Palestine. Rapports de
l’Onu et de différentes ONG, témoignages, y compris de soldats israéliens,
viennent confirmer l’absence de tout code moral chez Tsahal, lors de la guerre
contre Gaza.
Épuration
ethnique en marche
«
plomb durci », titre de cette opération sanglante menée par Israël à Gaza. On
pourrait lui ajouter : « Plomb durci, par cœurs durcis ». Ces derniers sont
ceux des soldats de Tsahal. Eux seuls ? Ou plutôt l’establishment israélien
dont on constate un virage accentué vers une droite qui finalement va quasiment
monopoliser le pouvoir. Témoignages de soldats israéliens, rapports de l’Onu et
d’ONG internationales viennent confirmer les exactions menées par les
militaires israéliens à Gaza. Des faits déjà dénoncés lors de l’opération même
du 27 décembre 2008 au 20 janvier 2009. Vingt-deux jours de guerre qui ont fait
1 417 tués dont 926 civils, parmi lesquels 313 enfants et 116 femmes. Seuls 236
combattants ont été tués, ainsi que 255 policiers ou agents de sécurité, dont
240 sont morts lors des bombardements du 27 décembre.
Les
témoignages sur les exactions des soldats ont ceci d’important qu’ils
témoignent de l’absence de toute éthique dans l’armée israélienne. Le pire est
ce qu’elle est justifiée par une haine de l’autre, le Palestinien, celui-ci ne
mérite pas qu’on tienne compte de lui. Les Israéliens ont d’ailleurs tenté
depuis la fin, il y a deux mois, de l’opération « Plomb durci » d’affirmer,
malgré les témoignages palestiniens et les critiques des organisations
internationales, qu’ils avaient tout fait pour éviter les victimes civiles
palestiniennes.
Or, ce
qui ressort des récits de combattants d’unités très diverses de Tsahal, c’est
que ce « code moral » n’a pas été violé, mais que son énoncé a tout simplement
été révisé par les officiers supérieurs israéliens qui ont planifié et
déclenché l’attaque sur Gaza. Un des officiers raconte : « Il y a quelques
mois, invité à la Mekhina (école d’instruction préparatoire au service
militaire) d’Oranim (un village de Galilée), par d’anciennes recrues, j’avais
projeté un film amateur réalisé par un soldat et où l’on voyait d’autres
soldats battre des Palestiniens à un barrage ». Voilà ce que la force fait de
vous , leur avais-je expliqué. Et n’attendez surtout pas de votre hiérarchie
militaire qu’elle veille au respect des valeurs humaines ... ». Ils étaient
donc préparés à ce jeu de massacre qui avait déjà eu lieu. Et lors de
l’opération « Plomb durci », les témoignages n’ont pas manqué de confirmer
l’horreur acquise lors de la préparation. Les soldats eux-mêmes ont raconté : «
Tirs injustifiés ». Les soldats racontent notamment comment une mère
palestinienne a été tuée avec ses deux enfants par un tireur d’élite parce
qu’elle s’était trompée de chemin en sortant de chez elle. Dans un autre cas,
une vieille femme palestinienne a été abattue, alors qu’elle marchait à 100
mètres de sa maison. D’autres témoins font aussi état d’exactions, d’actes de
vandalisme et de destructions dans des maisons. (Lire page 4).
Les
témoignages ont provoqué de vives réactions dans la classe politique et les
médias israéliens, alors que les résultats de l’opération, initialement
présentés comme un succès, sont de plus en plus contestés. Les députés arabes
israéliens à la Knesset, Ahmed Tibi et Mohamad Barakeh, ont déclaré que les
témoignages des soldats étaient la « preuve qu’Israël avait commis des crimes
de guerre à Gaza ». Mais de son côté, le ministre de la Défense, Ehud Barack, a
tenté de défendre l’éthique de son armée « la plus morale du monde », selon
lui, avant de tomber dans le piège, en affirmant qu’on ne connaît guère
l’éthique à utiliser lorsqu’il s’agit de combattre « le terrorisme ».
Les
témoignages des soldats ont cela de choquant autant que d’autres actes, comme
l’usage d’armes interdites : c’est cet acharnement inculqué en eux de mettre à
feu et à sang les territoires palestiniens. S’agit-il cependant d’une prise de
conscience de la part de ces soldats de quoi prédire un changement même infime
? Pour Saïd Okacha, chercheur au Centre des études politiques et stratégiques
d’Al-Ahram, il existe en Israël « un état d’âme qui surgit et disparaît de
temps à autre. Des objecteurs de conscience qui refusent le service militaire.
Certains des soldats ayant participé à la récente campagne se considèrent comme
ayant commis des crimes de guerre. Parce que pour eux leur devoir se limite
uniquement à défendre leur patrie ». Cela s’est passé à Jénine en 2004,
souligne Okacha.
Des
soldats ont refusé d’obéir aux ordres de leurs commandants et ont été jugés
pour leur désobéissance. Pour un autre chercheur, le politologue Abdel-Ghaffar
Chokr, il ne s’agit pas d’une question de prise de conscience de la part de ces
soldats « mais uniquement une habitude que certains ont pris de faire après
chaque guerre de dévoiler quelques secrets. Certains sont même allés jusqu’à
publier des livres, comme il a été le cas du massacre collectif des
prisonniers, lors de la guerre de juin 1967 ». Et d’ajouter : « S’il s’agissait
d’une prise de conscience, ils auraient dû plutôt s’adresser officiellement à
un tribunal ».
Une pluie de feu
L’image
inhumaine d’Israël de manière institutionnelle que l’on justifierait par le
fait d’actes individuels est mise en évidence en plus du rapport de l’Onu par
un rapport de Human Rights Watch, publié le 25 mars dernier. Ce rapport de 71
pages intitulé « Rain of Fire : Israel’s Unlawful Use of White Phosphorus in
Gaza » (une pluie de feu : l’utilisation illégale de phosphore blanc par Israël
à Gaza) rassemble des témoignages des effets dévastateurs des armes au
phosphore blanc sur les civils et les propriétés civiles à Gaza.
Les
chercheurs de Human Rights Watch à Gaza ont trouvé, immédiatement après la fin
des hostilités, des fragments d’obus, des restes de réceptacles et des
douzaines de morceaux de feutre brûlé contenant des résidus de phosphore blanc
dans les rues, sur les toits des bâtiments, dans les jardins résidentiels et
dans une école des Nations-Unies. Le rapport fournit également des preuves
balistiques, des photographies et des images satellites, ainsi que des
documents provenant de l’armée et du gouvernement israéliens.
Les
détails sont d’ailleurs bien précis dans le rapport. Chaque munition répand 116
morceaux de phosphore blanc dans un rayon pouvant aller jusqu’à 125 mètres à
partir du point d’explosion. Le phosphore blanc prend feu et brûle au contact
de l’oxygène, et continue à brûler à une température pouvant atteindre 816
degrés Celsius, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien ou que la source
d’oxygène soit coupée. En cas de contact avec la peau, le phosphore blanc crée
des brûlures intenses et tenaces.
Ce
crime de guerre israélien dénoncé depuis le début de l’opération, Israël a tout
d’abord tenté de le nier, mais devant les preuves du contraire, il a déclaré
utiliser toutes ses armes en accord avec le droit international. Par la suite,
les autorités ont dû annoncer la mise en place d’une enquête interne sur
d’éventuelles utilisations irrégulières de phosphore blanc.
« Les
enquêtes menées par le passé par les FID (Forces Israéliennes de Défense) sur
des accusations d’actions illégales suggèrent qu’une telle enquête ne sera ni
approfondie, ni impartiale », a déclaré Fred Abrahams, chercheur de la division
Urgences au sein de Human Rights Watch et co-auteur du rapport.
Brouiller les cartes
«
C’est pourquoi une enquête internationale est nécessaire pour déterminer les
violations des lois de la guerre par toutes les parties au conflit »,
affirme-t-il. Mais dans quelle mesure cela est-il possible ? Tel-Aviv veut
brouiller les cartes. Pour expliquer le nombre élevé de victimes civiles à
Gaza, les officiers israéliens ont accusé à plusieurs reprises le Hamas d’avoir
utilisé ces civils comme « boucliers humains » et d’avoir combattu dans des
zones civiles. Abdel-Ghaffar Chokr estime qu’Israël veut ainsi faire d’une
pierre deux coups. « D’un côté, il veut démontrer par cette extrême violence
qu’il est capable de trancher et régler la situation à Gaza. En même temps, il
veut par l’intermédiaire de toutes ces pertes infligées aux Palestiniens qu’ils
se retournent contre le Hamas ». Déjà, cette idée de l’utilisation par
l’Organisation palestinienne de civils comme boucliers a souvent circulé. Saïd
Okacha, lui, considère que « s’en prendre aux civils est une accusation
qu’Israël et le Hamas assument ensemble ». Et de dire que le peuple palestinien
est la victime « d’une machine de guerre terrible de la part des deux parties
». Mais l’idée d’une responsabilité du Hamas, au même titre qu’Israël, n’est
même pas admise par Human Rights Watch que l’on ne peut accuser de partialité. Dans
les cas documentés dans le rapport de l’ONG, elle n’a pas trouvé de preuves
d’utilisation par le Hamas de civils comme « boucliers humains » au moment et à
proximité des attaques. Ce que le rapport a bien précisé, c’est que « les
Israéliens ont utilisé de manière répétée et illégale ces armes au-dessus de
quartiers résidentiels, tuant et blessant des civils et endommageant des
structures civiles, y compris une école, un marché, un entrepôt d’aide
humanitaire et un hôpital ».
Les
lois de la guerre obligent les Etats à enquêter de manière impartiale sur les
accusations de crimes de guerre. Les preuves disponibles à ce jour doivent
pousser Israël à enquêter et à poursuivre de manière appropriée les personnes
ayant ordonné ou perpétré des attaques illégales avec des armes au phosphore
blanc, souligne encore Human Rights Watch.
Mais
qui pourra conduire les Israéliens devant une usitée pénale internationale ? Les
Occidentaux ? C’est peu sûr. De plus, les pays arabes sont restés les bras
croisés face à ces crimes, se contentant d’exprimer leurs regrets, mais sans
réaction concrète. Selon Chokr, Ocampo, célèbre président de la CPI, qui
pourchasse le président soudanais Al-Béchir, a souligné que si les Arabes
présentaient une plainte au Conseil de sécurité et demandaient un jugement des
responsables israéliens, ils l’obtiendraient. « Mais les Arabes ne veulent sans
doute pas mécontenter l’Amérique », dit Chokr.
En
fait, comme le souligne Human Watch, Le gouvernement des Etats-Unis, qui a
fourni à Israël ses munitions au phosphore blanc, doit également conduire une
enquête.
Une
enquête qui s’élargirait à d’autres aspects de cette dénégation par Israël des
Palestiniens et de leurs droits, notamment l’interdiction faite de célébrer
Jérusalem comme capitale de la culture arabe en 2009. Mahmoud Abbass a bien dit
: « La politique de discrimination, de suppression de vol de terre, de
destruction de quartier, de maison, de falsification du passé qui détruit le
présent et vole le futur doit être stoppée si la paix veut avoir une réelle
chance d’aboutir sur cette terre ». De plus, l’Autorité palestinienne a à juste
titre accusé Israël de mener « une campagne d’épuration ethnique » contre les
Palestiniens de Jérusalem ... Celle-ci prend plusieurs formes, massacres, armes
prohibées et annulation de l’identité.
Ahmed Loutfi
Chaïmaa Abdel-Hamid
A quand un jugement des criminels ?
Richard Falk, rapporteur spécial de l’Onu sur les droits des Palestiniens, parle de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis par Israël et pose la question : « Un procès de Nuremberg contre les criminels de guerre israéliens ? Juridiquement et moralement, pourquoi pas ? ».
Dans un rapport présenté devant le Conseil des droits de l’homme de l’Onu, le rapporteur spécial onusien appelle à une « enquête d’experts » pour déterminer si, étant donné le contexte, il était possible au régime israélien de distinguer entre cibles militaires et population civile.
« Si ce n’était pas possible, alors l’offensive est par nature illégale et constitue un crime de guerre de la plus grande ampleur », écrit-il. Et « sur la base des éléments de preuve actuellement disponible, il y a des raisons d’en arriver à cette conclusion ». « Le recours à la force (par Israël) n’était pas justifié du point de vue légal, étant donné (...) les alternatives diplomatiques disponibles ».
« Israël n’était pas en situation de légitime défense » au moment où il a déclenché son offensive le 27 décembre et n’a « pas voulu prolonger le cessez-le-feu que lui proposait le Hamas ».
Témoignages d’Israël
Les militants de l’organisation Shovrim Shtika (Briser le silence, une organisation de soldats ayant servi dans les Territoires occupés) sont en train de recueillir un nombre impressionnant de témoignages auprès des soldats et des officiers qui ont participé à l’opération « Plomb durci », contre Gaza en décembre 2008 et janvier 2009.
« Tirs injustifiés ». Les soldats racontent notamment comment une mère palestinienne a été tuée avec ses deux enfants par un tireur d’élite parce qu’elle s’était trompée de chemin en sortant de chez elle. Dans un autre cas, une vieille femme palestinienne a été abattue alors qu’elle marchait à 100 mètres de sa maison. D’autres témoins font aussi état d’exactions, d’actes de vandalisme et de destructions dans des maisons.
De plus, il régnait au sein de l’armée un climat de « mépris débridé » et un « sentiment de supériorité » envers les Palestiniens. D’ailleurs, selon le quotidien israélien Haaretz, qui évoque cette affaire en « une », la divulgation de ces « sales secrets » rend difficile pour l’Etat juif de réfuter ces faits comme de la pure propagande palestinienne. Un chef de section a encore rapporté que les hommes sous son commandement estimaient que « la vie des Palestiniens était bien moins importante que celle de nos soldats, donc que ceci justifiait cela ».
Un autre fait état d’actes de vandalisme commis par les soldats. Ecrire « Mort aux Arabes » sur les murs, se saisir de photos de famille pour cracher dessus, simplement parce qu’on en a le pouvoir ... Certains militaires israéliens se seraient affranchis de toute règle morale. Des témoignages font ainsi état d’exactions, d’actes de vandalisme et de destructions dans des maisons. Ainsi des maisons de Palestiniens auraient-ils été « vidées » de leurs habitants par des tirs sans que les habitants ne soient préalablement avertis. « La vie des Palestiniens est quelque chose de beaucoup moins important que celle de nos soldats », explique un soldat de Tsahal.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cela dénote à quel point l’éthique des soldats israéliens s’est dégradée.