L’actualité
de la prophétie
d’Oded
Yinon
Richard Labévière
La
proclamation de Mahmoud
Abbass de
ne pas se présenter
à
l’élection présidentielle
palestinienne,
annoncée pour le 24
janvier 2010,
prend la
valeur d’un symptôme
à trois
dimensions. Premièrement,
elle
dévoile l’incapacité
du nouvel
exécutif
américain à faire
pression
sur Israël pour
qu’il
arrête sa
colonisation.
Deuxièmement,
elle
démontre — une
fois de plus et
s’il en
était encore besoin —
que toute
concession sans contrepartie
à l’axe
américano-israélien
est
organiquement vouée
à l’échec
: en se déjugeant
sur le rapport Goldstone
consacré à
la dernière guerre de Gaza
pourtant
accablant pour Tel-Aviv, Mahmoud
Abbass a
définitivement tué
Abou-Mazen.
Enfin,
elle
entérine durablement la
cassure du
mouvement national
palestinien,
une cassure
fabriquée de
longue date …,
suivant une
prophétie
rédigée par Oded
Yinon (analyste
du
ministère israélien des
Affaires étrangères) en 1982.
Il
faut commencer par
rappeler comment,
dès le début des
années 70, les services
israéliens
ont favorisé les factions
islamistes
contre l’OLP de
Yasser Arafat.
« Nous
offrions un
peu d’aide
financière
à certains
groupes
islamiques.
Nous
soutenions des
mosquées et des
écoles dans
l’intention de
développer
une force de réaction
contre les forces de gauche qui
soutenaient
l’OLP », expliquait en
1973 le général
Segev,
gouverneur de Gaza. Le
dernier livre de
notre
confrère Charles Enderlin
revient abondamment
sur cette
diagonale
du fou sans pour
autant
remonter à
toutes les causes. En
effet,
davantage que
d’une série
d’erreurs et
de dysfonctionnements,
cette
stratégie du
pire relève
d’une fabrication
délibérée et
méthodique
consistant à
jouer la
radicalisation contre
celle de la
négociation politique.
Ainsi, les cabinets
israéliens
successifs travaillistes
et Likoud
se sont plus attachés
à
fragmenter, sinon
à détruire
l’Autorité
palestinienne qu’à
lutter
contre les organisations
radicales.
C’est ainsi
que la
revendication palestinienne
a progressivement
été vidée
de toute substance
politique pour
être
transformée en une simple
question sécuritaire de
maintien de
l’ordre régional
et de lutte
anti-terroriste
globale.
Ensuite,
il s’agit
d’analyser comment les services
israéliens de
sécurité
ont vendu
cette
méthode de fabrication aux troupes
américaines en Iraq, en
Afghanistan et au Pakistan ;
mais aussi
comment cette
politique
dite d’« instabilité
constructive » a été
scrupuleusement
appliquée à
l’encontre des
Etats
arabes de la région,
conformément
à la
prophétie d’Oded
Yinon et à
l’agenda
géopolitique américano-israélien
: retribaliser les
Proche et
Moyen-Orient.
Cette
retribalisation
passe par
une fragmentation territoriale
de l’ensemble
proche et
moyen-oriental en des
unités les plus petites
possibles,
préconisant autrement
dit le
démantèlement pur et
simple des Etats
arabes. En guise de
préambule,
Yinon écrit
: « Le monde arabe
islamique
n’est qu’un château de
cartes
construit par des puissances
étrangères — la France et la
Grande-Bretagne dans les
années 1920 — au
mépris des aspirations des
autochtones.
Cette
région a été
arbitrairement
divisée en
dix-neuf Etats,
tous
composés de groupes
ethniques
différents, de minorités
hostiles les unes aux
autres, si
bien que
chacun des
Etats arabes
islamiques
d’aujourd’hui se trouve
menacé de
l’intérieur en raison de dissensions
ethniques et
sociales, et
que dans
certains
d’entre eux, la guerre
civile est
déjà à
l’œuvre ». S’appuyant
principalement
sur une
bibliographie
américaine,
citant abondamment
Bernard Lewis et Samuel Huntington, la note
passe en revue
ces
dix-neuf Etats
arabes en
répertoriant leurs
principaux
facteurs centrifuges,
annonciateurs de
désintégration
: « telle
est la
triste situation de fait, la situation
troublée des pays qui
entourent
Israël ». La recommandation
d’Yinon est
parfaitement
claire
: « C’est
une situation
lourde de menaces, de dangers,
mais aussi
riche de possibilités, pour la
première fois
depuis 1967 ».
L’analyse
politique
mérite, elle
aussi,
toute notre
attention : la
politique de «
paix » et la restitution des
territoires,
sous la
pression des Etats-Unis,
excluent
cette chance nouvelle qui
s’offre à
nous.
Depuis
1967, les gouvernements
successifs
d’Israël ont
subordonné
nos objectifs
nationaux à
d’étroites
urgences politiques,
à une
politique
intérieure stérilisante
qui nous
liait les mains aussi
bien chez
nous qu’à
l’étranger.
Après
une ultime
recommandation qui invite
Israël à
« agir
directement ou
indirectement pour
reprendre le
Sinaï en
tant que
réserve
stratégique, économique
et énergétique »,
Yinon
conclut : « La décomposition
du Liban
en cinq provinces
préfigure le sort qui attend le
monde arabe tout
entier, y
compris l’Egypte, la
Syrie,
l’Iraq et toute la
péninsule
arabe. Au Liban,
c’est déjà
un fait accompli. La
désintégration de la Syrie
et de l’Iraq
en provinces ethniquement
ou
religieusement homogènes,
comme au
Liban, est
l’objectif
prioritaire d’Israël,
à long
terme, sur son front Est.
A court terme,
l’objectif
est la dissolution
militaire de
ces Etats.
La Syrie va
se diviser en
plusieurs
Etats, suivant les
communautés
ethniques, de telle
sorte que
la côte
deviendra un Etat
alaouite
chiite
; la région
d’Alep, un
Etat sunnite ;
à Damas,
un autre
Etat sunnite hostile
à son
voisin du
nord verra
le jour ; les Druzes
constitueront
leur propre
Etat, qui
s’étendra sur
notre Golan
peut-être et en tout cas
dans le
Haurân et en Jordanie
du Nord
».
Conclusion de la
prophétie
: « L’objectif
prioritaire
d’Israël à long
terme »
consiste donc
à favoriser
tous les
facteurs de désintégration
des Etats
arabes, démantèlement
devant
déboucher sur la
balkanisation de la
région. Dix
ans avant les massacres,
les charniers
et autres
« terribles cortèges » de
Bosnie, cet
encouragement prémonitoire
à la purification
ethnique et
religieuse fait littéralement
froid dans
le dos.