Le
système arabe et la recherche
d’une volonté commune
Hassan Abou-Taleb
Le
système arabe, cette expression qui a longtemps lassé les
chercheurs, les hommes de politique et les dirigeants,
semble être aux yeux de beaucoup de gens le responsable n°1
de l’état de recul, de régression et du sentiment de défaite
qui frappe le monde arabe, toutes tendances confondues. Il
faut dire que cette expression implique une certaine vérité.
Cependant, il serait erroné de croire que l’échec du système
arabe revient à des raisons non-arabes, ou de supposer que
les pays arabes et leurs peuples sont prédestinés à ce sort,
ou que la relation du système est rompue avec les politiques
ou les positions des membres qui le forment.
Dans
toutes les recherches sur les systèmes régionaux, un
principe inhérent est omniprésent, selon lequel la force et
l’immunité d’un quelconque système ou sa faiblesse et son
désespoir sont le résultat de l’ampleur de la volonté
politique qui est déterminée par les membres œuvrant sous la
même ombrelle, qui est le système. Ce principe indique
également que, selon l’ampleur de la souveraineté à laquelle
les membres renoncent au profit de l’institution qui
représente le système régional, ce dernier est capable ou
incapable de gérer les affaires communes. Donc, toute
l’affaire se rapporte à la volonté politique dans sa
totalité. Dans tous les cas, il doit y avoir un prix que
paye l’Etat membre et un prix que paye le système afin de
réaliser ses objectifs et ses aspirations qui s’avèrent être
les objectifs des membres eux-mêmes.
Pour
parler franc et direct, je dirai que l’absence de la volonté
arabe commune est le facteur le plus influent sur la
régression des Arabes et la détérioration de leur prestige,
surtout à l’ombre du rôle peu influent de la Ligue arabe qui
est le porte-parole de leur identité, de leur culture et de
leur rôle sur les plans régional et mondial. Ainsi,
n’importe quelle tentative de rendre plus efficace le rôle
de la Ligue arabe ou de l’action arabe commune sans qu’elle
ne soit accompagnée d’un traitement efficace à ce
déséquilibre inhérent, représenté dans l’absence de la
volonté arabe commune, serait vaine.
Le
parcours de la Ligue arabe est jalonné de nombreuses
tentatives consistant à rendre plus efficaces son rôle et
son prestige arabe et mondial. Mais ces tentatives se sont
heurtées à l’obstacle de l’absence de la volonté commune.
Nous espérons cependant qu’un effort arabe sera conscient de
la nécessité d’aplanir l’obstacle de la volonté arabe
commune qui serait unanime au niveau des décisions et de
leur exécution. Il est indispensable de s’accorder sur une
stratégie ambitieuse de travail qui non seulement sauverait
la Ligue arabe et le système arabe, mais qui prendrait aussi
en considération l’état de toute la région, ainsi que
l’équilibre des forces qui sont en phase de constitution et
qui dans une partie portent préjudice aux Arabes.
Si
l’élément de la volonté arabe commune se cristallise, il
serait aisé plus tard de mettre en place une stratégie à
l’action arabe commune, quel que soit son nom. Il est
important que ce plan repose sur des fondements qui ont fait
l’objet d’étude, d’analyse et d’approbation arabe.
Dans ce
même ordre d’idées, j’évoquerai l’idée de la modernisation
de la Ligue arabe qui n’est pas nouvelle et qui remonte aux
années 1960. Une idée qui resurgit et disparaît très
rapidement. Mais cet appel, depuis l’occupation américaine
de l’Iraq en 2003, a pris un nouveau tournant, voire plus
sérieux relativement qu’auparavant. Certains à cette époque
avaient accusé la Ligue arabe d’être responsable des
événements dans ce pays et d’avoir affirmé qu’il s’agit d’un
système régional des plus défectueux dans le monde. D’autres
avaient avancé qu’il était temps de signer l’acte de décès
de la Ligue et qu’il a fallu amorcer immédiatement la mise
en place d’une nouvelle action régionale prenant en compte
les nouvelles mutations régionales et mondiales engendrées
par l’occupation de l’Iraq. Un avis qui semblait pertinent
d’apparence, mais qui n’avait aucune consistance
pratiquement parlant. D’autant plus qu’il s’est avéré qu’il
n’existait aucune garantie pour la mise en place d’un
système de travail plus efficace une fois la Ligue arabe et
les organisations qui lui sont dépendantes auraient disparu.
Il n’y avait également aucune garantie que le nouveau-né
serait dans un état meilleur, à l’heure où les Arabes
étaient vaincus à cause de la défaite et de l’occupation de
l’Iraq.
Après
une étape critique, une nouvelle vision raisonnable a surgi
: elle indiquait que la Ligue arabe n’était pas l’unique
organisation régionale ou mondiale ayant prouvé son échec à
prévenir l’occupation de l’Iraq et que tout le monde était
perdant d’une manière ou d’une autre. Pour les tenants de
cet avis, la sagesse exige de préserver l’entité déjà
existante et de considérer avec sérieux sa restructuration
pour pallier ses lacunes et failles. Ainsi apparut l’idée de
la réforme de la Ligue arabe en l’injectant d’un sang
nouveau, en réexaminant sa méthode de travail et la relation
entre les Etats-membres.
Ainsi,
deux visions se sont concrétisées. La première appelant à
une réforme globale par la modification des articles de la
charte, ou la création de nouveaux mécanismes pour l’action
arabe. La seconde vision appelle à une réforme graduelle, en
entreprenant des mesures traitant selon un calendrier un
défaut ou une faille bien déterminée. Cette vision a en
quelque sorte dominé et appelle à introduire certains
changements dans le mode de vote, la fondation d’un
Parlement arabe ainsi qu’un mécanisme de suivi relatif à
l’application des résolutions, la création d’un autre
assurant un lien avec la société civile arabe.
Dans cet
esprit, nous avons vu de nouvelles formules émerger, telles
que l’Union des Etats arabes ou des peuples arabes. La
première proposée par le Yémen se présente comme une bouée
de sauvetage. Le projet au niveau de la forme semble avoir
remplacé le mot ligue par union, sans pour autant rien
changer à Etats arabes, comme pour sauvegarder leur
souveraineté totale. Un regard plus profond aux articles
viendrait prouver que dans sa globalité, il n’a rien
présenté de nouveau pour déchaîner les énergies du système
arabe ou pour activer son dynamisme. Par exemple, ses
objectifs se cantonnent à consolider l’intégrité arabe
économique et le secteur privé, la réforme économique et la
coordination des efforts arabes dans les forums mondiaux.
Cette panoplie d’objectifs ne présente en effet rien de
nouveau. Le fait de limiter les objectifs à ceux de
l’intégrité économique, malgré son importance majeure, est
un recul de tous les acquis déjà réalisés à tous les autres
niveaux de coopération scientifique, culturelle, politique,
sociale et sécuritaire. L’absence d’une quelconque mention
de l’ambition arabe et de l’unité arabe réalisable sur un
calendrier lointain démontre en fait une régression des
objectifs devant être accomplis.