Noviciat .
Quitter la vie mondaine pour devenir religieuse exige une
période de transition par laquelle doivent passer les jeunes
novices. Une transition entre deux formes d’existence
marquées par de fortes émotions d’hésitation, de résistance
et surtout de foi. L’Hebdo a rendu visite au couvent des
religieuses égyptiennes du Sacré-Cœur à Héliopolis.
Des novices sur la voie
«
Avant même de te former au ventre de ta mère, je t’ai connu,
avant même que tu sois sorti de son sein, je t’ai consacré »
(Jérémie 1:5). Avec ce verset de la Bible, Gloria résume sa
vocation. C’est le bon Dieu qui choisit cette voie à une
personne avant même sa naissance, il ne lui reste plus qu’à
suivre le chemin. « Gloria signifie en italien la gloire et
c’est le sentiment que je veux ressentir et vivre aussi »,
c’est ainsi qu’explique Gloria la raison pour laquelle elle
a choisi ce prénom. Une façon pour elle d’exprimer sa vie
spirituelle dont le but est de rendre gloire à Dieu une fois
entrée au couvent. Cette jeune fille de 25 ans, qui
s’appelait Racha, a senti très jeune que le bon Dieu l’avait
créée pour devenir sœur. Enfant, elle admirait les sœurs qui
offraient leurs services dans les dispensaires et les écoles
de son village en Haute-Egypte, précisément au gouvernorat
de Sohag. « Je les regardais faire et en même temps, je
cherchais à vivre pour le bon Dieu. J’ai découvert alors que
devenir religieuse était le meilleur moyen de s’approcher de
Dieu, celui de consacrer ma vie au service des gens. Pas
seulement de mes proches, mais du plus grand nombre de
personnes, dans n’importe quel coin du monde et sans aucune
distinction », indique Gloria qui a pris sa décision très
jeune. Une décision que ses parents n’ont pas du tout
appréciée, surtout qu’elle est fille unique parmi trois
frères. En grandissant, son désir de suivre l’appel se
précisait. Elle n’a jamais été éblouie par la vie des jeunes
de son âge, comme suivre la mode, rêver du prince charmant
ou du mariage et des enfants.
« Je voulais juste répondre à l’appel du bon Dieu », affirme
Gloria, licenciée de la faculté de droit. Et elle n’est pas
la seule. Une dizaine de jeunes filles ont choisi la même
voie et sont en train de passer la période de noviciat dans
le couvent des sœurs égyptiennes du Sacré-Cœur, situé à
Héliopolis.
Une préparation ardue
Dès que l’on franchit la petite porte noire en fer forgé, on
se sent en dehors du monde matériel et l’on plonge dans une
atmosphère spirituelle. Toutes sont là pour un même but,
celui de servir Dieu. C’est là que les jeunes filles qui
aspirent à devenir religieuses doivent passer deux ans de
préparation en plusieurs étapes. A ce stade, elles ne sont
pas encore des sœurs, mais des novices. La période terminée,
elles prouveront si elles sont capables de devenir sœurs ou
ne sont pas faites pour ça. « La vie ici représente une
nouvelle naissance pour la jeune fille. Elle oublie tout ce
qui la relie au monde extérieur et commence à s’intégrer
avec les autres sœurs et novices qui sont comme sa nouvelle
famille », dit sœur Georgina d’une voix douce et dont le
sourire ne quitte jamais le visage. Elle et sœur Marina
s’occupent des novices, elles les initient et les évaluent
en cours de chemin. Selon sœur Georgina, ces deux ans sont
précédés d’une période de 2 ans surnommée « al-talab
» (postulat), durant laquelle la jeune fille se présente
pour formuler son vœu de devenir religieuse tout en ne
quittant pas complètement la maison de ses parents. Cette
période terminée, elle rentre au couvent, laissant derrière
elle tout ce qui est lié à la vie du monde, pour commencer
une nouvelle vie. « Ces deux années sont consacrées à la
connaissance de la congrégation, de ses fondateurs et de son
but », explique sœur Georgina.
La métamorphose
En
fait, pour cette nouvelle vie, les jeunes filles doivent
changer d’allure. Alors, chaque année, en accueillant les
nouvelles novices, l’on organise une cérémonie spécialement
pour la prise d’habits. Les jeunes filles qui arrivent au
couvent avec des vêtements civils portent toutes une même
tenue, une longue robe grise, un voile blanc, des sandales
ou des chaussures noires et des chaussettes blanches.
Durant la cérémonie, les jeunes filles rentrent l’une
derrière l’autre dans la chapelle, habillées en robe, et à
tour de rôle, chacune reçoit son voile et le pose sur sa
tête devant les sœurs et les prêtres présents à cet
événement avant que les youyous ne fusent dans l’endroit. «
C’est un moment inoubliable que j’attendais depuis des
années », dit Véronia, en
ajoutant qu’elle ne nie pas que les étapes qui ont précédé
cet événement ont été très dures pour elle car il fallait
qu’elle se coupe les cheveux. Elle, qui a passé de longues
années à les faire pousser, à les soigner, a dû les
sacrifier, puisqu’elle a décidé de se détacher de toute
chose matérielle. « Des moments de défi à relever avec
soi-même dès que l’on a fait son choix. Et on n’hésite pas
longtemps avant de prendre la décision d’obéir car notre but
c’est de se vouer corps et âme au bon Dieu et de transmettre
son message », dit Kiria,
originaire d’Alexandrie.
A partir de ce moment précis, une autre vie commence, une
vie de prière dans un couvent rempli de sœurs et de novices.
Durant la première année au noviciat, l’année canonique,
l’on prépare les novices aux exigences de la vie religieuse
à travers une formation qui consiste à les instruire sur les
valeurs humaines, religieuses et culturelles, en les
entraînant à les acquérir, à les vivre.
La vie au jour le jour
La journée commence à 6h30 du matin par la prière à la
chapelle. Le programme comporte aussi des tâches
quotidiennes que chacune exécute comme à la maison et des
apprentissages diversifiés qui ont lieu durant la journée à
des horaires fixes. Le reste du temps est partagé entre les
activités manuelles comme le jardinage et le tricot ou un
temps de repos que chaque novice va passer en méditant.
Selon sœur Georgina, ces moments où chacune reste seule à
méditer sont d’une grande importance, car les filles vont
par la suite partager ensemble et avec nous ce qu’elles
vivent et ce qui les préoccupe.
« On encourage les novices à s’exprimer, à dévoiler leurs
émotions et leurs idées pour mieux les connaître mais elles
savent aussi ce qu’elles veulent », affirme-t-elle.
En fait, à la fin des deux ans, les sœurs et les novices
font une évaluation. D’après sœur Marina, certaines sont
capables de suivre la voie religieuse ; par contre, d’autres
manquent de personnalité ou ont des défauts. « Par exemple,
si une fille n’est pas humble ou ne contrôle pas ses nerfs,
elle n’est pas faite pour devenir sœur », confie sœur
Marina.
Ces jeunes filles viennent d’une société conservatrice,
elles quittent soudainement leurs parents et pour toujours,
afin de vivre une vie commune tout à fait différente de
celle qu’elles ont vécue. Même si le but est clair et que ce
sont elles qui ont choisi, il reste des sentiments qui
flottent parfois à la surface. « Je me sens parfois obsédée
par l’idée que mes parents me manquent et je me rappelle le
jour où je suis sortie de la maison pour venir ici, et je
n’ai pas pu me retourner pour dire adieu à ma mère pour
éviter de voir ses larmes couler sur son visage », s’exprime
Hanaa, en pensant à ses parents
qui lui manquent. Et chaque jour, elle prie pour que Dieu
les protège.
Sœur Georgina pense que c’est tout à fait normal que les
filles ressentent de tels sentiments. « Nous sommes des
êtres humains avant tout », dit-elle. Et d’ajouter : « Les
filles doivent constamment lutter contre leurs faiblesses.
Elles parlent avec nous, les responsables, et nous essayons
ensemble de dépasser ses sentiments qui les attirent vers
leur ancienne vie en leur demandant de prier beaucoup ».
En fait, les novices ont le droit d’avoir une visite de
leurs parents une fois par mois et de leur téléphoner le
premier dimanche de chaque mois. A part cela, elles n’ont le
droit de sortir du couvent que pour se rendre à l’hôpital ou
quand il y a un cas d’urgence chez elles.
Une vie austère et un programme quotidien répétitif que les
sœurs suivent à la règle, mais cela ne les empêche pas
parfois de faire des exceptions. « Les soirées récréatives,
les jeux scéniques et les excursions font aussi partie du
programme de formation », explique sœur Georgina, en
ajoutant qu’actuellement, pour leur fête, les novices
préparent une pièce de théâtre qui raconte l’histoire de la
fondation de la congrégation. Quelques changements sont
nécessaires pour encourager les novices à continuer, pour
terminer les deux années et être honorées du titre de sœur
Marie suivi de leur prénom.
La plupart du temps, elles ont l’allure sérieuse sous leurs
uniformes, mais cela ne les empêche pas de s’abattre
lorsqu’elles sont libres en jouant et courant comme des
enfants.
Un moment que les filles attendent avec impatience, c’est
lorsque sœur Marcelle apparaît dans le jardin. Toutes
l’entourent pour écouter ses histoires qu’elle répète de
temps en temps, et surtout l’histoire de sa vocation. Agée
de 75 ans, elle parle avec tendresse et a de l’humour. Sœur
Marcelle réussit toujours à faire rire les novices. Elle les
envoûte aussi avec ses histoires. « Ici, c’est une grande
famille », dit sœur Marcelle.
Depuis la fondation de la Congrégation des religieuses
égyptiennes du Sacré-Cœur en 1913, les couvents ne cessent
de recevoir de jeunes filles qui désirent se retirer de la
vie du monde pour se consacrer à Dieu.
D’après sœur Georgina, dans ce monde où les choses
matérielles dominent et les éléments de tentation se
multiplient chaque jour, attirant les gens vers une vie plus
confortable, l’on trouve quand même des jeunes filles qui
veulent rejoindre le couvent. Elles se sentent prêtes à
laisser tout derrière elles pour remplir les obligations de
la vie religieuse et sans regret. « C’est un choix personnel
et la preuve c’est que les étapes de la formation donnent
droit aux sœurs de se retirer à n’importe quel moment et de
revenir à la vie normale », dit sœur Georgina.
Elle poursuit qu’aujourd’hui, avec la modernité et la
liberté dont jouissent les filles, lorsque l’une d’elles
prend cette décision, c’est un grand défi. Le choix de
laisser ce monde pour rentrer au couvent doit être mûrement
réfléchi et elle doit être convaincue de son choix.
Chaque année au mois d’août, le couvent reçoit entre 6 et 8
novices qui sont toutes bien éduquées, et dans la plupart du
temps, ce sont des universitaires. On attendait de Véronique
de devenir médecin, surtout qu’elle s’est inscrite à la
faculté de médecine, mais elle a préféré se consacrer à Dieu
et suivre la voie religieuse. « Mon père refusait de me voir
autrement que médecin, et moi, je ne pouvais pas résister à
l’appel de Dieu, c’était plus fort que tout », conclut
Véronique.
Hanaa
Al-Mékkawi