Astronome égyptien, Essam Heggy
est membre de la NASA depuis 2004. Ses journées,
dédiées à la détection des signes de vie sur d’autres
planètes, sont aussi marquées au cœur par une Egypte, toute
proche mais si lointaine, qui cherche son futur.
Des étoiles pour beaucoup d’espoir
Plonger dans le monde d’un brillant astronome n’est pas une
mission facile, tant il est peuplé de planètes, d’étoiles et
d’inconnu. Mais avec Essam Heggy, les choses sont
différentes. Humidité, chaleur et discussions sur les
différents sujets de la vie en Egypte, malgré l’éloignement,
rendent les choses plus simples.
Heggy est né en Libye et a passé quelques années d’enfance
en Tunisie, son père étant un fonctionnaire à la Ligue
arabe. Peintre et caricaturiste nassérien, ce dernier a dû
quitter l’Egypte, en signe de protestation contre les
accords de Camp David, pour devenir alors directeur des
affaires artistiques auprès de la Ligue. Les multiples
séjours à l’étranger n’ont guère détaché Heggy junior de son
pays natal. Expert de l’espace, il a quand même les pieds
sur terre et les yeux rivés vers l’Egypte. D’ailleurs, il se
donne à de longues analyses, disséquant ses maux sociaux. Et
ce n’est surtout pas le genre à dénigrer ses origines, lui
qui est naturalisé français et américain à la fois. Avec
enthousiasme, il exprime sa fierté d’appartenir à un peuple
qui s’est soulevé contre la corruption et l’injustice en
janvier dernier. Au lieu d’être perçu en tant
qu’Arabe-terroriste, il a changé la face du monde. « Une
image négative que les ex-régimes arabes tenaient à importer
pour garantir leur stabilité », explique Essam Heggy qui n’a
pas voulu rater les premiers jours de la révolution. « Je
sentais que les Egyptiens changeaient de boussole, penchant
vers la liberté et la démocratie. Des jeunes des classes
moyennes et aisées ont mené cette vague de changement, non
pas par défaut d’argent ou de travail, mais pour aspirer à
la dignité. La chute du régime Moubarak est due en partie à
la science et la technologie qu’il a tant déconsidérées. Les
prémices de la révolution se sont déclenchées sur Facebook
et Twitter », dit le jeune savant. Face à la campagne de
diffamation ciblant récemment les révolutionnaires, Heggy a
mis les noms de 25 jeunes martyrs de la révolution sur un
astronef de la NASA, en mission vers Mars. « Je voulais
éterniser leurs noms et les honorer, même si c’est sur une
autre planète. Je voulais dire au monde entier que nous
sommes fiers d’eux, beaucoup plus que nos stars de foot ».
Huit mois après la révolution, Heggy revient en Egypte et
semble un peu déçu, voire chagriné. « Nous avons rêvé
d’instaurer un Etat de droit, et en ce moment, plusieurs
voix réclament le retour à un Etat des intérêts. Et même si
les jeunes ont commencé la révolution, les postes-clés et la
direction du pays sont toujours entre les mains des plus
âgés. Il semble que nous avons changé un régime mais pas une
stratégie ou une manière de voir. Cela me fait de la peine.
Nous sommes même allés jusqu’à accuser les jeunes
révolutionnaires de trahison ».
Heggy s’interroge : comment un pays qui est censé s’ouvrir
au monde et reçoit 1,5 milliard de dollars d’aide américaine
par an, accuse-t-il ses citoyens de trahison ?
Ce jeune passionné d’astronomie parle sur le ton d’un
politicien chevronné, bien qu’il n’ait jamais fait de
politique. Normal pour le fils d’un homme de culture qui a
mis à la disposition de ses enfants, depuis leur âge tendre,
une bibliothèque bien garnie.
L’astronome critique le manque de transparence entre le
gouvernement et le peuple, dans l’actuelle période
transitoire. « Il faut expliquer aux citoyens sincèrement ce
qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas. Les gens sont
prêts à présenter des sacrifices à condition de voir leur
pays progresser », dit Heggy qui tient à passer quelques
jours en Egypte, parmi les gens dans la rue, contemplant
leurs visages et se rapprochant de leurs idées. « Je sens
que les jeunes ont commencé à perdre espoir puisqu’ils n’ont
pas de vision claire de l’avenir. Je crains une autre
révolution, cette fois-ci plus violente ».
Le savant qui a été en mesure, très jeune, d’obtenir le
premier doctorat égyptien dans le domaine de la découverte
des sciences des planètes à Paris, devenant ensuite membre
de la NASA et responsable de plusieurs missions spatiales,
ne perd jamais espoir. Il pense que le chemin vers la
réussite comporte plusieurs étapes et qu’il faut avoir le
courage de tenter sa chance, sans attendre le temps
opportun. C’est en fait sa philosophie de vie : « Je n’ai
jamais rêvé d’être membre de la NASA. Tout ce que je pensais
faire, c’était étudier ce que j’aime. Et après avoir reçu le
baccalauréat au lycée Bab Al-Louq, j’étais en proie à un
combat intérieur : étudier l’astronomie ou m’inscrire à la
faculté de médecine et suivre donc un cursus plus
conventionnel. Ensuite, j’ai décidé de prendre le risque et
faire des études en astronomie à la faculté des sciences de
l’Université du Caire. Ses programmes et méthodes
traditionnels ont quand même enrichi mes connaissances ».
La chance a joué un rôle central dans la vie de Heggy,
depuis qu’il a décroché brillamment son diplôme
universitaire et a été retenu pour intégrer le corps
enseignant. Un ami lui a conseillé de se rendre au Centre
culturel français, en quête d’une bourse d’étude à
l’étranger. Un premier pas vers la gloire. Admis à
l’Université de Paris VI, le succès se poursuivra.
D’ailleurs, plusieurs Egyptiens séjournant à Paris lui
porteront aide pour obtenir son master et ensuite doctorat.
« Je devrais continuer avec les moyens du bord, sans compter
sur mes parents », dit Essam Heggy, devenu membre du Centre
des recherches spatiales à Paris et professeur à
l’Université de Paris VI.
Le vrai tournant fut sa sélection comme membre de l’agence
américaine NASA. Aujourd’hui, il passe seize heures de
travail quotidien dans le domaine des découvertes et des
voyages spatiaux, afin d’en savoir plus sur les signes de
vie sur Mars. Le savant s’intéresse aussi à rechercher les
eaux souterraines sur d’autres planètes et en profiter pour
mieux cerner les raisons du changement climatique. « On met
le progrès de la technologie spatiale au service de la
planète Terre. A titre d’exemple, le projet de la NASA
portant sur les eaux souterraines dans les déserts
s’étendant de l’Iraq jusqu’au Maghreb servira énormément
quant au développement de ces pays », explique Heggy à
l’aide de mots simples, visant à mettre en lumière une
spécialité qui semble compliquée et ambiguë aux yeux de
beaucoup. D’ailleurs, parfois, certains le prennent
simplement pour un voyant ou un astrologue.
Heggy n’a pas oublié ses années d’étude en Egypte et pense
toujours que les premiers pas vers le développement relèvent
de la réforme de l’enseignement. Il assure même que c’est «
honteux » d’avoir des écoles et universités gouvernementales
dans un tel état. Lamentable, pour le moins qu’on puisse
dire. Et propose plusieurs recettes pour sortir de
l’ornière, avec en tête de liste l’amélioration du niveau
des enseignants (du point de vue professionnalisme, revenu
et comportement). Il se demande d’ailleurs pourquoi aucun
des ministres en poste ne met ses enfants dans des
établissements de l’enseignement public.
Heggy invoque un film du comédien égyptien Mohamad Héneidi,
où le ministre de l’Enseignement voulant punir son enfant
l’envoie dans une école gouvernementale. Le savant pense
aussi qu’il faut augmenter le budget de l’enseignement pour
atteindre 10 % du revenu national. « Pas question d’établir
un Etat civil contemporain, avec un peuple navré, malade et
ignorant », dit-il. Mais ce qui le gêne le plus, c’est
l’état déplorable dans lequel se trouve la recherche
scientifique en Egypte. « Un pays sans recherche
scientifique signifie un pays sans idées, sans inventions ni
industries. La science n’a pas de valeur, chez nous, car
elle n’a plus de rôle. Elle a été plutôt substituée par la
débrouillardise et les pistons. La recherche scientifique
dérange d’habitude les gouvernements corrompus, parce qu’un
peuple conscient et cultivé ne laisse pas passer autant
d’écarts ».
Le bien-être du citoyen ne s’effectuera, selon Heggy, sans
l’opération d’un vrai changement social. « Notre société est
enfermée dans une cage de traditions : beaucoup d’entre
elles sont à réviser. La relation homme-femme est parmi nos
maux principaux. C’est une relation faussée qui empoisonne
la vie des jeunes gens, à un âge où ils doivent être calmes
et concentrés pour créer ».
Conscient de l’importance des femmes et de leur rôle en
société, il pense qu’elles doivent se libérer du joug de
l’oppression. « C’est une liberté prescrite par des textes
mais qui n’est guère appliquée sur le terrain ».
L’équation homme-femme touche de près à la vie de Heggy,
notamment à travers un autre domaine de prédilection : la
peinture. Car le savant passe des heures à travailler ses
toiles et à escalader les montagnes. Sa vie privée n’est
cependant pas à la hauteur de ses rêves. Il refuse d’en
parler et préfère dire simplement que « ça ne va pas très
bien ». Sensible et sociable, son père se contente de le
décrire comme un enfant bizarrement charmant ; il tient à
faire toujours des nouvelles connaissances et nouait des
rapports d’amitié avec les vendeurs de jasmin en Tunisie.
Aujourd’hui, l’immigration pèse sur Heggy junior. Il rêve du
jour où il retournera vers les siens, à condition de
participer à un projet de développement local. « Le
sentiment du dépaysement n’est pas facile, même si la
personne multiplie les accomplissements. Rien ne vaut les
sentiments chaleureux partagés dans la rue avec ses
compatriotes ».
Doaa
Khalifa