Gouvernement.
Ahmad Nazif, qui en est à la tête depuis 5 ans, est crédité
d’un bon bilan économique. Mais nombreux sont ceux qui lui
reprochent de ne favoriser que l’élite et d’ignorer les
classes défavorisées.
Un
chef de gouvernement très sélect
Une
nuit de juillet 2004, Ahmad Nazif reçoit un appel du chef du
cabinet présidentiel, Zakariya Azmi. Un peu plus tard, c’est
le président en personne qui le contacte pour lui annoncer
la nouvelle : le ministre des Communications est désormais
premier ministre.
C’était
le jour de son anniversaire et Nazif ne pensait pas qu’il
allait recevoir un cadeau pareil. « Je savais qu’il y avait
quelque chose qui se préparait. J’étais proche du chef du
gouvernement Atef Ebeid et on parlait d’un prochain
remaniement ministériel », se souvient Ahmad Nazif dans un
entretien à la télé égyptienne, 5 ans après sa prise de
fonction.
Le
chef d’Etat revenait d’un voyage médical en Allemagne et
demande à M. Nazif de rester discret pour le moment. C’est
l’effet-surprise que le président Moubarak aime faire
planer.
Cette
semaine, Nazif décide de quitter pour une journée le « Smart
Village », ce Silicone Valley cairote d’où il gère l’Egypte,
et arrive dans les locaux du Conseil des ministres sur
l’avenue Qasr Al-Aïni, juste en face du Parlement, pour
célébrer ses 59 ans et ses 5 ans à la tête du gouvernement.
Autant
que Nazif lui-même, personne ne s’y attendait. A l’époque,
c’était surtout un ministre au profil plutôt bas, on le
surnommait M. Internet, puisqu’il avait fait de la nouvelle
technologie son cheval de bataille. Et le peu de fois qu’il
apparaissait sur l’écran de Télévision, c’était souvent pour
inaugurer des « Internet mall », ces centres commerciaux qui
vendent ordinateurs et leurs accessoires.
Né deux
semaines avant la Révolution qui mettra fin à la dynastie
royale, il est certes le premier ministre le plus jeune de
l’histoire du pays. Il assure le poste alors qu’il n’a que
54 ans, et cet ingénieur de formation cherche désormais à
véhiculer l’image de l’homme de la modernisation. « L’homme
de confiance », comme cela a toujours été la règle depuis
1952, cède la place au « technocrate ». N’avait-il pas
travaillé dans le secteur privé, notamment dans
l’Informatique ?
Ainsi,
depuis sa nomination en 2004, puis sa reconduction après les
présidentielles et législatives, fin 2005, le gouvernement
Nazif a été surnommé « le gouvernement électronique ».
Un club
de l’économie
En cinq
jours seulement, il forme son cabinet. « L’objectif du
remaniement était l’économie, ainsi un ministère de
l’Investissement a été créé, l’Industrie a fusionné avec le
ministère du Commerce », explique le chef du gouvernement
dans son intervention télévisée.
Il mène
des consultations avec le ministre de l’Economie de l’époque
Youssef Boutros-Ghali, qui devient plus tard en charge du
portefeuille des Finances. Une sorte de mini-cabinet est
formé, dit le « groupe économique ». Quatre ministères
dirigent de facto le pays : ceux des Finances, de
l’Investissement, de l’Habitat et de l’Industrie. C’est
d’ailleurs parmi ce cercle qu’on cherche quand on pense à un
remaniement ministériel.
Les
ministères de ce « groupe économique » ont ainsi procédé à
une série de mesures en faveur des investisseurs : une
réduction des taxes douanières, une réforme du secteur
bancaire, une stabilisation du marché des changes.
Des
mesures qui ont porté leurs fruits selon beaucoup
d’économistes. La croissance a ainsi atteint 7,2 % pour
l’année fiscale 2006/2007 et les investissements étrangers
directs ont atteint 11 milliards de dollars en 2006/2007,
puis ont grimpé à 13 milliards en 2007/2008. « Un chiffre
record qui constitue 9 % du PIB », assure Samir Radwane,
économiste et coauteur du Rapport égyptien sur
l’investissement. Le secteur pétrolier a le plus profité de
ces « exploits », comme il convient au gouvernement de les
appeler, en attirant 28 % de ces investissements suivi de
l’industrie avec un peu plus de 12 %. Le secteur agricole
qui accueille 28 % de la main-d’œuvre n’a pourtant profité
de ces investissements étrangers que de 7 %.
Le
peuple ignoré
Selon ce
rapport, « le Trickle-Down Effect » n’a pas eu lieu. C’est à
dire, en termes moins spécialisés, que « cette performance
de l’économie égyptienne ne s’est pas reflétée sur le
quotidien des Egyptiens. Les pauvres sont devenus plus
pauvres et les plus vulnérables se sont approchés encore
plus du seuil de la pauvreté », dit le texte.
Et c’est
là que réside la fameuse critique avancée contre Ahmad Nazif.
« La tendance sociale du gouvernement », comme l’appelle
Abdel-Ghaffar Chokr du parti de gauche Al-Tagammoe. « Nazif
agit dans l’intérêt d’une certaine classe sociale, celle des
hommes d’affaires. Les réformes qu’il a entreprises vont
directement dans les comptes d’une tranche qui s’enrichit
davantage, retirant aux plus pauvres les acquis qu’ils
avaient cumulés au fil des années », dit Chokr.
Les cinq
ans de Nazif ont été également placés sous le signe de la
crise : pénurie de l’eau, crise de la faim, multiplication
des accidents, grippe aviaire, grippe porcine et multiples
grèves. Apolitisé, Nazif peine à convaincre.
« Il
aurait pu bien être le président d’une banque ou un chef
d’entreprise et non un chef de gouvernement », croit le
politologue Diaa Rachwane. « Il n’a aucune relation avec la
politique », ajoute-t-il. Ses déclarations en témoignent,
selon ses opposants, c’est comme s’il parlait d’un autre
pays. On retient deux interventions assez insolites : l’une
en pleine année électorale, dans laquelle il affirme que «
le peuple égyptien n’est pas encore mûr pour pratiquer la
démocratie », l’autre est plus récente et dans laquelle il
invite les jeunes « à abandonner l’idée du piston », car
dit-il « le gouvernement ne reconnaît pas les pistons ».
Des mots
qui suscitent la foudre des critiques, ce qui explique en
partie ses interventions rarissime.
Un homme
posé et discret
Abdellatif Wahab est un journaliste travaillant pour
l’hebdomadaire de gauche Al-Ahali, et cela fait 12 ans qu’il
couvre le Conseil des ministres et a vu se succéder au poste
trois premier ministres. Il affirme que la chose qui
distingue le plus Nazif par rapport à ses prédécesseurs : «
C’est son calme. Ce n’est pas quelqu’un qui se met
facilement en colère. Il parle peu et ne répond presque
jamais aux critiques avancées dans la presse, surtout si
celles-ci le touchent en personne ». Le journaliste explique
ainsi comment le chef du gouvernement n’a saisi aucune
occasion pour réfuter des accusations dans la presse, « sur
le nombre de ses propriétés, un chalet ici, un appartement
là et une maison je ne sais où. Jamais, il n’aborde la
question ou essaye de se défendre. C’est l’intrusion dans sa
vie personnelle qui l’irrite le plus ».
Cela
faisait 3 ans, peut-être un peu plus, que sa femme était
malade, mais très peu de personnes étaient au courant. Les
autres ne l’ont appris que le jour de son décès et son
déplacement en France pendant quelques jours pour
l’accompagner à l’hôpital avait échappé à la presse.
Il est
bien apprécié par le chef de l’Etat, « car c’est un bon
fonctionnaire », explique Rachwane. Mais le courant entre
lui et l’Egyptien ordinaire ne passe pas.
Samar
Al-Gamal