Palestine .
Le Fatah a entamé mardi à Bethléem son 6e congrès. Trois
jours durant, les quelques 2 000 délégués se pencheront sur
des questions clés comme la restructuration du mouvement,
les luttes interpalestiniennes et la relation avec l’Etat
hébreu.
Le
renouveau ou la mort
C’est
dans un contexte des plus difficiles mais aussi un contexte
nouveau que s’est ouvert mardi à Bethléem le 6e congrès du
Fatah, le premier depuis 20 ans et le premier tenu en
territoire palestinien. Mais avec une direction minée par
les divisions, affaiblie par sa déroute face aux islamistes
du Hamas à Gaza, et avec un processus de paix au point mort,
la tâche s’annonce difficile. Et les défis grandioses. Il
s’agit donc d’une rencontre cruciale, voire historique. Soit
le Fatah se montre capable d’opérer les réformes, le
rajeunissement et les changements nécessaires, soit il
poursuit son déclin et devient simplement le parti de
l’Autorité palestinienne, sans avoir réalisé ses objectifs
de libération nationale. Et dans ce cas, les divisions
palestino-palestiniennes s’accroîtront, que ce soit au sein
du Fatah lui-même ou entre ce dernier et le Hamas.
D’ores
et déjà, à la veille du congrès, le climat s’est tendu un
peu plus entre ces deux partis, le Hamas ayant interdit aux
membres du Fatah basés dans la bande de Gaza de se rendre en
Cisjordanie. Sur ces quelques 400 membres du Fatah, seulEs
une douzaine a réussi à se rendre à Bethléem. Et le Hamas a
annoncé que ceux-ci seraient traduits en justice « dès leur
retour » pour avoir bravé l’interdiction imposée par le
mouvement islamiste de quitter la bande de Gaza. Le Hamas,
qui contrôle ce territoire, exigeait au préalable la
libération de ses prisonniers détenus par l’Autorité
palestinienne comme condition à un feu vert à la
participation des délégués du Fatah de la bande de Gaza à
leur congrès. Une condition qualifiée de provocation par le
mouvement du président Mahmoud Abbass. Une fois de plus donc,
aucun accord n’a été obtenu entre les deux parties. Et le
ton est monté : un responsable du Fatah a menacé le Hamas de
nouvelles arrestations. Cette menace « ne réussira pas » à
ébranler le Hamas, a rétorqué un de ses leaders, Sami
Abou-Zourhi. Réplique de Raëd Radouane, responsable du Fatah
à Ramallah, l’attitude du Hamas enfonce « le dernier clou
dans le cercueil du dialogue » entre les deux mouvements en
cours au Caire depuis des mois et qui doit reprendre le 25
août. Un dialogue qu’Ismaïl Haniyeh, dirigeant du Hamas, a
tout simplement menacé de boycotter si le Fatah ne libérait
pas des partisans du mouvement islamiste détenus en
Cisjordanie.
L’épreuve ne fait que confirmer un peu plus, voire
approfondir, les divisions entre le Fatah et le Hamas, qui
sont à couteaux tirés depuis que le Hamas s’est emparé de la
bande de Gaza en juin 2007, délogeant les forces loyales à
M. Abbass après dix-huit mois de coexistence houleuse au
pouvoir.
Clivages
internes
Mais il
ne s’agit pas que de cela. Au sein du Fatah également, ce
n’est pas le beau temps. Le mouvement est parcouru par des
clivages internes concernant la conduite des négociations
avec Israël, le degré d’activisme à observer vis-à-vis de
l’Etat juif, la démocratie interne et le renouvellement
générationnel.
Le
principal clivage interne oppose les réformistes, issus de
la lutte armée sur le terrain, puis de la négociation avec
Israël, à l’« establishment » privilégié de la diaspora, qui
n’est revenu en Palestine qu’à la suite des accords
d’autonomie conclus à Oslo en 1993. Tout-puissant du temps
de Yasser Arafat, le Fatah a commencé à se lézarder après sa
mort en novembre 2004, faisant le lit du Hamas, qui a
remporté en 2006 la majorité absolue au Conseil législatif
palestinien, ouvrant une ère d’affrontement entre les deux «
frères ennemis ». Le Fatah est aussi tenu par beaucoup de
Palestiniens pour responsable de la corruption et de
l’insécurité qui ont sévi dans les territoires palestiniens,
avant que l’Autorité palestinienne ne se décide à les
combattre sérieusement ces dernières années. Le mouvement
nationaliste cherche ainsi à retrouver quelque crédibilité
aux yeux des Palestiniens, qui lui reprochent aussi le
maigre résultat des concessions successives faites à Israël
durant les négociations passées.
En effet,
aujourd’hui, le Fatah ne contrôle que la Cisjordanie et sa
ligne politique prônant un règlement négocié du conflit avec
Israël après des années de lutte armée ne cesse de perdre en
crédibilité, faute de progrès dans les négociations de paix.
Au cours de ce congrès de trois jours, les quelques 2 000
délégués doivent renouveler le Comité central et le Conseil
révolutionnaire, principales instances du Fatah, et adopter
un nouveau programme politique. Si le président de
l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbass est assuré d’être
reconduit comme chef du mouvement, la composition du nouveau
Comité central de 21 membres, qui seront élus par les
délégués, fait l’objet de toutes sortes de pronostics. Ainsi,
une partie des « éléphants » qui font partie de l’actuel
Comité central, devraient céder la place à des plus jeunes.
Le secrétaire du général du Fatah en Cisjordanie emprisonné
en Israël, Marwan Barghouthi, l’ex-chef de la Sécurité
préventive, Jibril Rajoub, l’ex-homme fort du Fatah à Gaza
et « chouchou » des Américains, Mohammad Dahlane,
apparaissent comme les prétendants les plus sérieux. Quant
au Conseil révolutionnaire, il compte 120 membres, dont la
majorité sera élue par les délégués et le reste désigné par
le nouveau Comité central.
A cela
s’ajoutent les querelles entre les ténors du Fatah qui ont
contribué au déclin du mouvement et qui se sont exacerbées
ces dernières semaines lorsque son secrétaire général et
l’un des fondateurs du parti, Farouq Qaddoumi, a
publiquement accusé M. Abbass d’avoir comploté avec Israël
pour éliminer Yasser Arafat.
Garder
l’essence du texte fondateur
Reste la
question d’un nouveau programme politique. Selon des
responsables du parti, le Fatah du président de l’Autorité
palestinienne devrait approuver la solution à deux Etats,
mais ne pas exclure la possibilité d’une « lutte armée »
contre Israël, ni l’éventualité d’une déclaration
unilatérale de création de l’Etat palestinien en Cisjordanie
et dans la bande de Gaza. Le texte fondateur du Fatah, créé
en 1965 par Yasser Arafat, appelle à la lutte armée «
jusqu’à ce que l’entité sioniste soit supprimée et la
Palestine libérée ». Pour Nabil Chaath, vétéran du Comité
central du Fatah, la charte « ne peut pas être modifiée ». «
Elle restera en l’état. Cela ne sera pas sujet à discussion
», a abondé Azzam Al-Ahmad, autre haut dirigeant du
mouvement. Cependant, le projet de nouveau programme
préconise de nouvelles formes de résistance, notamment la
désobéissance civile contre les implantations juives en
Cisjordanie occupée ou la barrière de sécurité érigée par
Israël. Le président de l’Autorité palestinienne s’est
retiré des pourparlers de paix avec l’Etat juif après
l’offensive des forces israéliennes en décembre et janvier
derniers dans la bande de Gaza. Les discussions ne
reprendront que si le gouvernement de Benyamin Netanyahu
accepte de geler les activités de colonisation, a déjà
prévenu Mahmoud Abbass, soutenu en ce sens par les
Etats-Unis et l’Europe. Aussi, le projet du programme
politique réaffirme le « refus de reconnaître Israël en tant
qu’Etat juif », comme l’a exigé M. Netanyahu. Le programme
du Fatah affirme en outre la volonté des Palestiniens de «
reprendre l’initiative afin de sortir les négociations de
paix de l’impasse, soulignant que la base des négociations
avec Israël doit être l’initiative de paix arabe ». « Nous
espérons que nos voisins nous permettront d’arriver à la
paix pour construire l’avenir de notre Etat qui vivra aux
côtés de leur Etat dans la paix et la sécurité », a dit
Abbass à la veille du congrès. Mais à ce sujet, rien n’est à
espérer avec l’actuel gouvernement israélien. Pour les
Palestiniens, le plus important est plutôt de rassembler
leurs rangs, au sein du Fatah et avec les autres factions.
Faute de quoi une implosion interne aux conséquences fatales
sera inévitable .
Abir
Taleb