Egypte-Hezbollah.
L’annonce par Le Caire de l’arrestation de 49 personnes
liées au Hezbollah, soupçonnées de planifier des attaques en
Egypte, suscite des interrogations d’autant que le
chef de la formation chiite libanaise a reconnu que le
principal suspect appartient à son mouvement.
L’opération Nasrallah
C’était
un mois avant la guerre israélienne contre la bande de Gaza.
La Sûreté de l’Etat arrête un Libanais dans la ville de
Rafah au Sinaï à la frontière avec Gaza. Selon les
autorités, il s’agit d’un membre du Hezbollah libanais.
Mohamad Youssef Chehab, dit Sami Chehab ou encore
Abou-Youssef. Son interpellation n’est pourtant révélée que
la semaine dernière. « Tout au long de sa détention, il
poursuit ses contacts avec le Hezbollah et avec les membres
de la cellule qu’il a recrutés en Egypte comme si de rien
n’était », affirme un proche de la sécurité. Selon cette
même source, Chehab était notamment en contact avec un
responsable des renseignements du Hezbollah, ledit Mohamad
Qabalane, chef de l’opération. Celui-ci aurait transité en
Egypte vers la fin de l’année 2008 et début 2009 et a été
ensuite remplacé sur le sol égyptien par Chehab.
Des conversations entre les deux hommes auraient été
enregistrées même après le fameux discours de Nasrallah,
lors de la journée de Achoura, et dans lequel il s’était
violemment attaqué au régime égyptien l’accusant de
complicité avec Israël contre les Palestiniens.
D’autres enregistrements auraient également permis d’arrêter
les autres suspects. Au total 49 personnes ont été
interpellées. Des Libanais, des Syriens, des Soudanais, des
Palestiniens et 12 Egyptiens, musulmans chiites. Le dernier
dudit réseau a été arrêté il y a un peu plus de deux mois.
Selon le procureur général qui a décidé de les garder
pendant 15 jours, ils sont soupçonnés d’être membres d’une
organisation clandestine appelant à la rébellion contre le
régime et de planifier des attaques en Egypte. Les autorités
affirment que les suspects tentaient notamment de surveiller
le Canal de Suez, la frontière entre l’Egypte et la bande de
Gaza et plusieurs stations balnéaires du Sinaï. Ils ont
ainsi acheté de l’immobilier des commerces à Dahab, Noweiba
et à Suez et même sur le canal. Ils se seraient déplacés
également dans le sud du pays, probablement pour
recrutement. Les accusations ne s’arrêtent pas là. Les
suspects sont soupçonnés d’espionnage, de faire du
prosélytisme chiite, d’avoir falsifié des documents
officiels et fabriqué des engins explosifs.
Le chef du Hezbollah, le cheikh Hassan Nasrallah, a admis
que Sami Chehab était bel et bien un membre de son mouvement
et qu’il se trouvait en Egypte en « mission logistique »
pour aider les Palestiniens contre Israël et non pour
déstabiliser le régime égyptien.
Le chef du Hezbollah, devenu ennemi du régime égyptien
depuis la guerre israélienne contre le Liban en 2006, a
assuré que Sami Chehab était entouré au plus d’une dizaine
de personnes et n’avait aucun lien avec les autres personnes
arrêtées. « Si aider les Palestiniens est un crime, je
reconnais ce crime. Ce n’est pas la première fois que des
frères du Hezbollah soient arrêtés », a-t-il dit dans un
discours diffusé par la télévision, pour répondre aux
accusations égyptiennes.
Le cheikh estime que les éléments fournis par les Egyptiens
« sont fabriqués de toutes pièces et visaient à retourner le
peuple égyptien contre le Hezbollah qui jouit d’un large
respect dans le monde arabe ».
C’est la même impression chez Montasser Al-Zayat, avocat
représentant quelques-uns des suspects. Zayat, qui n’a pas
été autorisé à voir ses clients ni à assister aux
interrogatoires, affirme : « J’ai l’impression que cette
affaire a été montée de toutes pièces par les services de
sécurité égyptiens dans un contexte de mauvaises relations
entre le Hezbollah et l’Egypte ».
En janvier, en plein « Plomb durci » d’Israël contre les
Palestiniens, Hassan Nasrallah s’en était violemment pris à
l’Egypte, appelant les Egyptiens à manifester pour obtenir
l’ouverture du terminal de Rafah, entre le territoire
palestinien et l’Egypte. Il s’était encore adressé aux
forces armées, les appelant à s’opposer à la position du
régime. Le Caire avait vivement réagi, en le qualifiant d’«
agent » de l’Iran. Ce n’était pas la première fois, en 2006
et en pleine offensive israélienne contre le Liban, le très
influent chef du Hezbollah s’était pris aux « régimes
modérés », affirmant qu’ils avaient approuvé l’attaque
israélienne. Il désignait entre autres l’Egypte et l’Arabie
saoudite.
Aujourd’hui, un pas de plus a été franchi dans la défiance
entre l’Egypte et le Hezbollah. Les relations exécrables
entre les deux justifieraient-elles seules une telle affaire
?
Vu d’Egypte, il faudrait observer en arrière-plan un complot
élaboré par l’Iran.
Dans les milieux officiels, personne ne cache cette méfiance
vis-à-vis de Téhéran. Les Egyptiens craignent un plan
iranien visant à déstabiliser les « régimes modérés » de la
région. La presse pro-gouvernementale s’est ainsi attaquée
au « jeune Mollah », « l’homme de l’Iran » qui « ose porter
atteinte au grand ». Le président Moubarak a fait passer ce
message aux autorités libanaises. Dans un appel téléphonique
au premier ministre libanais, Fouad Seniora, Moubarak aurait
dit à son interlocuteur que « l’Egypte ne tolérait pas les
violations de ses frontières et les atteintes à sa stabilité
». Le Caire aurait également exigé un communiqué officiel
libanais qui reconnaisse le respect de la souveraineté
égyptienne et le rejet de toute opération secrète à partir
de son sol ou de ses eaux régionales même « pour aider les
Palestiniens ».
Un haut responsable, parlant sous couvert de l’anonymat,
affirme que Le Caire a exigé entre autres « un changement de
discours du Hezbollah vis-à-vis de l’Egypte, sinon Le Caire
pourrait cibler des intérêts du mouvement libanais ».
D’après cette même source, une telle réaction égyptienne
serait bien accueillie par l’opinion publique qui a mal vu
cette violation libanaise. « La propagande officielle a bien
fonctionné, le gouvernement a réussi à faire accepter sa
version officielle », estime Diaa Rachwane, spécialiste des
mouvements islamistes. Et il n’est certes pas dans l’intérêt
du mouvement libanais de perdre un appui aussi important que
celui de la rue égyptienne.
Rachwane affirme pourtant que la version de Nasrallah est la
plus vraisemblable. « Son expérience, ses objectifs
politiques et ses programmes ne permettent pas de mener des
opérations militaires en dehors de son territoire contre des
intérêts arabes. Il ne l’a même pas fait contre les
Américains. Son alignement sur l’Iran ne pourrait pas
justifier un défournement par rapport à sa stratégie »,
explique Rachwane.
N’empêche, dit-il, que le Hezbollah a commis une grave
erreur sécuritaire et n’a pas pris en considération le poids
de l’Egypte, exactement comme il l’a fait en s’adressant à
l’armée égyptienne. C’était l’occasion ou jamais pour Le
Caire de lui régler son compte. De quoi expliquer la
médiatisation « de trop » de l’affaire. Les observateurs
croient que ceci fait partie d’un nouveau calcul. Les
Egyptiens voient que de nouveaux arrangements régionaux se
profilent à l’horizon. Une sorte de rapprochement
américano-persique. Une quelconque négociation aurait lieu
et l’Egypte veut l’entamer en mettant la barre très haut.
Samar
Al-Gamal