Marché des dattes .
Depuis quelques années, les variétés de ce produit
portent les noms de personnalités publiques. Une tradition
qui se perpétue et qui révèle une sensibilité politique des
commerçants. Reportage.
Le
hit-parade des stars
Ce
marché aux dattes, situé dans la ville d’Al-Obour à la
périphérie du Caire, est un véritable hit-parade des
personnalités célèbres. Il suffit de s’y rendre pour
connaître la cote de popularité de tel ou tel homme
politique, telle star de cinéma ou vedette de football. A
l’entrée du marché, les commerçants ont installé leurs
marchandises. Des amas de dattes empilés sur des stands ou
dans d’énormes sacs en toile sont exhibés aux clients. Il y
en a de toutes sortes : dattes noires, rouges, jaunes ou
marron. Les variétés les plus prisées portent des noms de
personnalités populaires, celles de mauvaise qualité portent
des noms de personnalités impopulaires ou détestées des
Egyptiens. C’est ce qui fait la particularité de ce marché.
Un véritable baromètre de la popularité. Les années
précédentes ont vu défiler des noms comme celui de l’ancien
président américain George Bush (attribué à une mauvaise
variété de dattes bon marché), le secrétaire général du
Hezbollah libanais Hassan Nasrallah, considéré comme le
héros de la résistance libanaise face à l’offensive
israélienne et le président iranien Ahmadinejad, considéré
aussi comme un homme courageux qui défendait son droit avec
courage et qui ne voulait pas céder aux pressions
américaines sur le nucléaire. Il y a eu aussi le chef
d’Al-Qaëda Ossama bin Laden, dont le nom a été donné à une
variété de dattes longues et fines. Les actrices et les
stars de football n’ont pas été oubliées dans ce classement.
L’actrice Leïla Eloui, les deux chanteuses Haïfaa et Nancy
Agram n’ont pas été en reste.
Cette
année, certaines personnalités sont sorties de ce
hit-parade, d’autres ont fait leur apparition. Ainsi, on
remarque dès notre entrée au marché le nom du président
américain Barack Obama. C’est le nom attribué à une
excellente variété de dattes, la plus chère du marché. «
Cette variété se caractérise par sa couleur sombre, son
aspect moelleux et sa taille moyenne », explique Dessouqi,
marchand. Et d’ajouter que c’est la première fois qu’un
président américain occupe une bonne place au marché des
dattes. Car habituellement, les noms des présidents
américains sont attribués aux plus mauvaises et moins
onéreuses variétés de dattes. Mais cette année, les choses
ont changé. « Obama est proche de la rue égyptienne,
peut-être parce qu’il est noir et il a des racines
africaines et musulmanes », explique-t-il. Une autre
personnalité a fait cette année son entrée au marché des
dattes : le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu.
Son nom a été attribué à la plus mauvaise variété de dattes.
« Les dattes Netanyahu sont vendues à 2 L.E. le kg et s’il y
avait une variété plus mauvaise, elle aurait sans doute
porté son nom », indique Ismaïl, un autre marchand de dattes.
Baromètre des personnalités publiques
La datte
est un fruit très prisé des Egyptiens durant le mois du
Ramadan. Durant les premiers jours du mois sacré, le marché
aux dattes est pris d’assaut par des clients de toutes
sortes. Même comparée aux précédentes années, l’affluence
est moins importante. Outre les personnalités politiques,
les stars du football occupent une bonne place au hit-parade
du marché des dattes. Parmi elles, la vedette d’Ahli et de
la sélection Mohamad Abou-Treika. « Abou-Treika est l’une
des meilleures variétés de dattes. C’est la variété la plus
vendue ». Il y a aussi Al-Moufattech Corombo (l’inspecteur
Corombo), héros d’un jeu télévisé en dessins animés diffusé
sur la plupart des chaînes satellites et qui jouit d’une
grande popularité. Le nom de Corombo a été même attribué
cette année à une nouvelle forme de lanterne du Ramadan (fanous).
« Tout le monde suit le concours de l’inspecteur Corombo. Il
a attiré les grands et les petits. Les dattes Corombo sont
très sucrées et d’une grande taille. Elles se vendent à 25
L.E. le kg », affirme Abdallah, marchand. Et d’expliquer que
ces noms ne viennent pas par hasard. « Chaque année, les
grands marchands de dattes se rencontrent pour choisir les
noms des personnalités. C’est un moyen pour attirer les
clients et promouvoir les produits. Cette habitude existe
depuis les années 1980 », rappelle-t-il.
Le
marché des dattes se trouvait autrefois dans la région du
Sahel, près de la corniche, avant d’être déplacé à Obour.
C’était autrefois un lieu desservi par les bateaux qui
venaient de la Haute-Egypte en remontant le Nil, remplis de
dattes. Au fil des années, le port a disparu et les bateaux
ont été remplacés par des camions pour la livraison des
marchandises. Des commerçants venus des quatre coins de
l’Egypte s’y rendent pour vendre leurs marchandises.
Autrefois, les différentes variétés de dattes avaient leurs
propres noms et n’étaient pas appelées d’après les noms des
personnalités politiques ou artistiques. Il y a deux ans, le
gouverneur du Caire a décidé de déplacer le marché à Souk
Al-Obour, soulevant les protestations des marchands qui ne
voulaient pas quitter leurs anciens locaux. Les forces de
police ont dû intervenir pour les déloger. En guise de
représailles, les marchands ont décidé de donner le nom du
ministre de l’Intérieur Habib Al-Adly à la plus mauvaise
variété de dattes.
Défouloir des commerçants
« Ce
phénomène montre que les Egyptiens sont sensibles à ce qui
se passe dans la région et dans le monde », note Bilal Fadl,
journaliste, écrivain humoristique et auteur de plusieurs
articles sur le sujet. Il ajoute que cette tendance est
apparue après les attentats du 11 septembre alors que le
sentiment anti-américain était très fort. Le phénomène peut
également avoir une signification au niveau de la liberté
d’expression. On peut dire que ce qui se passe au marché de
dattes est une arme populaire très puissante. C’est un lieu
où s’expriment les sentiments des Egyptiens.
Sabah
Sabet