Président du Conseil national des droits de l’homme et ancien
secrétaire général de l’Onu,
Boutros Boutros-Ghali commente l’actualité de
l’Egypte et du Proche-Orient.
« Les
Etats-Unis sont le seul médiateur
dans le conflit israélo-palestinien »
Al-ahram
hebdo : Quel est le rôle que peut jouer le Conseil des
droits de l’homme pour élucider l’affaire de Nag Hamadi
entre coptes et musulmans ?
Boutros Boutros-Ghali : Le Conseil des droits de l’homme a condamné l’attaque
commise à Nag Hamadi. Une mission est partie samedi en
Haute-Egypte et notamment à Nag Hamadi sous la présidence de
Fouad Abdel-Moneim Riad, membre du tribunal pénal
international, et deux membres du Conseil des droits de
l’homme ainsi qu’un nombre d’experts. Cette commission a
présenté un rapport au Conseil afin d’étudier le dossier.
— Quelle est votre évaluation de l’action du Conseil national
des droits de l’homme ?
— Le Conseil national des
droits de l’homme a fait un grand chemin et aura besoin de
plusieurs années afin de parvenir à ses objectifs espérés,
d’autant plus que les droits de l’homme sont liés à la
démocratie. Et afin d’aboutir à la démocratie, nous avons
besoin d’un travail continu afin d’établir l’idée de
défendre les droits de l’homme et afin d’instaurer l’ordre
démocratique qui aidera au développement et à la défense des
droits de l’homme.
— La création par l’Egypte d’une barrière souterraine à sa
frontière avec la bande de Gaza a créé une vive tension avec
le mouvement islamiste du Hamas. Comment réagissez-vous à ce
développement ?
— Cette construction est
liée à la défense des frontières égyptiennes. Il est de
notre intérêt de bien garder nos frontières et à travers
cette gestion, nous pouvons présenter l’aide nécessaire aux
Palestiniens. Laissez-moi vous dire qu’il y a des étapes
différentes dans les relations égypto-palestiniennes. Il y a
des tensions vis-à-vis des derniers événements. Mais
n’oublions pas que Yasser Arafat a fait une grande fête,
comme si c’était une victoire, quand il a appris
l’assassinat du président Sadate. Beaucoup de crises entre
l’Egypte et la partie palestinienne existent depuis plus de
50 ans, mais nous constatons que dans les toutes dernières
années, les Egyptiens et les Palestiniens ont réussi à
dépasser leurs disputes parce qu’il y a réellement une vraie
solidarité entre les peuples palestinien et égyptien.
— Ces développements n’augurent rien de bien pour une
possible relance du processus de paix ...
— En fait, je suis
pessimiste vis-à-vis de l’avenir du problème palestinien
dans les prochaines années et cela pour trois raisons :
La première est que la
partie palestinienne est divisée : un gouvernement à Gaza et
un autre en Cisjordanie. Et quand il y a deux gouvernements
à cause d’une guerre civile ou à cause d’un différend, cela
affaiblit la position de la partie qui réclame
l’indépendance. La deuxième raison est que le gouvernement
israélien actuel est faible et exploitera cette dissension
palestinienne afin de ne pas présenter une vraie solution.
La troisième raison, et qui est la plus grave, c’est que
l’unique médiateur dans ce conflit qui dure depuis plus d’un
demi-siècle, les Etats-Unis, est absorbé par la crise
économique, par la situation en Iraq et en Afghanistan, par
les problèmes entre la Corée du Sud et la Corée du Nord, par
le dossier nucléaire en Iran ainsi que par un grand nombre
de problèmes en Amérique latine. L’Administration américaine
ne peut donc pas prêter une attention suffisante à la
résolution du problème palestinien et je pense que ce
problème perdurera malheureusement dans les années à venir.
A moins que l’on puisse réussir à réconcilier les deux
gouvernements à Gaza et en Cisjordanie.
— Les Nations-Unies et l’Union européenne ne peuvent-elles
pas compenser le manque du rôle des Etats-Unis vis-à-vis du
processus de paix ?
— Les Nations-Unies ne
peuvent pas jouer un rôle au Moyen-Orient et vis-à-vis de la
paix dans la région. Son rôle est marginal. Le même cas
s’applique à l’Europe. L’histoire a prouvé à travers plus de
cinquante années passées que le seul médiateur possible dans
ce conflit, ce sont les Etats-Unis. Il y a des conflits
internationaux qui nécessitent plus d’un médiateur, mais
d’autres conflits internationaux ne peuvent être résolus
pacifiquement qu’à travers un seul médiateur. L’Europe,
l’Asie et le tiers-monde sont des groupes qui ne peuvent pas
jouer le rôle de médiateur dans ce conflit.
— Le projet de l’Union Pour la Méditerranée (UPM) ne peut-il
pas jouer un rôle d’apaisement au Proche-Orient ?
— Ce projet est important
parce que l’Europe occidentale s’est intéressée à l’Europe
de l’Est aux dépens du Sud de la Méditerranée et je mets
l’accent sur des pays du Sud, comme l’Egypte, les pays du
Maghreb et de l’Afrique. L’intérêt de l’Egypte, de la France
et de l’Europe pour l’Union pour la Méditerranée est une
tentative pour balancer les choses et remédier à l’intérêt
de l’Union européenne pour l’Europe de l’Est aux dépens du
Sud de la Méditerranée qui est un prolongement naturel de
l’Europe. A l’avenir, l’Europe aura besoin d’une
main-d’œuvre qui viendra impérativement du Sud de la
Méditerranée.
— Il y a un regain égyptien pour l’Afrique en raison du
problème de partage des eaux du Nil. Comment évaluez-vous la
situation actuelle ?
— Nous devons nous
intéresser aux relations avec l’Afrique, puisque les sources
du Nil se trouvent dans les pays africains et qu’il n’y a
pas une autre source d’eau en Egypte à part le Nil. D’autre
part, l’Egypte est un pays africain, a une grande
responsabilité en Afrique et a participé à la libération de
tous les peuples africains jusqu’à leur indépendance.
N’oublions pas qu’en 1945, à la naissance des Nations-Unies,
il n’y avait que trois pays africains membres de cette
organisation : L’Egypte, l’Ethiopie et le Liberia. Les
autres pays africains étaient encore sous l’occupation
anglaise, française, portugaise ou espagnole. L’Egypte a
joué un rôle de leader dans les guerres de libération de
l’Afrique, que ce soit à travers les experts ou à travers la
livraison d’armes ou l’assistance diplomatique. Nous pouvons
dire que l’Afrique a obtenu son indépendance grâce à la
contribution du peuple, du gouvernement et du leadership
égyptiens.
Après la libération de
l’Afrique, nous avons vécu la période de la guerre froide et
le Mouvement du non-alignement. Mais la guerre froide s’est
terminée et notre intérêt pour le problème palestinien était
aux dépens de notre intérêt pour les questions africaines.
Nous espérons que notre cheval de bataille sera de nouveau
le continent africain.
— Quelle est votre vision du rôle de l’Egypte au sein de
l’Organisation de la francophonie et son avenir sous l’égide
du président Abdou Diouf ?
— L’Organisation de la
francophonie travaille avec efficacité. L’Egypte est un
membre actif au sein de cette organisation et à travers elle,
Le Caire peut consolider ses rapports avec les pays
africains, notamment les pays francophones. Il est de
l’intérêt de l’Egypte de participer à tous les organismes
internationaux intéressés au continent africain.
— Quelles pourraient être les priorités de l’Egypte en 2010 ?
— J’espère que la stabilité
régnera toujours en Egypte et que nous pourrons régler nos
problèmes. Il faut s’intéresser au problème de l’énergie et
commencer à construire des centrales nucléaires afin de
combler notre manque de pétrole. Il est impératif de
s’atteler au problème de l’eau et de l’explosion
démographique l
Propos
recueillis par
Aïcha Abdel-Ghaffar