Nouveau commissaire
général de
l’Unrwa (Agence de
l’Onu pour
l’aide aux réfugiés
palestiniens),
Philipo
Grandi
évoque les
conséquences de la poursuite
du blocus
de la bande de Gaza et les
restrictions imposées par
l’Etat
hébreu aux habitants de la
Cisjordanie.
« Le
blocus de Gaza
est très
dangereux
pour la stabilité de la
région »
Al-ahram
hebdo
: Vous
avez accédé
à la direction de
l’Unrwa en
janvier, à un moment
où l’Agence
fait face à de
nombreux
défis. Quelles
sont vos
priorités
dans la période
à venir
et quelle
est la stratégie avec
laquelle
vous comptez les
aborder
?
Philipo Grandi
:
C’est vrai
que c’est
un moment difficile pour assumer
le poste de
commissaire général de
l’Unrwa.
Mais il
faut aussi
dire que
cela a été le
cas pour
tous mes
prédécesseurs.
Il a
toujours été
très
difficile de travailler
sur le dossier
sur lequel
on travaille.
Car l’Unrwa
se penche
sur l’un des
problèmes
centraux dans le
débat
politique du
Moyen-Orient,
à savoir la question des
réfugiés
palestiniens.
Bien
sûr, au
cours des dernières
soixante
années, le baromètre
politique a
changé plusieurs
fois,
surtout au cours des
vingt
dernières années.
Il y a eu
des moments plus favorables,
où l’on
s’approchait plus
d’une solution
politique.
Malheureusement, nous
témoignons
aujourd’hui d’une
situation de stagnation qui ne
rend pas les choses
faciles
dans notre travail.
Je fais
allusion de manière plus
précise au
blocus imposé
à la bande
de Gaza, aux violations des droits
des réfugiés en
Cisjordanie et
à
Jérusalem-Est. Et une
absence totale de
l’horizon
politique pour le problème
des réfugiés.
— Comment fonctionne
donc
l’Agence dans
ce contexte
de blocage
d’horizon politique et
situation d’émergence
sur
plusieurs fronts ?
— Il
faut dire, tout d’abord,
que l’Unrwa
a été
créée pour
fournir certains services
aux réfugiés en attendant
une solution
politique.
Celui-ci est
notre
contexte de travail. Donc,
un contexte
politique
plutôt bloqué.
L’Unrwa a
évidemment
devant elle encore,
malheureusement,
une longue
période de travail. Et
cela est
notre
priorité
: la fourniture des
services essentiels
à la population
palestinienne
réfugiée.
Ceci comprend
l’éducation, la santé,
l’aide aux plus
pauvres à
travers
différents
moyens et, surtout,
dans les situations de
conflit,
une aide humanitaire.
Notre priorité
est
de nous
assurer que
ces services
soient
maintenus au niveau
requis par la situation et
que la
qualité de ces services
soit
adéquate aux besoins des
réfugiés.
— Comment arrivez-vous
à assurer
ces services
dans le
contexte du
blocus
israélien imposé
à Gaza ?
— Il y a un
problème de
contexte comme
celui de
l’impossibilité, par exemple,
à Gaza,
d’apporter des matériaux
de construction pour pouvoir
soutenir la reconstruction des
maisons et des infrastructures
qui ont
été
détruites pendant les derniers
conflits de Gaza.
Cela
est un
contexte qui a
une raison
politique. Et
donc,
l’UNRWA toute
seule ne
peut pas
résoudre ce
problème.
Nous faisons
appel à
toutes les instances
politiques, aux
autorités
israéliennes, qui ont la
responsabilité première en
tant que
force occupante, pour
assurer le flux des
matériaux
nécessaires. Mais
nous
faisons également
appel à
tous les pays
amis
d’Israël pour
qu’ils
demandent à
celui-ci
d’honorer les engagements qui
ont été
pris par le passé et de
ne pas
pénaliser la population civile
de Gaza. Donc,
notre
problème principal
est le
blocage par
Israël de beaucoup de produits
et de plusieurs types de
matériaux
destinés à la
reconstruction de la bande de
Gaza. Il ne
faut pas
oublier une chose
importante.
Une année après la
tenue de la
Conférence de Charm Al-Cheikh,
dans
laquelle les Etats
donateurs
avaient promis des
sommes
importantes pour la reconstruction de Gaza,
seulement
une partie
minime de
ces montants a
pu
être
utilisée car la majorité
de cette aide
était
destinée à la
reconstruction. Or, on ne
peut pas
reconstruire sans matériaux
et sans
équipements.
— Comment évolue la situation
humanitaire
dans la bande de Gaza
face à la
poursuite du
blocus
?
— La situation
reste très
difficile. Elle
n’est pas
simplement une situation
humanitaire,
comme elle
est
souvent
décrite.
Mais
c’est une
crise beaucoup plus
vaste.
C’est
une crise
de l’économie, des institutions,
c’est une
crise qui
touche surtout,
très
profondément, la psychologie
des personnes.
Lorsqu’on
est obligé de vivre avec
un million et demi
d’autres
personnes dans un
territoire qui
mesure 40 km de long et 10 km de
large et vous
ne pouvez
ni sortir
ni rentrer,
cela vous
affecte non
seulement économiquement,
mais
surtout psychologiquement.
Donc, c’est
une crise
globale qui a des
conséquences,
à notre
avis, très
dangereuses pour la stabilité
de Gaza. Mais
aussi pour la
stabilité de la
région
toute entière.
Donc, c’est
beaucoup plus qu’une
crise
humanitaire et
c’est pour
cela que
nous devons
ouvrir les passages de Gaza.
— Voyez-vous
une possible amélioration
de la situation à
Gaza ?
— On
entend souvent
parler de la
possibilité
qu’Israël allège la
pression
sur Gaza. On
souhaite que
cela se
passe, mais
jusqu’à
présent nous
n’avons
rien vu. Mais
nous disons
toujours à
Israël que
la stabilité de Gaza
est
dans leur
intérêt. De plus,
nous leur
garantissons
que tous
les matériaux
que nous
recevons
serons utilisés
uniquement pour la
reconstruction de Gaza et
rien
d’autre.
— Pensez-vous
que
l’Egypte pourrait
aider à
atténuer le
blocus de Gaza en ouvrant
plus souvent le passage de
Rafah, à
la frontière
commune ?
— J’ai
discuté avec le
ministre
égyptien des Affaires étrangères,
Ahmad Aboul-Gheit, de
ce
sujet.
L’Egypte a honoré
ses
obligations conformément aux
accords de 2005 sur le passage
des biens et des
personnes à
Rafah. Nous
connaissons les
préoccupations
sécuritaires de
l’Egypte et
ce n’est
pas à nous
de les discuter.
Mais le
seul point que
j’ai
soulevé avec beaucoup de clarté,
c’est que
toute
mesure de limitation au passage des
biens et
des personnes
constitue un
fardeau
supplémentaire pour la population de Gaza.
Donc,
mon
appel au gouvernement
égyptien,
comme à
tous les
gouvernements, c’est de
ne pas
oublier la souffrance
humaine
dont nous
sommes
témoins à Gaza.
Et je
pense que
cet appel
a rencontré la plus
grande
compréhension de la part des
autorités égyptiennes.
— En Cisjordanie, comment
vous
travaillez
? Quelles
sont les
principales difficultés
auxquelles
vous êtes
confrontés
sur le terrain ?
— En
Cisjordanie, nous
avons des
difficultés qui sont
moins sous
la loupe des médias
mais qui
sont très graves. Les
restrictions imposées au
mouvement des
Palestiniens
ont un
impact aussi
sur notre
travail. Premièrement
sur tous
les aspects de vie des Palestiniens.
Si vous
cultivez des
tomates, par
exemple, et
voulez
vendre ces
tomates sur
un marché
d’une ville
voisine,
vous ne
pouvez pas le faire. On a
beaucoup de cas
où les
enseignants ne
peuvent pas
aller à
leur école.
En Cisjordanie,
il
n’y a pas de
blocus
comme celui de Gaza, car
il ne
se fait pas autour de la
Cisjordanie,
c’est
plutôt un bouclage
imposé à
l’intérieur,
dans le
tissu même de la
société. Et
ceci est
particulièrement grave
dans
certaines localités de la
Cisjordanie,
notamment à
Jérusalem-Est.
Même pour
nous, il
devient
très difficile de
transporter le personnel qui travaille
à Jérusalem
entre la
Cisjordanie et cette
ville. Et
pour les gens qui
ont une
carte d’identité de la
Cisjordanie et pas de
Jérusalem, les
difficultés
sont encore plus importantes.
Nous
parvenons tout de même
à servir
la population, dans les
écoles, les
hôpitaux … Il
faut quand
même dire
qu’il y a des zones, des poches
en Cisjordanie,
où la situation
s’est
légèrement améliorée.
Ce sont
des endroits
où la
sécurité s’est
un peu
améliorée et
il y a eu
quelques
allégements dans les
clôtures et les obstacles
imposés par
l’occupation.
— Cette
légère amélioration
est-elle due aux efforts
du
gouvernement palestinien
pour construire les institutions
d’un futur
Etat
palestinien ?
— Bien
sûr et
surtout avec la
préoccupation de
reconstruire des institutions de
sécurité.
Mais cela
n’est pas
uniforme et
ne
s’applique pas à
toute la
Cisjordanie. Puisque les
clôtures
restent et
imposent un
fardeau immense sur la
population palestinienne.
Ces
clôtures, qui sont
largement
établies pour protéger
les colonies (israéliennes),
font que les plus
défavorisés le
deviennent encore plus. Pour
cette raison, beaucoup de
réfugiés
palestiniens deviennent
encore plus pauvres
et
vulnérables.
— Vous avez
aussi une
situation extrêmement grave
dans les camps des
réfugiés
palestiniens au Liban,
où 420 000
personnes vivent
dans des conditions
inhumaines …
—
Certainement, la situation au
Liban pour les
réfugiés
est très
difficile.
Mais il
faut dire
que les raisons de cette
situation sont
complètement
différentes.
Elles sont
produites par la
fragilité de
l’équilibre
politique au Liban
et
malheureusement, les réfugiés
palestiniens
sont un
élément dans
cet
équilibre interne du
Liban et
donc souffrent des
conséquences de
cette situation.
— Mais une
situation humanitaire acceptable
dans les camps des
réfugiés
palestiniens du
Liban ne
devrait pas affecter
l’équilibre
politique interne de
ce pays …
— Ceci
est
tout à fait
vrai. Et les
derniers
gouvernements libanais
ont tous
compris
cette question très
bien. Ceci
s’est passé avec le dernier
gouvernent,
celui de Fouad
Siniora, et
le présent,
celui de Saad Al-Hariri.
Ils
ont très
bien
compris qu’il
ne faut
pas pénaliser les
réfugiés et
donc, ils
ont accepté
tout d’abord en 2006/2007
d’entamer
toute une
série de
projets pour l’amélioration
des conditions physiques des camps. Il
est vrai
que jusqu’à
la moitié de
cette
décennie, on ne
pouvait
rien faire. Il
était tabou
au Liban
même de parler de
ce sujet.
Donc, les conditions
dans les camps se
sont
détériorées de manière
effroyable.
Mais depuis
deux ou
trois ans,
nous
pouvons faire des interventions qui
sont très
utiles et
nous les
faisons. L’autre
problème au
Liban, c’est
l’accès au
marché du travail.
Parce
que les
réfugiés palestiniens au
Liban ont
des droits
très très
limités.
Je viens
de rentrer
du Liban
où j’ai
rencontré le premier
ministre qui
s’est
montré très
ouvert et
a accepté de
discuter des
détails de
cette question.
Propos
recueillis par
Randa
Achmawi