Comportements.
Les
Egyptiens ont changé de nature durant les dernières années.
C’est ce que souligne une étude réalisée par le centre
d’informations du Conseil des ministres et qui révèle une
dégradation alarmante de la conduite des Egyptiens ainsi que
des valeurs de la société. Une réalité prouvée par les faits
de tous les jours.
Qu'est-il arrivé aux Egyptiens ?
L’esprit
ailleurs, des gens flânent dans les rues comme des
mannequins sans âmes. Ils font des gestes mécaniques et sont
pris par des crises de colère pour des futilités. Des
disputes éclatent et peuvent mener les gens à commettre des
crimes. Des injures, des coups portés à l’arme blanche. Des
gens sont là, témoins de la scène d’un homme suivant les pas
d’une jeune fille. Il la harcèle sans que personne
n’intervienne pour la secourir. D’autres regardent un
mécanicien qui frappe violemment un petit garçon travaillant
chez lui comme s’ils assistaient à une scène d’un film et
sans que personne ne réagisse. Que ce soit au Caire ou dans
les autres gouvernorats, des comportements passifs ou
violents sont observés partout. Les Egyptiens semblent avoir
changé d’attitude et de caractère, comme s’ils avaient perdu
les principes d’antan caractérisant ce peuple qui tient à
ses valeurs et possède une grande ferveur religieuse.
Qu’est-il arrivé aux Egyptiens ces dernières années et qui a
bouleversé leurs attitudes et leur système de valeurs ? Où
sont passés les principes de loyauté, vertu, dignité,
tolérance, justice et respect de l’autre ?
Une
étude faite par le centre d’informations dépendant du
Conseil des ministres a révélé que la personnalité
égyptienne a beaucoup changé et que des principes essentiels
ont reculé dans notre société. Choquant mais vrai, vingt
chercheurs et experts dans de différents domaines,
participant à l’étude, sont d’accord qu’il y a une
dégradation générale de la personnalité égyptienne et que la
société est en train de perdre de plus en plus de ses
valeurs. « Des gens qui vivent de plus en plus dans
l’isolement, se comportent d’une manière faite d’ignorance
ou de mépris de l’autre, sans se soucier de l’intérêt
général. Ils sont d’un individualisme effréné et ne
cherchent que leur propre intérêt ou ne pensent qu’à leur
pain quotidien », explique le Dr Ahmad Okacha, président de
l’Association égyptienne des psychiatres. Il renchérit que
les Egyptiens ont perdu confiance en eux-mêmes et ne croient
plus aux déclarations des responsables. « Un gouvernement
qui fait des déclarations qui le plus souvent ne sont pas
mises en application. Ceux qui commettent des gaffes ne sont
pas punis. Un système qui ne respecte pas la loi et qui a
fait perdre au citoyen ce sentiment de loyauté et
d’appartenance à son pays », dit Okacha en ajoutant
qu’actuellement, la seule préoccupation du citoyen est la
galette du pain.
Un état
des lieux qui semble pessimiste, mais que l’on ne peut guère
démentir. Dans les bureaux gouvernementaux, les scènes de
versement des pots-de-vin pour acquérir ses droits ou
s’emparer d’autres deviennent une partie intégrante du
quotidien des Egyptiens. Un bakchich, grassement payé là où
il faut, peut résoudre tous les problèmes. Et puisque ce
sont les principes du matérialisme qui ont pris le dessus
dans notre société aujourd’hui, on attache de plus en plus
d’importance à la richesse, comme l’explique le journaliste
très connu Nabil Zaki, un des participants à cette étude ;
le citoyen est préoccupé par le fait d’aller chercher de
l’argent plutôt que de penser à la légitimité de sa source.
La corruption semble devenir la règle. Contourner plutôt
qu’affronter la situation avec plus de trous qui ne cessent
de s’élargir dans la conscience sociale. « Chacun argumente
et essaye d’apaiser sa conscience en se disant que tout le
monde le fait », explique Zaki.
A
l’origine la pauvreté
Est-ce
que c’est la culture de la pauvreté et de l’injustice
sociale ? S’agit-il des conditions économiques difficiles
qui ont créé ce genre de comportement au sein d’une société
qui a perdu ses idéaux ? Selon Okacha, la pauvreté et le
chômage causent des maladies psychologiques et physiques et
font naître des comportements violents envers soi et autrui.
Suicide, vol et meurtre cruel. « Un citoyen qui n’a pas
droit à un toit qui l’abrite, à l’eau potable ou au drainage
sanitaire ne peut qu’être déprimé ou violent. Un système
déficient d’enseignement et de traitement prive l’Egyptien
de ses droits essentiels s’il n’a pas les moyens, tandis que
le gouvernement dépense 22 milliards de L.E. pour ses
ministres et 3 milliards pour leurs voyages à l’étranger.
Que pouvons-nous alors attendre d’une personne qui vit tous
ces genres d’oppressions et de frustrations ? », explique
Okacha en ajoutant que l’Egyptien peut supporter la pauvreté,
mais une pauvreté mêlée à l’injustice et l’oppression, c’est
insupportable. Et comme l’analyse Galal Amine dans son livre
L’Egypte et les Egyptiens à l’époque de Moubarak : « Les
pauvres de nos jours sont différents de ceux d’antan, les
choses dont ils ont besoin ne sont pas les mêmes qu’il y a
50 ans. Ils ne sont plus des gens qui ont un revenu très
bas, mais beaucoup n’ont plus rien du tout, des chômeurs qui
s’inquiètent plus d’un avenir insécurisé ». En ajoutant
qu’être privé de nourriture est moins grave qu’être
incapable de payer des leçons particulières à ses enfants ou
d’assumer le coût de leur santé. L’Egypte ne possédait pas
ce nombre d’écoles privées, ni même des hôpitaux qui
demandent des milliers de L.E. « Un Etat qui se dégage de sa
responsabilité en ce qui concerne ses citoyens dont les
besoins se sont multipliés et face à une couche qui devient
de plus en plus riche tandis que les portes sont de plus en
plus fermées aux besoins des pauvres, éduqués ou non ».
Des
citoyens qui, même quand ils n’arrivent pas à contenir leurs
révoltes, protestent et font des grèves, ils ne les font pas
contre la corruption et l’injustice, mais plutôt pour
défendre le gagne-pain quotidien. « Et ils sont quand même
blâmés par la société ou opprimés par les responsables »,
explique Ahmad Abdallah, psychiatre, qui pense que
l’injustice et l’oppression que vit l’Egyptien créent en lui
des sentiments de colère qui peuvent brûler le soleil et pas
seulement les gens sur la terre. Misère et insécurité
rendent les gens stressés avec les nerfs à fleur de peau. Et
les Egyptiens réagissent à chaud à tous les niveaux. Ce qui
explique ce phénomène de crimes atroces et cruels qui
deviennent aussi des scènes intégrantes du quotidien, ce qui
aggrave les sentiments d’insécurité chez les gens.
L’informel règne en maître
Dans
le quartier informel de Talbiya, à Haram, qui a témoigné de
plusieurs crimes violents ces derniers jours. Zone
surpeuplée, des tas d’ordure accueillent les élèves d’une
des écoles du quartier, des enfants qui escaladent les
camionnettes servant de transport public, des toc-tocs qui
se faufilent entre les microbus et les petits véhicules dans
un chaos infernal. Des hommes assis dans les cafés, les yeux
pétillants, font sortir leur colère en usant la pipe de leur
narguilé, même en pleine journée, tandis que des enfants
font le va-et-vient dans le quartier, jouent, discutent ou
se lancent des injures. A la rue Saad Imam, Safaa, jeune
mère, reste enfermée dans son appartement, refusant
d’accueillir personne, de peur d’être la proie d’un autre
crime. Voisine de la famille dont les deux enfants ont été
assassinés par leur cousin, Safaa explique que la situation
économique dérisoire des gens, associée à l’avidité et
l’ambition aveugles, est à la source de ce genre de crimes
qui ne diffère pas entre un proche et un inconnu. Quant à
Nora, étudiante à l’université, et habitant le même immeuble,
elle dénonce cet état d’isolement que vivent les gens. « Un
isolement qui a permis que deux enfants soient assassinés
sans qu’un de leurs voisins n’intervienne, parce que chacun
est préoccupé par ses propres affaires. Moi, j’étais en
pleine dispute avec ma mère au moment du crime », dit Nora
en ajoutant que le chômage et l’état de pessimisme chez les
jeunes qui ne trouvent pas d’issue pour améliorer leur
situation sont la source de tous les vices. « Et les valeurs
qui caractérisent la personnalité de l’Egyptien et qui le
protégeaient semblent reculer d’un jour à l’autre », ajoute
la jeune fille qui a peur pour elle et sa famille. « Ceux
qui sont morts ont déjà connu leur destin, nous, nous ne le
savons toujours pas », dit-elle en ajoutant que même les
valeurs religieuses ne protègent pas notre société de ces
comportements violents.
La
religion parfois un alibi
«
Une religion que l’on interprète mal. Des gens qui la
pratiquent avec dualité. Des gens qui tiennent à faire le
pèlerinage des dizaines de fois, tout en pratiquant un
comportement quotidien qui le contredit. Des corruptions, de
l’avidité, de l’agression et de la violence envers autrui »,
précise l’étude.
Ce qui
explique ce comportement chaotique, anarchique et ce genre
de désordre à tous les niveaux et surtout un irrespect de la
loi qui fait que beaucoup de citoyens se soucient peu de
leur discipline. Un concept qu’on ne trouvait pas au cours
des grandes périodes d’unanimité et de mobilisation
nationales, comme dans les années 1960, selon la journaliste
de télévision Farida Al-Choubachi. Elle explique qu’après
avoir passé de longues années à l’étranger, elle n’arrive
plus à reconnaître les Egyptiens qu’elle rencontre, comme si
c’était un autre peuple. « Il semble que nous appliquons à
terme un plan qui nous est décrit pour détruire un pays
important comme l’Egypte et surtout le citoyen égyptien.
L’Egypte n’a jamais témoigné de ce taux de corruption malgré
les apparences religieuses. Nous avons un fossé impitoyable
entre les revenus et les salaires et un coût de vie qui ne
cesse de hausser », explique Choubachi tout en ajoutant que
de telles conditions de vie dérisoires, associées à une
tendance du Wahhabisme qui fait que le citoyen dépourvu des
moyens de bord met au monde dix enfants parce que recourir
aux moyens de contraception est un acte illicite, déforment
la psychologie de l’Egyptien ainsi que son comportement. «
Nous avons perdu la valeur du travail, remplacé par le fait
d’attendre l’aide des autres ou de recourir à la corruption
pour éduquer ses enfants ou les soigner dans un Etat qui
considère le citoyen hors de sa liste de priorités. Ajoutée
à cela la perte d’un but collectif qui unit les citoyens,
noyés dans l’individualisme », dit la journaliste de 70 ans
qui confie n’avoir jamais vu l’Egypte dans un tel état de
dégradation et les Egyptiens portant ce taux de mal et de
méchanceté en eux. Prise par un état de détresse sur l’état
de son pays, elle éprouve malgré tout un certain optimisme
quant à un changement prévu prochainement. « C’est une
situation qui ne peut pas durer, nous sommes tous allés vers
le suicide et c’est un peuple qui veut vivre », dit-elle. Un
sentiment d’optimisme que partage aussi le Dr Okacha, malgré
sa participation à l’étude révélant ces tas de maux. « Il
est temps de changer, parce qu’il n’y a pire que ce que nous
vivons », conclut-il.
Doaa
Khalifa