Al-Ahram Hebdo, Visages | Des étoiles pour beaucoup d’espoir

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 Semaine du 19 au 25 octobre 2011, numéro 893

 

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Visages

Astronome égyptien, Essam Heggy est membre de la NASA depuis 2004. Ses journées, dédiées à la détection des signes de vie sur d’autres planètes, sont aussi marquées au cœur par une Egypte, toute proche mais si lointaine, qui cherche son futur.

Des étoiles pour beaucoup d’espoir

Plonger dans le monde d’un brillant astronome n’est pas une mission facile, tant il est peuplé de planètes, d’étoiles et d’inconnu. Mais avec Essam Heggy, les choses sont différentes. Humidité, chaleur et discussions sur les différents sujets de la vie en Egypte, malgré l’éloignement, rendent les choses plus simples.

Heggy est né en Libye et a passé quelques années d’enfance en Tunisie, son père étant un fonctionnaire à la Ligue arabe. Peintre et caricaturiste nassérien, ce dernier a dû quitter l’Egypte, en signe de protestation contre les accords de Camp David, pour devenir alors directeur des affaires artistiques auprès de la Ligue. Les multiples séjours à l’étranger n’ont guère détaché Heggy junior de son pays natal. Expert de l’espace, il a quand même les pieds sur terre et les yeux rivés vers l’Egypte. D’ailleurs, il se donne à de longues analyses, disséquant ses maux sociaux. Et ce n’est surtout pas le genre à dénigrer ses origines, lui qui est naturalisé français et américain à la fois. Avec enthousiasme, il exprime sa fierté d’appartenir à un peuple qui s’est soulevé contre la corruption et l’injustice en janvier dernier. Au lieu d’être perçu en tant qu’Arabe-terroriste, il a changé la face du monde. « Une image négative que les ex-régimes arabes tenaient à importer pour garantir leur stabilité », explique Essam Heggy qui n’a pas voulu rater les premiers jours de la révolution. « Je sentais que les Egyptiens changeaient de boussole, penchant vers la liberté et la démocratie. Des jeunes des classes moyennes et aisées ont mené cette vague de changement, non pas par défaut d’argent ou de travail, mais pour aspirer à la dignité. La chute du régime Moubarak est due en partie à la science et la technologie qu’il a tant déconsidérées. Les prémices de la révolution se sont déclenchées sur Facebook et Twitter », dit le jeune savant. Face à la campagne de diffamation ciblant récemment les révolutionnaires, Heggy a mis les noms de 25 jeunes martyrs de la révolution sur un astronef de la NASA, en mission vers Mars. « Je voulais éterniser leurs noms et les honorer, même si c’est sur une autre planète. Je voulais dire au monde entier que nous sommes fiers d’eux, beaucoup plus que nos stars de foot ».

Huit mois après la révolution, Heggy revient en Egypte et semble un peu déçu, voire chagriné. « Nous avons rêvé d’instaurer un Etat de droit, et en ce moment, plusieurs voix réclament le retour à un Etat des intérêts. Et même si les jeunes ont commencé la révolution, les postes-clés et la direction du pays sont toujours entre les mains des plus âgés. Il semble que nous avons changé un régime mais pas une stratégie ou une manière de voir. Cela me fait de la peine. Nous sommes même allés jusqu’à accuser les jeunes révolutionnaires de trahison ».

Heggy s’interroge : comment un pays qui est censé s’ouvrir au monde et reçoit 1,5 milliard de dollars d’aide américaine par an, accuse-t-il ses citoyens de trahison ?

Ce jeune passionné d’astronomie parle sur le ton d’un politicien chevronné, bien qu’il n’ait jamais fait de politique. Normal pour le fils d’un homme de culture qui a mis à la disposition de ses enfants, depuis leur âge tendre, une bibliothèque bien garnie.

L’astronome critique le manque de transparence entre le gouvernement et le peuple, dans l’actuelle période transitoire. « Il faut expliquer aux citoyens sincèrement ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas. Les gens sont prêts à présenter des sacrifices à condition de voir leur pays progresser », dit Heggy qui tient à passer quelques jours en Egypte, parmi les gens dans la rue, contemplant leurs visages et se rapprochant de leurs idées. « Je sens que les jeunes ont commencé à perdre espoir puisqu’ils n’ont pas de vision claire de l’avenir. Je crains une autre révolution, cette fois-ci plus violente ».

Le savant qui a été en mesure, très jeune, d’obtenir le premier doctorat égyptien dans le domaine de la découverte des sciences des planètes à Paris, devenant ensuite membre de la NASA et responsable de plusieurs missions spatiales, ne perd jamais espoir. Il pense que le chemin vers la réussite comporte plusieurs étapes et qu’il faut avoir le courage de tenter sa chance, sans attendre le temps opportun. C’est en fait sa philosophie de vie : « Je n’ai jamais rêvé d’être membre de la NASA. Tout ce que je pensais faire, c’était étudier ce que j’aime. Et après avoir reçu le baccalauréat au lycée Bab Al-Louq, j’étais en proie à un combat intérieur : étudier l’astronomie ou m’inscrire à la faculté de médecine et suivre donc un cursus plus conventionnel. Ensuite, j’ai décidé de prendre le risque et faire des études en astronomie à la faculté des sciences de l’Université du Caire. Ses programmes et méthodes traditionnels ont quand même enrichi mes connaissances ».

La chance a joué un rôle central dans la vie de Heggy, depuis qu’il a décroché brillamment son diplôme universitaire et a été retenu pour intégrer le corps enseignant. Un ami lui a conseillé de se rendre au Centre culturel français, en quête d’une bourse d’étude à l’étranger. Un premier pas vers la gloire. Admis à l’Université de Paris VI, le succès se poursuivra. D’ailleurs, plusieurs Egyptiens séjournant à Paris lui porteront aide pour obtenir son master et ensuite doctorat. « Je devrais continuer avec les moyens du bord, sans compter sur mes parents », dit Essam Heggy, devenu membre du Centre des recherches spatiales à Paris et professeur à l’Université de Paris VI.

Le vrai tournant fut sa sélection comme membre de l’agence américaine NASA. Aujourd’hui, il passe seize heures de travail quotidien dans le domaine des découvertes et des voyages spatiaux, afin d’en savoir plus sur les signes de vie sur Mars. Le savant s’intéresse aussi à rechercher les eaux souterraines sur d’autres planètes et en profiter pour mieux cerner les raisons du changement climatique. « On met le progrès de la technologie spatiale au service de la planète Terre. A titre d’exemple, le projet de la NASA portant sur les eaux souterraines dans les déserts s’étendant de l’Iraq jusqu’au Maghreb servira énormément quant au développement de ces pays », explique Heggy à l’aide de mots simples, visant à mettre en lumière une spécialité qui semble compliquée et ambiguë aux yeux de beaucoup. D’ailleurs, parfois, certains le prennent simplement pour un voyant ou un astrologue.

Heggy n’a pas oublié ses années d’étude en Egypte et pense toujours que les premiers pas vers le développement relèvent de la réforme de l’enseignement. Il assure même que c’est « honteux » d’avoir des écoles et universités gouvernementales dans un tel état. Lamentable, pour le moins qu’on puisse dire. Et propose plusieurs recettes pour sortir de l’ornière, avec en tête de liste l’amélioration du niveau des enseignants (du point de vue professionnalisme, revenu et comportement). Il se demande d’ailleurs pourquoi aucun des ministres en poste ne met ses enfants dans des établissements de l’enseignement public.

Heggy invoque un film du comédien égyptien Mohamad Héneidi, où le ministre de l’Enseignement voulant punir son enfant l’envoie dans une école gouvernementale. Le savant pense aussi qu’il faut augmenter le budget de l’enseignement pour atteindre 10 % du revenu national. « Pas question d’établir un Etat civil contemporain, avec un peuple navré, malade et ignorant », dit-il. Mais ce qui le gêne le plus, c’est l’état déplorable dans lequel se trouve la recherche scientifique en Egypte. « Un pays sans recherche scientifique signifie un pays sans idées, sans inventions ni industries. La science n’a pas de valeur, chez nous, car elle n’a plus de rôle. Elle a été plutôt substituée par la débrouillardise et les pistons. La recherche scientifique dérange d’habitude les gouvernements corrompus, parce qu’un peuple conscient et cultivé ne laisse pas passer autant d’écarts ».

Le bien-être du citoyen ne s’effectuera, selon Heggy, sans l’opération d’un vrai changement social. « Notre société est enfermée dans une cage de traditions : beaucoup d’entre elles sont à réviser. La relation homme-femme est parmi nos maux principaux. C’est une relation faussée qui empoisonne la vie des jeunes gens, à un âge où ils doivent être calmes et concentrés pour créer ».

Conscient de l’importance des femmes et de leur rôle en société, il pense qu’elles doivent se libérer du joug de l’oppression. « C’est une liberté prescrite par des textes mais qui n’est guère appliquée sur le terrain ».

L’équation homme-femme touche de près à la vie de Heggy, notamment à travers un autre domaine de prédilection : la peinture. Car le savant passe des heures à travailler ses toiles et à escalader les montagnes. Sa vie privée n’est cependant pas à la hauteur de ses rêves. Il refuse d’en parler et préfère dire simplement que « ça ne va pas très bien ». Sensible et sociable, son père se contente de le décrire comme un enfant bizarrement charmant ; il tient à faire toujours des nouvelles connaissances et nouait des rapports d’amitié avec les vendeurs de jasmin en Tunisie. Aujourd’hui, l’immigration pèse sur Heggy junior. Il rêve du jour où il retournera vers les siens, à condition de participer à un projet de développement local. « Le sentiment du dépaysement n’est pas facile, même si la personne multiplie les accomplissements. Rien ne vaut les sentiments chaleureux partagés dans la rue avec ses compatriotes ».

Doaa Khalifa

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Jalons

1975 : Naissance en Libye.

1997 : Diplôme de la faculté des sciences, Université du Caire.

1999 : Master, à Paris.

2002 : Doctorat de l’Université Paris VI.

2004 : Début d’activité à la NASA.

 

 




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