Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Spiderman
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 Semaine du 13 à 19 mai 2009, numéro 766

 

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Nulle part ailleurs

Métier. Originaire de la Haute-Egypte et paysan, Sayed a développé depuis sa tendre enfance le talent de grimper sur les palmiers. Au Caire, il a choisi comme gagne-pain d’être un maçon. Perché sur son échafaudage, il brave la mort au quotidien.

Spiderman

Il n’a pas été élevé dans un cirque et tout ce qu’il savait faire, c’était de grimper sur les palmiers de son village, une performance qui l’a aidé à trouver du boulot dans la capitale. Sayed, 44 ans, a passé ces 10 dernières années à travailler comme maçon en grimpant sur des échafaudages en métal, en bois ou étant suspendu à une corde dans le vide. A le voir effectuer un ravalement ou peindre la façade d’un immeuble haut de dix étages ou plus, on a le cœur qui bat la chamade. A chaque mouvement, il nous semble qu’il va tomber ; pourtant, Sayed ne connaît pas le sens du mot peur. Il nous confie : « Un Saïdi ne doit jamais avoir peur, c’est honteux ». Cependant, il ne cache pas avoir eu des sueurs froides le jour où il s’est trouvé perché au vingt-sixième étage d’un immeuble, mais il ne l’a dit à personne. Raison pour laquelle il voit que les gens de son village sont les plus aptes à exercer ce genre de boulot qui demande du courage, de l’habileté et du sang-froid. Une habileté que l’on ne peut retrouver que chez les habitants de la Haute-Egypte, mais Sayed confie non sans modestie qu’il est le meilleur.

Un savoir-faire et une intrépidité qui ont fait de lui l’ouvrier modèle de la société d’entrepreneurs dans laquelle il travaille. Selon Montasser, responsable du chantier, Sayed est un homme courageux, honnête et pour lui, le mot impossible n’existe pas. « Il a la charge de former les nouveaux ouvriers et lorsqu’une autre compagnie demande à prendre quelques travailleurs de chez nous, Sayed est à la tête, car il nous représente comme il le faut », commente Montasser.

C’est à huit heures du matin que sa journée commence. Mais avant d’escalader son échafaudage, il tient à prendre un petit-déjeuner copieux, faire sa prière du matin et lire quelques versets du Coran pour que le bon Dieu le protège. « Je n’attends pas que les autres ouvriers vérifient les échafaudages, je dois m’assurer moi-même que toutes les barres de métal ou les madriers sont bien fixés, sinon ma vie et celle des autres seraient mises en danger », dit Sayed qui a vu un collègue perdre l’équilibre et tomber du haut d’un échafaudage. Cet accident mortel l’a beaucoup perturbé, mais à aucun moment il n’a pensé à changer de métier. Il croit que si un ouvrier fait une chute, c’est parce qu’il n’a pas suivi les instructions ou la bonne technique de mouvement sur l’échafaudage. L’important, c’est de savoir maintenir son corps en équilibre pour amoindrir les dégâts en cas de chute. Ce drame l’a poussé à quitter cette société pour en chercher une autre. « Dans beaucoup de sociétés, les gens comme nous ne sont pas assurés. Au moins celle où je travaille actuellement appartient à un homme bien qui nous offre des repas et nous prodigue des soins en cas d’accidents ». C’est pour ces raisons que Sayed y travaille depuis trois ans et n’a pas l’intention de la quitter.

Quand Sayed prend quelques minutes de repos, il les passe à se balancer sur son échafaudage, à admirer le paysage autour de lui. Cependant, il ne peut descendre qu’à l’heure du déjeuner. Une heure de pause pour manger et prendre une bonne tasse de thé. Du thé comme l’apprécient les habitants du Sud, bien fort et bien sucré. Ainsi il aura du tonus pour poursuivre sa journée de travail qui s’achève à 17h. « La fin d’une journée de travail représente pour moi une nouvelle naissance, c’est le signal que j’ai encore un autre jour à vivre », dit Sayed.

De bonnes rentrées, mais ...

Ce dernier ne nie pas que ce métier lui permet de bien gagner sa vie, surtout qu’il perçoit des primes de risque, ce qui fait augmenter son salaire. La journée de travail pour un ouvrier dans le bâtiment revient à 60 livres et peut atteindre les 150 L.E. ; pour d’autres, elle varie entre 17 et 25 livres. Une différence qui fait que Sayed n’a jamais pensé à changer de métier. « Je subviens aux besoins de mes enfants et si je risque ma vie, c’est pour améliorer mes conditions de vie et celles de ma famille », confie-t-il. Avec le temps, il a fini par aimer ce métier. Du haut de son échafaudage, il peut contempler la ville et les gens. « Tout paraît plus beau d’en haut », dit-il. En effet, Sayed a commencé à détester les quelques heures qu’il passe sur terre. Il se sent mal à l’aise avec l’embouteillage, le bruit des klaxons et la cohue. Il voit que les chauffeurs font ce qu’ils veulent parce qu’ils ont une terre ferme sous leurs pieds et donc, ils ne risquent rien, mais s’ils devaient se tenir en équilibre sur des planches de bois ou être suspendus par une corde dans le vide, ils finiront par réfléchir mille et une fois avant de commettre de tels dépassements. Une philosophie que Sayed a forgée en comparant les gens « d’en bas » à ceux « d’en haut ».

Le mal du pays

Sayed n’a jamais oublié d’où il vient, bien qu’il gagne correctement sa vie au Caire. Il insiste à sacrifier trois mois de travail chaque année pour les passer à Assiout, son village natal. Avant de s’y rendre, il ôte son casque, dénoue sa corde puis enfile sa djellaba pour aller passer des vacances auprès de ses quatre enfants et surveiller ses récoltes. Il n’oublie surtout pas de grimper sur les palmiers pour ne pas perdre son savoir-faire. « Grimper sur un palmier est bien plus difficile que de monter sur un échafaudage, quelle que soit la hauteur de la construction », explique Sayed avec conviction.

Un homme sensé et respecté par les gens de son village bien qu’il n’ait fait que trois ans d’études à l’école primaire. En plus, il comprend quelques mots d’anglais.

Grâce à son éducation, rare dans un milieu villageois, il est quelqu’un de très apprécié et tout le monde l’attend avec impatience pour avoir son avis sur différents sujets. C’est à la rentrée scolaire qu’il retourne au Caire. Il fait ses adieux à sa famille et ses amis, sans savoir s’il va les retrouver l’année prochaine. Et si Sayed a choisi de vivre entre ciel et terre, il ne tient pas à ce que ses enfants fassent le même métier que lui. Son grand souhait est de les voir rentrer à l’université pour ne pas risquer leur vie chaque jour. « Je veux les voir tous dans des postes importants ou, au moins, de bons agriculteurs », dit Sayed.

Durant ces longues années, il n’a jamais donné de détails sur le boulot qu’il exerce. Tout ce qu’il craint, c’est que sa famille découvre où il travaille. « Je ne peux pas leur dire la vérité et les laisser tout le temps inquiets à mon sujet. Ils ne le sauront que le jour de mon décès », continue Sayed. En le voyant se déplacer d’une barre de métal à une autre, s’agrippant avec ses pieds et ses mains pour monter de plus en plus en haut, on revoit Tobey Maguire, l’acteur américain qui a joué le rôle de Spiderman ou l’homme-araignée. Sayed, lui, ne comprend pas de quoi on parle, mais il est sûr que ce sont des choses artificielles qui se font à l’aide de techniques électroniques réalisées par des ordinateurs. Il insiste pour dire que ce qu’il fait a besoin de bravoure et dépasse de loin ce que l’on voit au cinéma. Non seulement du courage, mais aussi de la piété. « Mettre toujours Dieu devant ses yeux », telle est la philosophie de Sayed, surnommé Spider, qui conseille à tous ceux qui veulent pratiquer ce métier de faire de même.

Hanaa El-Mekkaoui

 




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