Al-Ahram Hebdo, Société | Les dernières heures d’Al-Badil
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 15 au 22 avril 2009, numéro 762

 

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Société

Presse. Mardi 7 le soir, dans la salle de rédaction d’Al-Badil, il y avait du vague à l’âme. L’équipe préparait le dernier numéro de ce quotidien indépendant. Le journal met la clé sous le paillasson pour cause de manque d’argent, dans l’espoir de se transformer en hebdomadaire. L’Hebdo a suivi ses moments de dur bouclage.

Les dernières heures d’Al-Badil

« Je ressens une profonde tristesse, comme si mon âme était en train de quitter mon corps. Arrêter le quotidien Al-Badil veut dire tout simplement mettre fin à ce beau rêve. C’est avec les marginalisés et les plus démunis que j’ai choisi ma place, leur tendre la main et les aider à s’exprimer librement sans contrainte ni peur, malgré tous les obstacles auxquels on devait faire face en quête de la vérité », résume Ahmad Abdel-Gawad.

Arrêté à Kafr Al-Cheikh, lors de la grève du 6 avril (mouvement estudiantin), ce reporter qui couvrait l’événement a passé trois jours en détention. De retour au Caire, après avoir été libéré, il apprend en cours de route que son journal de tendance gauche est en train de publier son dernier numéro. « J’aurais préféré rester en prison que d’apprendre cette mauvaise nouvelle », confie Abdel-Gawad, tout en poursuivant qu’au cours de sa carrière de 20 ans dans la presse écrite, son passage à Al-Badil s’avère être la meilleure phase de sa carrière, voire de toute sa vie. « Pour la première fois, je pouvais m’exprimer librement, tout en étant sûr que mon journal me soutiendrait en cas de problème. Cet esprit de solidarité a toujours existé surtout dans les moments difficiles, lorsque j’étais en détention ou victime de violence dans les différentes batailles journalistiques », avance-t-il.

Al-Badil, quotidien indépendant, ce slogan qui a toujours accompagné ce journal, exprimant sa ligne éditoriale, va disparaître du monde de la presse. Face à une crise financière sans précédant, le journal n’a pu résister au manque de financement. « Nous sommes le seul journal indépendant à 100 %. Aucun responsable ou homme d’affaires n’a réussi à casser notre volonté et personne n’a osé porter atteinte à notre indépendance par son argent. On est fier de faire faillite alors que nous gardons la tête haute », commente un autre journaliste d’Al-Badil.

Une ambiance électrique règne dans les locaux après la parution du dernier numéro. C’est la fin d’une expérience journalistique, la première du genre en Egypte et qui a duré deux ans. La nouvelle a secoué l’opinion publique et s’est répandue comme une traînée de poudre. Certains l’ont même appris à travers le talk-show Al-Achera massaan (10 heures du soir) sur la chaîne Dream2, alors que d’autres le lendemain. Dans le hall du journal, ceux qui viennent d’apprendre la nouvelle sont choqués. Des rumeurs circulent dans les différents bureaux quant au destin de ce quotidien. On s’interroge : Al-Badil va-t-il se transformer en hebdomadaire ? Les membres fondateurs ont-ils fait faillite ? Que vont devenir les 86 journalistes qui y travaillent ? Le syndicat va-t-il les soutenir ? Quel sera le sort des 40 journalistes qui s’apprêtent à adhérer au syndicat  ?

Des réunions se déroulent partout même dans les coins des locaux entre les plantons et les employés chargés de la sécurité, alors que les journalistes font cercle autour de leur rédacteur en chef. Malgré la déception qui se lit sur les visages, chacun semble chercher une lueur d’espoir sur le visage de son collègue pour se calmer. A première vue, on peut ressentir le climat démocratique dans lequel évolue le journal. Le rédacteur en chef, Khaled Al-Balchi, a refusé de se laisser prendre une photo pour la presse parce que son visage était démonté par la tristesse. Mais beaucoup de journalistes autour de lui ont rétorqué que le devoir journalistique exige que l’on aide ses collègues des autres institutions à remplir leur tâche. Les propositions font bon train pour sortir de cette mauvaise situation. « On peut proposer de réduire les salaires de 20 % pour que le quotidien puisse continuer à paraître », lance un des journalistes chargé du personnel. D’autres assurent qu’un hebdomadaire ne peut pas absorber tout le staff d’un quotidien. « Comment allons-nous procéder pour garantir que personne ne soit mis à la porte ? », s’interroge un autre journaliste. Khaled Al-Balchi, 38 ans, ne cesse de recevoir des coups de fil sur son portable quant à la véracité de la nouvelle. Déterminé, il propose à l’équipe de préparer le premier numéro hebdomadaire qui doit sortir bientôt, afin que ce journal ne disparaisse pas du marché. Des coups de fil incessants s’échangent avec l’administration pour négocier, essayer de convaincre et tenter de prendre une décision.

Les visiteurs ne cessent d’affluer au siège pour témoigner de leur sympathie et compassion avec les journalistes. Ces derniers, à leur tour, tentent de trouver une issue chez Mohamad Abdel-Qoddous, président du comité des libertés au syndicat des Journalistes. Mais, sans résultat. Il assure que les problèmes financiers d’Al-Badil pourraient être utilisés par les membres conservateurs du syndicat pour rejeter l’adhésion des 40 journalistes d’Al-Badil à cause de la crise que connaît le journal et qui l’empêchera de satisfaire ses obligations envers ses journalistes.

Dans les autres bureaux d’Al-Badil, certains n’arrivent pas à contrôler leurs émotions. Une jeune journaliste de 23 ans éclate en sanglots. Dina Diab, sa collègue de 25 ans, justifie son attitude : « Pour nous, ce journal représente non seulement un moyen d’expression mais aussi un rêve, un projet de vie. La majorité de l’équipe est composée de jeunes qui étaient à la quête d’un scoop, cherchant à soutenir une victime ou à donner la parole à toute une génération de jeunes. On passait la plupart de la journée ici. Un temps qui dépasse de loin celui qu’on passe avec nos familles ». Ahmad Ezz, jeune journaliste de 26 ans, partage cet avis. Il ajoute que c’est l’enthousiasme de cette jeunesse qui a été le motif de ce journal pendant les deux ans de son apparition. « Comment alors arriver à éteindre ce feu qui ne cesse de s’embraser ? », poursuit un troisième.

Les questions retentissent partout dans les locaux. « C’est par la lutte et l’esprit combatif qu’Al-Badil est né. Faut-il alors enterrer le rêve ? Ou cesser de rêver ? Le gauche n’a-t-il pas de place parmi la presse écrite ? », s’interroge un autre jeune journaliste.

Même les correspondants des provinces les plus lointaines sont au rendez-vous. Eissa Soudoud, originaire de Qéna, 34 ans, a parcouru plus de 600 km pour remonter le moral des journalistes qui ont soutenu les marginalisés de la Haute-Egypte. « C’est le premier journal en Egypte qui s’est intéressé aux problèmes des provinciaux. Et ce, en leur consacrant des rubriques entières. Comment oser refermer cette page et condamner cette tranche de la population à l’oubli ? », s’interroge Soudoud, en pleine discussion avec ses collègues sur la terrasse.

Une défaite ? « Peut-être, mais ce qui me tue le plus, c’est de céder à l’idée que tout se vend aujourd’hui dans notre pays, y compris la liberté d’expression. Les principes n’ont pas pu résister face au pouvoir effrayant de l’argent. L’expérience d’Al-Badil incarne ce conflit éternel », conclut un des journalistes qui s’apprête à quitter les locaux avec ce brin d’espoir que ce n’est pas la fin de ce journal. 

Dina Darwich

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