Initiative.
Damiette,
ville connue pour ses fabricants de meubles, a décidé
d’apporter une assistance à Gaza, à sa manière. Du mobilier
pour 140 chambres d’un coût d’un million et demi de L.E. a
été confectionné pour être offert aux Gazaouis. Les meubles
restent en attente d’une permission de passage à l’autre
côté de la frontière. Reportage.
L’ameublement impossible
Cette
ville, si caractéristique et connue pour son mobilier
artisanal de qualité, n’a pas manqué de subir le choc des
massacres israéliens perpétrés à Gaza. Et si la vie a repris
dans les zones sinistrées, le décor n’a pas changé. Les
ruines sont toujours là, témoins de la fureur destructrice
des tirs. Quatre mois après le cessez-le-feu, la situation
n’a pas changé pour les 1,5 million d’habitants. 4 000
maisons ont été détruites et 17 000 endommagées. On estime à
environ 120 000 le nombre de personnes directement affectées
par les destructions massives. Des destructions
considérables ont été causées aux infrastructures, hôpitaux,
ambulances, écoles, mosquées, terres agricoles, etc. Et les
Gazaouis attendent toujours que les choses bougent. Une idée
autant pratique qu’emblématique est alors née au sein du
Comité de secours de l’ordre des Médecins à Damiette. Faire
don de meubles aux habitants de Gaza. Elle a été accueillie
chaleureusement par l’ensemble des habitants, notamment les
commerçants, les hommes d’affaires et beaucoup d’autres
bénévoles. Une fois le projet annoncé, les donations et les
offres d’aides ont afflué. « Des gens nous ont même apporté
leurs bijoux pour aider les Gazaouis », dit Saber Azzaq,
président de l’ordre des Médecins à Damiette.
Le Dr
Hassan Morsi, médecin, membre du comité de secours et le
premier à avoir lancé l’idée, explique qu’il fallait
fabriquer des meubles adaptés aux conditions de vie des
habitants. « Nous avons pris contact avec des Gazaouis et
fait certaines recherches. Nous avons donc décidé de
fabriquer des meubles, très simples, mais d’une bonne
qualité. Des pièces standard pouvant convenir à n’importe
quel endroit. Des meubles faciles à transporter en cas de
danger et de déménagement », explique Morsi.
L’idée a
ensuite fait son chemin au sein des ONG qui travaillent à
Gaza, et surtout auprès des jeunes qui cherchent à se marier
ou même les médecins qui cherchent à équiper leurs cliniques.
« Des appels téléphoniques nous annonçaient chaque jour
l’ampleur du besoin, d’autres pour savoir quand arriveraient
les meubles », explique Ahmad Al-Nahri, propriétaire d’un
des points de vente de meubles et un des responsables de la
mise en marche de ce projet à Damiette.
Le
gouvernorat de Damiette n’était pas à sa première action en
faveur de Gaza. Durant la guerre, il a envoyé une vingtaine
de camions chargés de produits alimentaires et de
médicaments d’une valeur d’un million et demi de L.E., en
plus de cinq ambulances. Cette fois-ci, il a consacré trois
ateliers pour fabriquer 4 différentes formes de pièces qui
peuvent servir à meubler des chambres à coucher, des
chambres d’enfants, ou servir d’équipements pour des
cliniques. Et depuis, les menuisiers de Damiette travaillent
d’arrache-pied. Entourés de bénévoles très enthousiastes,
ils font des heures supplémentaires pour fabriquer le tout
en un temps record.
Une
action nationale
Les
meubles Al-Salam, Soufian pour les meubles, Haroun
Furnitures, etc. Du siège de l’ordre aux ateliers de
fabrication, le chemin est long en passant par des
innombrables ateliers et points de vente de meubles qui
côtoient des pâtisseries, deuxième spécialité de Damiette.
En
s’approchant du portail d’un des fameux ateliers de Damiette
et qui a contribué à une grande part du projet, les ouvriers
sont dispersés. Certains prennent leur déjeuner, d’autres
profitent de l’occasion pour jouer un match de foot, tandis
que Réda fait une petite tournée avec sa bicyclette. Un
temps sacré de repos, dans une ville où le travail est
presque une pratique religieuse. Mais ces moments de repos
ont été même sacrifiés lors de la fabrication des meubles
destinés aux Gazaouis, comme l’explique hag Atteya,
directeur de l’usine.
Et en
sciant une planche de bois ou en faisant des gravures sur
une autre, les artisans parlent avec beaucoup de fierté de
leur participation au projet. Ici, 120 sur 300 y ont
participé en fabriquant 80 pièces en 40 jours. Abdo explique
qu’il travaillait de tout son cœur comme s’il fabriquait ses
propres meubles. « Personne n’a raté les images atroces des
bombardements diffusées dans les médias, je voulais à tout
prix défendre les Gazaouis. Ne pouvant me servir d’un fusil,
avec mon savoir-faire et mon métier je me suis dit que je
peux les aider », affirme Abdo avec l’enthousiasme d’un
soldat sur le champ de bataille. Des meubles fabriqués en
hêtre, un bois de grande qualité comparable aux meubles
exportés, mais avec un coût de fabrication moins cher, comme
l’explique hag Atteya. Des pièces qui se vendent au marché à
5 500 L.E. et 4 500 L.E. et qui ont coûté 4 100 L.E. et 2
900 L.E. Quand à Mohamad Ibrahim, il dit que c’est la
moindre des choses à offrir à un peuple qui combat pour
survivre. « Ils ont été désespérés, déchirés et expulsés de
leurs maisons », ajoute un des artisans qui a sacrifié des
heures de travail pour terminer avant le temps prévu. Et
avant le premier avril, date de la livraison du mobilier,
les usines avaient terminé de fabriquer les meubles. Des
armoires, des lits, des chaises, des bureaux ont été
emballés et entreposés dans les lieux de stockage attendant
une autorisation pour être livrés.
A quand
la livraison ?
Des
contacts ont été pris avec les autorités et le
Croissant-Rouge égyptien pour permettre à ce mobilier d’être
acheminé vers Gaza. Cependant, et comme l’explique Ahmad
Al-Nahri, aucune des promesse faites n’a été tenue. « Ils
nous ont promis de livrer les meubles à la mi-avril, mais
les jours passent et rien n’a été fait », explique Al-Nahri,
qui n’arrive pas à répondre aux interrogations des
propriétaires des usines qui se demandent quand ces meubles
arriveraient à destination. Une seule réponse de la part du
gouverneur du Nord-Sinaï. « Je n’ai pas reçu d’instructions
pour les faire passer de l’autre côté des frontières », dit
Al-Nahri.
Et même
si la Conférence pour la reconstruction de Gaza a donné une
lueur d’espoir aux Damiettois, rien de nouveau ne profile à
l’horizon. « 80 pays et organisations ont adopté un plan de
reconstruction promettant 4,5 milliards de dollars d’aide
pour les gens de Gaza, lors de la conférence du 2 mars à
Charm Al-Cheikh, mais rien n’a été fait. Et même si le
communiqué final a appelé à l’ouverture immédiate, totale et
inconditionnelle de tous les points de passage, aucune
reconstruction n’a eu lieu. Les sinistrés vivent toujours
sous des tentes », s’indigne Al-Nahri, en ajoutant qu’il
pensait que le projet de Damiette allait de pair avec celui
de la reconstruction à Gaza. Cependant, deux mois se sont
écoulés sans qu’il y ait de relance. Une longue attente qui
a déçu les gens de Damiette craignant que les meubles ne
s’abîment. « Laisser des meubles vernis longtemps en
stockage risque de les abîmer, surtout avec la chaleur de
l’été. Les matières premières ont besoin de respirer. En
plus des risques d’incendie dans les lieux de stockage. Nous
ne les avons pas fabriqués pour les stocker », déplore
Nasser Chaaban, propriétaire d’un atelier. Une déception qui
a freiné la campagne de soutien pour Gaza, alors que les
menuisiers avaient même projeté de fabriquer des portes et
des fenêtres pour les maisons endommagées. « Comment
demander aux gens de faire encore des efforts tant qu’ils ne
voient pas les fruits de leur travail remis aux
destinataires ? », s’interroge Hassan Al-Morsi qui, lui
comme d’autres responsables des projets de soutien, ne cesse
de suivre les nouvelles, espérant l’ouverture des
frontières. « Les tentatives de réconciliation entre le
mouvement islamiste et son rival du Fatah ont jusqu’à
présent échoué en dépit des efforts du médiateur égyptien ».
Pendant ce temps, les gens de Damiette attendent une
décision politique autorisant l’ouverture des frontières et
permettant aux Gazaouis de recevoir les meubles de Damiette.
Doaa
Khalifa