Magued
Osman
est à la tête du Centre des informations et du support à la
prise de décision (IDSC), dépendant du Conseil des
ministres, qui fête ses 25 ans d’existence. Un centre dont
les études politiques et économiques sont une référence. Il
fait le point sur les défis du prochain gouvernement.
« Toute réforme difficile va se heurter
au manque de
confiance »
Al-ahram
hebdo : Un nouveau gouvernement sera incessamment formé par
le président Moubarak. Quels dossiers allez-vous présenter à
ce gouvernement comme priorités ?
Magued
Osman :
En premier lieu, il y a la mission de restaurer la confiance
perdue envers le gouvernement. Je trouve cela indispensable.
La confiance est à un niveau très bas, ce qui entrave les
réformes. Car toute politique publique que le gouvernement
voudra entreprendre se heurtera au manque de confiance de
toutes les franges de la population. Les politiques de
réformes ne pourront être introduites que si les gens ont le
sentiment que ce gouvernement est là pour leur bien-être. Ce
qui n’est pas le cas actuellement.
— Trouvez-vous que les législatives, avec toutes les
irrégularités qui les ont accompagnées, ont accentué ce
manque de confiance ?
— Ce manque de confiance existait déjà avant les
législatives. Mais ces dernières l’ont davantage marqué.
— Que proposez-vous donc pour la rétablir ?
— Cela nous mène au deuxième dossier pas moins important :
lutter contre la corruption. Nous avons commencé à publier
l’indice annuel de la perception de la corruption. Le
gouvernement a entrepris plusieurs mesures pour lutter
contre ce phénomène, comme la création d’un comité chargé du
rétablissement de l’intégrité. Mais beaucoup reste à faire.
L’éducation est un troisième dossier d’une grande
importance. Et là, je propose une approche agressive. Cela
ne peut se faire sans un consensus social, notamment en ce
qui concerne le financement de l’éducation. Il faut répondre
à la question : « D’où peut-on prélever les ressources ? ».
Sinon, tout ce que l’on dit à propos de la réforme ne sera
que des paroles en l’air.
— Ce qui revient à dire ?
— Augmenter le budget alloué à l’éducation implique la
baisse des budgets d’un ou de plusieurs autres secteurs.
Lesquels ? Cela devra être un sujet de débat social.
— Dans quels secteurs le gouvernement peut-il faire des
coupes ?
— Les budgets à la subvention, notamment celle destinée à
l’énergie. C’est énorme, et en plus, elle mène à
l’épanouissement des industries nuisibles à l’environnement.
C’est un point de départ primordial. Toute économie qui sera
effectuée dans ce domaine doit être redirigée au profit de
l’éducation.
— Lors d’un entretien précédent, en 2008, vous avez souligné
l’importance de baisser les subventions à l’énergie. Vous
avez dit que cela sera réalisé en 2009. Mais cela n’a pas
été fait …
— Il faut dire que c’est difficile de s’attaquer, par
exemple, à la subvention des bonbonnes à gaz, qui absorbe le
tiers des subventions à l’énergie. Celle-ci bénéficie
majoritairement aux pauvres. Il y a aussi le choix du
timing. L’on ne peut pas retirer les subventions destinées
au pain à un moment où les prix mondiaux du blé sont en
hausse. Même si je réserve le pain subventionné aux plus
démunis. Car, dans ce cas, je dis aux anciens bénéficiaires
: achetez votre pain à 50 piastres la galette (au lieu de 5
actuellement). Il faut attendre que le prix du blé baisse,
pour que la galette soit ainsi vendue à un prix abordable.
D’autant plus que l’Egypte importe entre 40 et 60 % de ses
besoins en blé, ce qui la rend très vulnérable face aux
fluctuations des prix mondiaux.
— Il y a un autre dossier, à savoir l’écart qui se creuse
davantage entre les revenus. Ne le trouvez-vous pas une
menace autant à la société qu’à l’économie ?
— Les réformes du gouvernement actuel ont créé des richesses
énormes chez quelques-uns, dont une partie est justifiée.
Pourquoi blâmer Naguib Sawirès
par exemple pour avoir cumulé des profits grâce à
l’expansion de ses affaires en Europe et ailleurs à un
moment où les télécoms avaient le vent en poupe ? Il faut
accepter des richesses extravagantes chez les uns.
Cependant, ce qui rend les gens outrés, ce sont les
richesses provenant de la corruption, du manque de
transparence. Certains avaient accès à des informations
intérieures, dont ils ont profité. Ces fortunes ont été
accumulées au détriment du bien-être de la population.
Personne ne peut accepter cela.
— Le gouvernement refuse de remédier aux inégalités des
revenus en imposant des taxes plus élevées aux plus riches,
bien que ce soit un remède revendiqué par le Fonds Monétaire
International (FMI). Qu’en dites-vous ?
— A chaque pays ses circonstances. Notre économie souffre de
l’évasion fiscale. Si l’on augmente les taxes destinées aux
plus riches, ces derniers fuient cela en versant des
pots-de-vin aux fonctionnaires des impôts. C’est pour cette
raison que la réforme fiscale en 2005 a réduit de moitié les
taxes sur les revenus des plus riches, les menant à 20 %.
Les recettes ont augmenté dès lors.
— Mais au prix d’un écart social alarmant …
— Je suis contre la hausse des taxes sur les revenus, car ce
sont des revenus que les gens ont accumulés lors de leur
travail et donc bien mérités. Je propose en revanche des
impôts sur les transactions des avoirs : les appartements,
les terrains et ainsi de suite. Là, les gens gagnent sans
effort, car le prix d’un bien qu’ils possèdent a augmenté.
— Le gouvernement de Nazif a été
au début très courageux en matière de réformes économiques
et législatives. Pourquoi le rythme a-t-il ralenti ?
— C’est partiellement vrai, mais voyons la longue liste de
réformes qu’il a introduite, notamment l’installation des
institutions de régulation indispensables à une économie
émergente comme l’Autorité de surveillance du secteur
monétaire, l’Autorité de lutte contre le monopole et celle
de protection du consommateur. La création de ces
institutions exige que l’on fasse passer les lois, former
les cadres et développer les compétences. Tout cela prend
beaucoup de temps.
— Quand le rythme est lent, cela ne vous rend pas démotivé ?
— L’Egypte a choisi en général une transformation
progressive de son économie. C’est pour épargner à la
population les effets négatifs d’une transformation rapide.
— Et les gens n’ont-ils pas souffert d’une transformation
trop lente ?
— Non, rien à comparer avec les Russes au début des années
1990, qui ont vécu des chamboulements dramatiques, des gens
qui meurent de faim, d’autres qui ont perdu leur maison.
— Des réformes lentes, ensuite des réformes gelées … Pas de
sortie alors ?
— Référez-vous au premier dossier : rétablir la confiance
avec la société. Je ne pourrai pas vous convaincre de
m’accompagner à une promenade si vous n’avez pas confiance
en moi. Baisser les subventions, par exemple, ou les
redistribuer exige que la population ait confiance qu’elle
n’en sera pas affectée. Toute réforme difficile va se
heurter au mur du manque de confiance.
— Contrairement à la confiance perdue vis-à-vis du
gouvernement de Nazif, les
recherches et les sondages du centre dépendant du Conseil
des ministres bénéficient d’une grande crédibilité. Comment
interprétez-vous cela ?
— L’indépendance de nos recherches et nos sondages est
assurée par un conseil d’administration formé de figures
éminentes et crédibles. Le centre a recours à des experts et
académiciens de toutes tendances.
Le modèle réussi du centre a incité plusieurs pays à
demander notre assistance pour la création de centres
similaires. Nous collaborons ainsi avec les gouvernements
syrien, iraqien et burundais.
Deux projets semblables suivront, avec la Zambie et
l’Erythrée. Je trouve qu’à travers ce genre de relations, le
centre joue le rôle de ce qu’on appelle dans les relations
internationales la « soft power ».
Propos
recueillis par
Salma Hussein