Epoque Ottomane .
Cette période emblématique de l’histoire de l’Egypte,
souvent assez mal connue, est revenue sur la scène,
notamment avec la publicité faite lors de la visite d’Erdogan.
Même si les tensions sont nombreuses, les Ottomans marquent
de leur empreinte la ville du Caire et la culture égyptienne
en général.
L’Egypte ottomane appréciée
C’est
en 1517, profitant de l’affaiblissement de l’économie
égyptienne et des dissensions entre les Mamelouks, que les
Ottomans, dirigés par Sélim Ier,
font la conquête de l’Egypte. A l’époque, le pays est devenu
une pièce maîtresse dans l’économie et la politique de
l’Empire ottoman. Loin de la fermer sur elle-même, les
Ottomans permirent à l’Egypte de s’ouvrir sur l’extérieur,
notamment par le fait de renforcer ses liens avec les pays
européens. C’est alors que s’ouvrait une période importante
de l’histoire égyptienne.
Toutefois, la période de la domination ottomane, entre les
XVIe et XIXe siècles, est généralement considérée par de
nombreux historiens, tant arabes qu’occidentaux, comme une
période de décadence. å On admet
en général que la domination ottomane sur l’Egypte fut pour
elle une période de profond déclin, que jamais, dans son
histoire millénaire, elle ne fut aussi misérable ì Mais il
ne faut pas noircir exagérément sa situation. Les Ottomans
ne se désintéressent pas de l’Egypte. Ils entretiennent avec
elle des relations étroites ò, estime Jean-Paul Roux,
directeur de recherche honoraire au CNRS et ancien
professeur titulaire de la section d’art islamique à l’Ecole
du Louvre.
Une période peu léthargique
Pendant
presque trois siècles, il n’y a guère du moins de grands
événements historiques. Certes, les Ottomans se méfient des
tentations autonomistes de l’Egypte. Durant cette période
emblématique, l’Egypte était gouvernée au nom du sultan
ottoman par un pacha, ou wali, nommé directement par le
souverain pour un mandat en général de courte durée. Le
pacha occupait dans la hiérarchie ottomane le rang de vizir.
Mais, il n’a pas autorité sur l’armée, et pour éviter qu’il
ne se constitue une influence personnelle par clientélisme,
il est très fréquemment remplacé. On compte 110 pachas entre
1571 et 1798. Et durant toute la période ottomane en Egypte,
136 pachas sont nommés par 21 sultans ottomans. Les quelques
velléités de révolte et d’indépendance durant cette période
sont rapidement réprimées par Constantinople.
Le pacha devait, entre autres, assurer la sécurité et
l’organisation de la caravane de l’Afrique du Nord pour le
pèlerinage vers La Mecque, tout en étant chargé du
ravitaillement du Hedjaz où se trouvent les villes saintes
dont le sultan ottoman est désormais le gardien, comme
l’étaient jadis les sultans égyptiens. Il est assisté dans
son administration par de hauts fonctionnaires, eux aussi
nommés par la Sublime Porte. Le contrôle militaire du pays
est assuré, quant à lui, par les Odjak, troupes
d’infanterie, comme les janissaires, ou de cavalerie, qui
résident en permanence en Egypte.
La plupart de ces soldats sont des Anatoliens ou originaires
des Balkans.
L’Egypte jouait alors un rôle effacé dans l’histoire de la
région, même si sa prospérité économique ne se dément pas,
ce dont témoignent l’architecture
comme les livres de comptes des marchands locaux. Cependant,
l’anarchie dans laquelle sombre l’Egypte dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle, avec la prise du pouvoir par Ali
bey, conduit le pays au bord de l’asphyxie.
Lorsque apparaît la flotte de
Bonaparte, le 1er juillet 1798, la surprise est totale et le
dernier pacha ottoman a juste le temps de quitter le pays.
La présence française en Egypte permet avant tout de
consommer la rupture avec Istanbul, même si, nominalement,
l’Egypte reste province ottomane jusqu’en 1914. L’occupation
française était néanmoins bien trop brève. å En effet, en
dépit de la brièveté de la présence française entre 1798 et
1801, on considère que celle-ci marque un tournant dans
l’histoire de l’Egypte qui sera de plus en plus sous
l’influence occidentale ò, estime Layla Saleh, archéologue.
En 1805, Mohamad Ali pacha se présente d’abord en fidèle
serviteur du sultan. Puis, dès 1819, il entreprend de forger
une arme de conquête, officiellement destinée à restaurer
l’autorité du sultan en Grèce et en Syrie, mais à l’évidence
destinée à conquérir l’ensemble de l’Empire ottoman. Les
successeurs de Mohamad Ali s’ouvraient plutôt sur l’Europe.
Une architecture imposante
En dépit de l’affaiblissement du rayonnement culturel de
l’Egypte, l’époque ottomane a laissé une empreinte durable
sur la vie quotidienne des Egyptiens — de nombreuses
recettes de cuisine, entre autres la façon de préparer le
café ou quelques genres de fromage. Plus remarquable, il
convient de signaler l’influence de l’architecture ottomane
dans ce pays, qui se manifeste par l’édification de
plusieurs centaines de monuments, au Caire notamment. Les
Ottomans ne cessèrent d’y construire. L’époque ottomane a
doté l’Egypte de majestueux monuments. Le Caire conserve
aujourd’hui quelque 200 monuments datant de l’époque.
Certains de ces monuments sont considérés parmi les plus
beaux et les plus imposants au monde, bien qu’ils ne
puissent pas soutenir la comparaison avec ceux des époques
fatimide, ayyoubide et mamelouke. D’un point de vue
architectural, les mosquées ottomanes s’inspirent largement
des canons ottomans. Elles reprennent le plan des grandes
mosquées impériales telles que la Mosquée bleue d’Istanbul,
dont elles s’inspirent largement.
En effet, les Ottomans ont introduit une nouvelle
architecture des mosquées. L’architecture ottomane a
développé le thème de la mosquée à dôme central et à
soubassement rectangulaire dans toutes ses variantes avec
les minarets en forme d’aiguille. Ce type de mosquée
existait déjà dans les sultanats turcs d’Anatolie.
å De grands dômes centraux sont
ajoutés, avec des minarets multiples et des façades
ouvertes. Les architectes ottomans ont raffiné la conception
des colonnes, les plafonds sont devenus plus hauts, tout en
incorporant les éléments traditionnels, tels que le mihrab
ò, explique Layla Saleh. Parmi les plus beaux monuments de
l’Egypte ottomane, quelques mosquées sont particulièrement
remarquables. On cite souvent trois mosquées : celle de
Soliman pacha édifiée en 1528, celle de Malika
Safiya en 1610 et celle du
superbe ensemble architectural de Mohamad bey
Aboul-Dahab
en 1771. Il est à noter que la mosquée Soliman pacha, située
à l’extrémité du quartier nord de la Citadelle du Caire, est
la première mosquée de style ottoman établie en Egypte
(1528).
On trouve jusqu’à nos jours en Egypte d’autres monuments qui
témoignent du modèle ottoman. Les sabil-kuttabs,
qui réunissent en un seul édifice l’école coranique et la
fontaine publique, caractérisent cette période. Ils sont
souvent très jolis. L’un touche au chef-d’_uvre,
celui de Abdel-Rahman Katkhoda
(1744), situé dans le secteur si riche en bâtiments anciens,
la rue Al-Moez Li Dine Allah, et
ne le dépare pas. Quant aux maisons et palais ottomans, ils
forment un ensemble sans doute unique d’habitations
patriciennes des XVIIe et XVIIIe siècles. L’apport sans
doute le plus intéressant relève de la décoration qui fait
usage de la céramique de revêtement, importée d’Iznik et de
Damas ou fabriquée sur place.
On en voit de magnifiques ensembles au
sabil-kuttab
de Abdel-Rahman, déjà cité, ou à
la mosquée d’Al-Shungkur (1346),
entièrement restaurée en 1661, nommée å Mosquée bleue ò
précisément à cause de ses carreaux de faïence bleue.
Beaucoup de ce que nous voyons de la Citadelle du Caire date
aussi de cette période. Mohamad Ali pacha, un des grands
constructeurs de l’Egypte moderne, au pouvoir en 1805, est
le responsable du changement considérable de la Citadelle.
Il reconstruit une grande partie des murs externes et
remplace plusieurs des bâtiments intérieurs délabrés,
faisant du quartier nord son domaine privé, alors que le
quartier sud était ouvert au public. La mosquée de Mohamad
Ali, construite dans le style dit ottoman baroque qui imite
les grandes mosquées d’Istanbul, domine aujourd’hui le
quartier sud. Au sud de la mosquée, il y a le palais
Gawharah (palais de bijoux). Il
a été construit entre 1811 et 1814 au-dessus de
l’emplacement du palais rayé vis-à-vis de la mosquée de
Mohamad Al-Nasser et a logé le gouvernement égyptien jusqu’à
ce qu’il ait été déplacé au palais de
Abdine. C’est aujourd’hui le Musée national de la
police. La frise des six lions se trouvant sur la base du
mur du Musée de la police semble être d’époque mamelouke,
Mohamad Ali en ayant fait les symboles de sa puissance et de
son courage, à l’exemple des pharaons de l’Egypte ancienne.
Dans le quartier nord de la Citadelle se trouve le palais du
harem de Mohamad Ali qui a été construit sur le même modèle
ottoman du palais de bijoux.
Le quartier sud de la Citadelle est connu sous le nom d’Al-Azab
(célibataire) parce que les soldats ottomans, auxquels on
n’avait pas permis de venir avec leurs femmes, y ont été
stationnés. Les Ottomans ont reconstruit le mur qui sépare
les quartiers nord et sud. Ils ont également construit la
plus grande tour de la Citadelle d’aujourd’hui, Al-Moqattam,
qui s’élève au-dessus de l’entrée de la Citadelle par la
route de Salah Salem. Cette tour fait 25 mètres et a un
diamètre de 24 mètres. En 1754, les Ottomans ajoutèrent une
porte fortifiée appelée la porte Al-Azab.
A la moitié du XVIIe siècle, la Citadelle était devenue une
zone résidentielle avec des magasins privés, des bains
publics et un labyrinthe de petites rues.
Cet aperçu rapide de l’Egypte à l’époque ottomane permet, en
fait, d’expliquer pourquoi l’Egypte actuelle a tant de mal à
appréhender la période ottomane de son histoire et les
ressentiments durables envers la culture ottomane qui sont
encore sensibles. De même, il éclaire également les origines
de certaines tensions entre différents groupes sociaux ou
culturels de l’Egypte contemporaine .
Amira
Samir