Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Qu'est-il arrivé aux Egyptiens ?
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
Nos Archives

 Semaine du 27 mai au 2 juin 2009, numéro 768

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Idées

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Nulle part ailleurs

Comportements. Les Egyptiens ont changé de nature durant les dernières années. C’est ce que souligne une étude réalisée par le centre d’informations du Conseil des ministres et qui révèle une dégradation alarmante de la conduite des Egyptiens ainsi que des valeurs de la société. Une réalité prouvée par les faits de tous les jours.

Qu'est-il arrivé aux Egyptiens ?

L’esprit ailleurs, des gens flânent dans les rues comme des mannequins sans âmes. Ils font des gestes mécaniques et sont pris par des crises de colère pour des futilités. Des disputes éclatent et peuvent mener les gens à commettre des crimes. Des injures, des coups portés à l’arme blanche. Des gens sont là, témoins de la scène d’un homme suivant les pas d’une jeune fille. Il la harcèle sans que personne n’intervienne pour la secourir. D’autres regardent un mécanicien qui frappe violemment un petit garçon travaillant chez lui comme s’ils assistaient à une scène d’un film et sans que personne ne réagisse. Que ce soit au Caire ou dans les autres gouvernorats, des comportements passifs ou violents sont observés partout. Les Egyptiens semblent avoir changé d’attitude et de caractère, comme s’ils avaient perdu les principes d’antan caractérisant ce peuple qui tient à ses valeurs et possède une grande ferveur religieuse. Qu’est-il arrivé aux Egyptiens ces dernières années et qui a bouleversé leurs attitudes et leur système de valeurs ? Où sont passés les principes de loyauté, vertu, dignité, tolérance, justice et respect de l’autre ?

Une étude faite par le centre d’informations dépendant du Conseil des ministres a révélé que la personnalité égyptienne a beaucoup changé et que des principes essentiels ont reculé dans notre société. Choquant mais vrai, vingt chercheurs et experts dans de différents domaines, participant à l’étude, sont d’accord qu’il y a une dégradation générale de la personnalité égyptienne et que la société est en train de perdre de plus en plus de ses valeurs. « Des gens qui vivent de plus en plus dans l’isolement, se comportent d’une manière faite d’ignorance ou de mépris de l’autre, sans se soucier de l’intérêt général. Ils sont d’un individualisme effréné et ne cherchent que leur propre intérêt ou ne pensent qu’à leur pain quotidien », explique le Dr Ahmad Okacha, président de l’Association égyptienne des psychiatres. Il renchérit que les Egyptiens ont perdu confiance en eux-mêmes et ne croient plus aux déclarations des responsables. « Un gouvernement qui fait des déclarations qui le plus souvent ne sont pas mises en application. Ceux qui commettent des gaffes ne sont pas punis. Un système qui ne respecte pas la loi et qui a fait perdre au citoyen ce sentiment de loyauté et d’appartenance à son pays », dit Okacha en ajoutant qu’actuellement, la seule préoccupation du citoyen est la galette du pain.

Un état des lieux qui semble pessimiste, mais que l’on ne peut guère démentir. Dans les bureaux gouvernementaux, les scènes de versement des pots-de-vin pour acquérir ses droits ou s’emparer d’autres deviennent une partie intégrante du quotidien des Egyptiens. Un bakchich, grassement payé là où il faut, peut résoudre tous les problèmes. Et puisque ce sont les principes du matérialisme qui ont pris le dessus dans notre société aujourd’hui, on attache de plus en plus d’importance à la richesse, comme l’explique le journaliste très connu Nabil Zaki, un des participants à cette étude ; le citoyen est préoccupé par le fait d’aller chercher de l’argent plutôt que de penser à la légitimité de sa source. La corruption semble devenir la règle. Contourner plutôt qu’affronter la situation avec plus de trous qui ne cessent de s’élargir dans la conscience sociale. « Chacun argumente et essaye d’apaiser sa conscience en se disant que tout le monde le fait », explique Zaki.

 

A l’origine la pauvreté

Est-ce que c’est la culture de la pauvreté et de l’injustice sociale ? S’agit-il des conditions économiques difficiles qui ont créé ce genre de comportement au sein d’une société qui a perdu ses idéaux ? Selon Okacha, la pauvreté et le chômage causent des maladies psychologiques et physiques et font naître des comportements violents envers soi et autrui. Suicide, vol et meurtre cruel. « Un citoyen qui n’a pas droit à un toit qui l’abrite, à l’eau potable ou au drainage sanitaire ne peut qu’être déprimé ou violent. Un système déficient d’enseignement et de traitement prive l’Egyptien de ses droits essentiels s’il n’a pas les moyens, tandis que le gouvernement dépense 22 milliards de L.E. pour ses ministres et 3 milliards pour leurs voyages à l’étranger. Que pouvons-nous alors attendre d’une personne qui vit tous ces genres d’oppressions et de frustrations ? », explique Okacha en ajoutant que l’Egyptien peut supporter la pauvreté, mais une pauvreté mêlée à l’injustice et l’oppression, c’est insupportable. Et comme l’analyse Galal Amine dans son livre L’Egypte et les Egyptiens à l’époque de Moubarak : « Les pauvres de nos jours sont différents de ceux d’antan, les choses dont ils ont besoin ne sont pas les mêmes qu’il y a 50 ans. Ils ne sont plus des gens qui ont un revenu très bas, mais beaucoup n’ont plus rien du tout, des chômeurs qui s’inquiètent plus d’un avenir insécurisé ». En ajoutant qu’être privé de nourriture est moins grave qu’être incapable de payer des leçons particulières à ses enfants ou d’assumer le coût de leur santé. L’Egypte ne possédait pas ce nombre d’écoles privées, ni même des hôpitaux qui demandent des milliers de L.E. « Un Etat qui se dégage de sa responsabilité en ce qui concerne ses citoyens dont les besoins se sont multipliés et face à une couche qui devient de plus en plus riche tandis que les portes sont de plus en plus fermées aux besoins des pauvres, éduqués ou non ».

Des citoyens qui, même quand ils n’arrivent pas à contenir leurs révoltes, protestent et font des grèves, ils ne les font pas contre la corruption et l’injustice, mais plutôt pour défendre le gagne-pain quotidien. « Et ils sont quand même blâmés par la société ou opprimés par les responsables », explique Ahmad Abdallah, psychiatre, qui pense que l’injustice et l’oppression que vit l’Egyptien créent en lui des sentiments de colère qui peuvent brûler le soleil et pas seulement les gens sur la terre. Misère et insécurité rendent les gens stressés avec les nerfs à fleur de peau. Et les Egyptiens réagissent à chaud à tous les niveaux. Ce qui explique ce phénomène de crimes atroces et cruels qui deviennent aussi des scènes intégrantes du quotidien, ce qui aggrave les sentiments d’insécurité chez les gens.

 

L’informel règne en maître

Dans le quartier informel de Talbiya, à Haram, qui a témoigné de plusieurs crimes violents ces derniers jours. Zone surpeuplée, des tas d’ordure accueillent les élèves d’une des écoles du quartier, des enfants qui escaladent les camionnettes servant de transport public, des toc-tocs qui se faufilent entre les microbus et les petits véhicules dans un chaos infernal. Des hommes assis dans les cafés, les yeux pétillants, font sortir leur colère en usant la pipe de leur narguilé, même en pleine journée, tandis que des enfants font le va-et-vient dans le quartier, jouent, discutent ou se lancent des injures. A la rue Saad Imam, Safaa, jeune mère, reste enfermée dans son appartement, refusant d’accueillir personne, de peur d’être la proie d’un autre crime. Voisine de la famille dont les deux enfants ont été assassinés par leur cousin, Safaa explique que la situation économique dérisoire des gens, associée à l’avidité et l’ambition aveugles, est à la source de ce genre de crimes qui ne diffère pas entre un proche et un inconnu. Quant à Nora, étudiante à l’université, et habitant le même immeuble, elle dénonce cet état d’isolement que vivent les gens. « Un isolement qui a permis que deux enfants soient assassinés sans qu’un de leurs voisins n’intervienne, parce que chacun est préoccupé par ses propres affaires. Moi, j’étais en pleine dispute avec ma mère au moment du crime », dit Nora en ajoutant que le chômage et l’état de pessimisme chez les jeunes qui ne trouvent pas d’issue pour améliorer leur situation sont la source de tous les vices. « Et les valeurs qui caractérisent la personnalité de l’Egyptien et qui le protégeaient semblent reculer d’un jour à l’autre », ajoute la jeune fille qui a peur pour elle et sa famille. « Ceux qui sont morts ont déjà connu leur destin, nous, nous ne le savons toujours pas », dit-elle en ajoutant que même les valeurs religieuses ne protègent pas notre société de ces comportements violents.

 

La religion parfois un alibi

« Une religion que l’on interprète mal. Des gens qui la pratiquent avec dualité. Des gens qui tiennent à faire le pèlerinage des dizaines de fois, tout en pratiquant un comportement quotidien qui le contredit. Des corruptions, de l’avidité, de l’agression et de la violence envers autrui », précise l’étude.

Ce qui explique ce comportement chaotique, anarchique et ce genre de désordre à tous les niveaux et surtout un irrespect de la loi qui fait que beaucoup de citoyens se soucient peu de leur discipline. Un concept qu’on ne trouvait pas au cours des grandes périodes d’unanimité et de mobilisation nationales, comme dans les années 1960, selon la journaliste de télévision Farida Al-Choubachi. Elle explique qu’après avoir passé de longues années à l’étranger, elle n’arrive plus à reconnaître les Egyptiens qu’elle rencontre, comme si c’était un autre peuple. « Il semble que nous appliquons à terme un plan qui nous est décrit pour détruire un pays important comme l’Egypte et surtout le citoyen égyptien. L’Egypte n’a jamais témoigné de ce taux de corruption malgré les apparences religieuses. Nous avons un fossé impitoyable entre les revenus et les salaires et un coût de vie qui ne cesse de hausser », explique Choubachi tout en ajoutant que de telles conditions de vie dérisoires, associées à une tendance du Wahhabisme qui fait que le citoyen dépourvu des moyens de bord met au monde dix enfants parce que recourir aux moyens de contraception est un acte illicite, déforment la psychologie de l’Egyptien ainsi que son comportement. « Nous avons perdu la valeur du travail, remplacé par le fait d’attendre l’aide des autres ou de recourir à la corruption pour éduquer ses enfants ou les soigner dans un Etat qui considère le citoyen hors de sa liste de priorités. Ajoutée à cela la perte d’un but collectif qui unit les citoyens, noyés dans l’individualisme », dit la journaliste de 70 ans qui confie n’avoir jamais vu l’Egypte dans un tel état de dégradation et les Egyptiens portant ce taux de mal et de méchanceté en eux. Prise par un état de détresse sur l’état de son pays, elle éprouve malgré tout un certain optimisme quant à un changement prévu prochainement. « C’est une situation qui ne peut pas durer, nous sommes tous allés vers le suicide et c’est un peuple qui veut vivre », dit-elle. Un sentiment d’optimisme que partage aussi le Dr Okacha, malgré sa participation à l’étude révélant ces tas de maux. « Il est temps de changer, parce qu’il n’y a pire que ce que nous vivons », conclut-il.

Doaa Khalifa

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.