
l’échiquier politique. Toutes les alliances sont désormais
possibles en vue des élections du futur Parlement.
Décryptage.
Les alliances explosent
Après
la chute du président Hosni Moubarak en février dernier et
l’annonce par le Conseil militaire de la tenue d’élections
législatives « dans les quelques mois à venir », les forces
politiques ont commencé à s’organiser en partis et
coalitions, afin de remporter le plus de voix possibles. Le
match a débuté en juin dernier avec l’annonce de la création
de la Coalition démocratique pour l’Egypte, sous la houlette
du parti Liberté et justice, issu de la confrérie des Frères
musulmans et du néo-Wafd. La coalition a réussi à attirer
plus d’une quarantaine de formations de divers poids et
influences, dont notamment Al-Ghad, Al-Karama et le parti
Nassérien. L’objectif affiché de cette coalition était de
former une unique liste électorale « nationale » englobant
tous les courants politiques, à l’exclusion des forces
proches de l’ancien régime.
Etant donné le caractère irréaliste de cet objectif, vu les
grandes différences politiques et idéologiques qui
distinguent les partis égyptiens les uns des autres, un
autre groupe a décidé de former une nouvelle coalition,
appelée cette fois le « Bloc égyptien ». Cette dernière a vu
le jour au mois d’août, grâce notamment à la campagne menée
par le Parti égyptien sociodémocrate (centre-gauche),
lui-même une jeune formation. Le Bloc égyptien regroupait un
vaste éventail de partis politiques, de l’extrême droite
(comme le Parti des Egyptiens libres fondé par le magnat
Naguib Sawirès) à l’extrême gauche (comme le Parti
communiste égyptien et la Coalition populaire socialiste,
nouvellement formée), en passant par des partis comme « la
Libération », proche des soufis, le Front démocratique
(libéral), l’Egypte la liberté (fondée par Amr Hamzawi),
ainsi que plusieurs mouvements syndicaux ...
Aujourd’hui, le tableau a été passablement modifié. Les
fondements de ces deux grandes coalitions qui dominaient
l’échiquier politique se trouvent ébranlés. La Coalition
démocratique a été abandonnée par le néo-Wafd, les partis
salafistes et le parti Nassérien, entre autres. En termes de
forces influentes, il ne reste pratiquement que le parti des
Frères musulmans, suivi de très loin par le parti de
tendance nassérienne Al-Karama. Il en a été de même avec le
Bloc égyptien qui ne garde plus en son sein que trois
partis, à savoir l’Egyptien sociodémocrate, les Egyptiens
libres et le parti Al-Tagammoe. Les sécessions ont commencé
avec la défection il y a près de deux semaines de la
Coaltion populaire socialiste et du parti soufi de la
Libération, pour finir avec celle du Front démocratique il y
a quelques jours.
La scène politique égyptienne présente une tendance à
l’effritement qui a sapé les efforts des coalitions qui ont
émergé ces derniers mois. Quelles en sont les raisons ? Tout
d’abord, la loi électorale adoptée récemment n’a fixé qu’un
seuil très bas de voix que doit collecter un parti ou une
liste pour être représenté au Parlement. Ce taux représente
1/2 % de l’ensemble des voix au niveau de la République,
alors que les analystes s’attendaient à un seuil de 2 % ou
plus. Cependant, les diverses forces politiques n’ont pas
attendu cette décision et ont créé des coalitions avec
l’idée qu’il s’agissait du seul moyen pour les jeunes
formations d’atteindre le Parlement. Mais quand il s’est
avéré que le seuil requis était insignifiant, il est devenu
envisageable pour ces formations de se présenter séparément.
La deuxième raison de cet effritement s’explique par la «
jeunesse » des partis politiques égyptiens ainsi que par le
peu de temps disponible pour former de vraies coalitions
électorales. Pour réussir et se maintenir, celles-ci ont
besoin d’avoir une connaissance raisonnable du poids
politique dans la rue des différentes forces qui les
constituent. En l’absence de sondage crédible, cette
connaissance fait défaut : le processus du partage des
quotas et de l’organisation des listes est donc devenu très
compliqué. Personne au sein de ces coalitions ne pouvait
avancer des critères crédibles permettant à tel parti de
s’approprier une telle part sur la liste commune. Bien sûr
les coalitions se sont employées à faire adopter des
critères objectifs, mais leur application est restée lettre
morte. La mesure de la popularité s’est avérée un exercice
d’autant moins facile que la durée entre la déclaration de
la loi électorale et la présentation des listes n’a pas
dépassé deux mois, alors que celle entre la délimitation des
circonscriptions et la présentation des listes a tout juste
duré un mois.
Les frontières claires disparaissent
De nombreux partis ont déserté la Coalition démocratique
accusant le parti Liberté et justice des Frères de
monopoliser les listes en adoptant des critères de choix qui
privilégient ses candidats. Etait jugée notamment
l’expérience parlementaire préalable, ce qui avantageait les
Frères qui ont acquis une importante expérience électorale
dans les années Moubarak. Le même phénomène s’est produit au
sein du Bloc égyptien. Beaucoup de partis l’ont déserté en
accusant les partis Egyptien sociodémocrate et des Egyptiens
libres de monopoliser les listes. A cela s’ajoutent les
accusations formulées à l’intention de certains partis du
Bloc d’inclure des anciens de l’ex-Parti National Démocrate
(PND) sur leurs listes. La Coalition populaire socialiste a
ainsi lancé une telle accusation à l’encontre des Egyptiens
libres.
De fait, à la veille des élections, la carte électorale se
retrouve aussi atomisée que compliquée. La frontière entre
les deux principales coalitions qui se préparaient à
partager le Parlement, les Frères, le néo-Wafd et les
salafistes d’un côté et les libéraux, la gauche et les
soufis de l’autre, n’existe plus. Par ailleurs, des
coalitions de dernière minute ont fait surface, comme celle
des salafistes et de la Gamaa, qui a pris les armes contre
le régime de Moubarak dans les années 1990. Une autre
coalition intitulée « La révolution continue » regroupe
depuis peu la Coalition populaire socialiste, la Coalition
des jeunes de la révolution et le parti Nassérien. Mais la
malédiction a frappé cette dernière coalition désertée il y
a quelques jours par les jeunes de la révolution qui se sont
retrouvés marginalisés par la Coalition socialiste.
A part ces coalitions limitées, beaucoup de partis ont
choisi de se présenter indépendamment aux élections. C’est
notamment le cas des partis du néo-Wafd, du Wassat et de la
Liberté et la justice. Ceci réduira naturellement les
chances de ces partis, un désavantage contrebalancé par un
gain de solidité interne, étant donné que ces partis
n’auront plus à sacrifier certains de leurs candidats sur
l’autel des compromis avec d’autres formations. Dans la même
logique, chacun de ces partis aura gagné la liberté
d’exprimer son identité particulière durant la campagne.
Finalement, la dislocation des grandes coalitions
représentera une lourde charge pour les électeurs qui
devront choisir entre une vingtaine de listes, dont la
plupart appartiennent à des formations très nouvelles et
très peu différentes les unes des autres. Dans un chaos
pareil, il semble attendu que les prochaines élections
législatives soient porteuses de nombreuses surprises.
Samer
Soliman