Al-Ahram Hebdo, Enquête | Des jeunes dans la tourmente
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 6 au 12 mai 2009, numéro 765

 

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Enquête

Emos. Le mot a fait son apparition au milieu d’un étonnement général. Interrogations, indignation, choc. Les 9 000 ados, dont on ne soupçonnait même pas l’existence et qui se revendiquent de la tendance emo, se sont vus projetés au devant la scène.

Des jeunes dans la tourmente

Pas grand monde connaissait le mot « emos » en Egypte, jusqu’au jour où, pour la première fois lors de l’émission télévisée Al-Haqiqa de l’animateur Waël Al-Ibrachi, un jeune ado se revendiquant de la tendance s’est exprimé. C’était quelques jours avant l’apparition un beau matin de mystérieux graffitis représentant l’image d’une personne, sans tête, tenant un balai à la main, sur les trottoirs d’une rue centrale dans le centre-ville du Caire. Tout remonte à trois semaines. Pendant l’enquête de la police sur cette affaire insolite où l’on a commencé à penser à un acte provenant d’un groupe d’opposition politique, un groupe se faisant appeler emos a revendiqué le lien avec les graffitis. Pour finir, il n’en était rien mais le mot emos a, lui, fait des vagues. Manchettes de journaux et émissions de télé ont pris le relais. S’en est suivi tout un tollé taxant ces emos, tous des adolescents, de tous les noms et ils ont dû tous se retrancher loin des yeux. Leur nombre dépasse les 9 000 personnes et 53 groupes les rassemblent sur le Facebook. Chérif Orabi, 19 ans, est considéré comme le père spirituel des emos en Egypte et le premier qui a eu l’idée de rassembler les emos d’une façon périodique dans les différents centres commerciaux comme City Stars. Il a découvert l’emo à travers Internet, puis il a commencé à lire des livres pour connaître tout sur leurs idées et leur doctrine. Selon lui, être emo, c’est avant tout une attitude et un style. L’attitude d’abord : souvent des ados pas très optimistes, qui broient du noir, se sentent incompris par leurs parents ou détestent cette société, veulent exprimer leurs sentiments. Le look arrive par la suite. « Chaque ado trouve son propre style pour définir son identité. Moi, j’écoute de la musique emo depuis quatre ans. Je ne suis ni dépressif, ni maniaque et je n’ai jamais voulu ni me suicider ni tuer personne. Je suis mélancolique, c’est tout. Pourtant, il est dommage que nous les emos, soyons vus comme des individus dangereux à cause de notre look. Nous ne sommes pas des homosexuels, ni des adorateurs de Satan, nous manifestons seulement notre vécu. Il n’est pas question de criminalité, donc pas besoin de nous attaquer de la sorte », souligne Chérif, en faisant allusion aux attaques dont il a fait l’objet lui et ses deux amis après leur apparition dans l’émission télé.

Car depuis, rien ne va plus pour eux, ils ont été reconnus par leurs parents, leurs voisins et les habitants de leur quartier. Ces derniers ont compris seulement après cette émission pourquoi ces ados s’habillaient bizarrement et avaient l’air de porter la misère du monde sur leurs épaules. Ils ont même compris le sens du mot emo. Emo = homo. Emo = super efféminé, emo = pleurnicheur.

Résultat, Chérif et ses deux amis ont dû revenir sur les plateaux de cette émission avec un nouveau look, après avoir été frappés et insultés. Ils se sont rasé les cheveux et ont mis des vêtements ordinaires. « Se faire rouer de coups parce qu’on a osé changer de style ? Non, mais où va le monde ? Si on devait frapper chaque personne dont on n’apprécie guère le style, c’est la catastrophe. Ce n’est pas aux autres de dicter comment chacun doit s’habiller ou se coiffer. Si certains n’apprécient pas, tant pis, mais il n’est pas utile de recourir à la violence pour exprimer nos goûts. Chaque époque a eu son style particulier : hippie, punk, grunge ou autre », lance-t-il.

Ni les parents ni la société ne comprennent pourquoi des adolescents à la fleur de l’âge sombrent dans un mouvement qui prône la mélancolie et les idées noires. Une mère raconte que le jour où elle a trouvé le terme « emo » inscrit sur le bras de sa fille adolescente, elle n’a pu contenir sa colère, pensant que c’est le prénom de son amoureux. Le mot a été tatoué. Après une longue discussion, la mère finit par comprendre ce que emo voulait dire. Elle a préféré le dialogue plutôt que la punition ou la violence. Et elle a décidé de se rapprocher de sa fille pour lui montrer que la vie c’est autre chose que de broyer du noir, sans cesse.

Cependant, être emo est souvent pour ces adolescents une phase dans la classique recherche identitaire à cette période de la vie. « Nous sommes jeunes et avons besoin de vivre des sensations fortes, de tester nos limites », dit Cherry Magdi, 18 ans, qui vient de sortir d’une mauvaise expérience amoureuse. Déprimée, elle s’est isolée du monde et a même pensé au suicide. Et c’est sur le Facebook qu’elle a fait connaissance d’un groupe emo. Fascinée, elle décide de se joindre à eux. « J’ai décidé d’être une fille emo, car j’ai découvert qu’ils éprouvaient les mêmes sentiments de tristesse que moi. En plus de leur style vestimentaire qui m’a séduit et qui n’est pas répandu chez les jeunes à l’université, j’ai été marquée par leur extrême émotivité. Cette sensibilité à fleur de peau qui pousse les emos à exprimer leurs sentiments avec liberté : ils pleurent, crient et rient à haute voix devant les gens et sans éprouver aucune honte », explique-t-elle tout en ajoutant qu’elle ne sait rien au sujet de l’automutilation, mais qu’elle a entendu dire que les emos se mutilaient car ils pensent que la douleur physique prédomine et traite l’état psychique. Quant à elle, elle se contente d’écouter de la musique à fond, fumer et danser. Cherry confie aussi avoir rencontré au début des difficultés à trouver des vêtements ou accessoires d’inspiration emo mais peu à peu, ces modèles sont devenus disponibles dans les magasins de prêt-à-porter au Caire.

Les jeunes de la tendance emo, c’est-à-dire des vêtements noirs, avec quelques touches de couleurs vives, peignent leurs chambres en noir et écoutent de la musique heavy metal. Ils sont plutôt extravertis, limite exhibitionnistes, ils voient la vie en noir, pensent beaucoup à la mort. Il arrive de rencontrer ce genre d’adolescents dans les rues. Et c’est facile de les reconnaître grâce à leur grande mèche de cheveux, teinte en noir, qui couvre leur visage et ne laisse apparaître qu’un seul œil. Des jeunes au look mi-gothique mi-punk avec une prédominance de noir, des piercings, un maquillage charbonneux pour se donner une note « androgyne » ou « efféminée ». Ils portent des t-shirts cintrés à slogans, des badges, du jean slim, de la rayure et des lunettes à montures larges. Ils portent parfois des menottes attachées à leur slims (pour les emos androgynes) ou des minijupes léopard rose (pour les emos féminins).

Le terme « emo » désignait à l’origine l’« émotionnel hard rock » qui est un courant musical venant du milieu des années 1980, précisément de la scène rock de Washington D.C. Mélange de heavy metal, hard rock et de punk, le son est caractérisé par un chant exprimant la mélancolie et la tristesse, des textes plus introspectifs que dans le heavy metal, ou un adoucissement des mélodies en réponse au courant métal. Dr Hanane Salem, sociologue, décrit ce problème typique des adolescents comme une rébellion contre les adultes. Pour elle, la cause en est les parents qui négligent leurs enfants ou ne discutent pas avec eux de leurs problèmes. Surtout que les adolescents à cette tranche d’âge cherchent souvent à se démarquer. Ils aiment aussi faire partie d’une communauté, ce qui leur permet de sentir qu’ils appartiennent à une même famille. « Le danger ne réside pas dans ce phénomène d’imitation, essentiellement vestimentaire. Car c’est uniquement un épiphénomène qui disparaîtra comme il est venu. Mais le vrai risque est dans les pensées suicidaires observées chez une partie des adeptes de ce courant, et la véritable inquiétude sur les dérives potentielles de ces jeunes en détresse », explique-t-elle. Le psychologue Hicham Adel Sadeq partage le même avis. D’après lui, l’emo souffre ou croit souffrir en permanence. C’est un martyr des temps modernes et en tant que tel, il peut passer au suicide. Et c’est ainsi que la société qui n’est pas au bout de ses peines doit faire face encore une fois à un phénomène culturel étranger.

Chahinaz Gheith

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