Egypte-Algérie.
A la veille du match pour la qualification au Mondial 2010,
la tension grimpe, les médias et les foules des deux côtés
s’échauffent. Au-delà d’un événement purement sportif, il
incarne un vrai phénomène de société. Des initiatives des
deux côtés ont été prises pour calmer les esprits.
L’autre match
Les
présidents Moubarak et Bouteflika, main dans la main,
descendent les gradins et se dirigent vers le centre du
stade pour saluer les joueurs des deux équipes, puis lancent
le ballon pour annoncer le commencement du match avant de
retourner à leurs sièges. La scène est le fruit de
l’imagination d’un journaliste du quotidien égyptien Al-Chourouq
qui, dans son éditorial, a lancé cet appel aux dirigeants
des deux pays, en mettant l’accent sur l’importance du rôle
qu’ils peuvent jouer lors du match décisif du 14 novembre.
Ce match entre l’Egypte et l’Algérie pour la qualification
au Mondial 2010 en Afrique du Sud fait couler beaucoup
d’encre et enflamme médias et foules. Les Pharaons ne
seraient qualifiés pour la phase finale que s’ils gagnent
par 3 buts à 0. Un 2-0 mènerait à un match de barrage dans
un tierce pays.
Le jour
J approche et la tension ne cesse de monter. Chaque équipe
se prépare, des camps de préparation se tiennent et les
responsables du secteur du sport des deux pays lancent des
promesses de rénumérations séduisantes en cas de victoire.
L’affaire a soudain pris une grande ampleur. Les esprits
s’échauffent et les supporters sont surexcités. La tension
est le mot d’ordre et les slogans fusent. « Gagner l’Algérie
et mourir », dit-on ici et là. « Ce match est le match de
l’honneur, de la dignité. Il est aussi important que la
guerre du 6 Octobre. Si notre armée a remporté la victoire
en récupérant les territoires usurpés et surtout notre
dignité, notre équipe de foot doit faire de même et se
qualifier au Mondial. Nous n’avons qu’un seul choix : gagner
», avance Fahmi, un supporteur acharné. Aussi bien dans les
cafés que dans les bureaux, les foyers ou les écoles, le ton
est le même. Pour les Egyptiens, il s’agit d’une question de
vie ou de mort, d’un jour fatal. Tout le monde est braqué
sur ce match et la victoire est devenue le rêve des
Egyptiens. Dans les médias, on ne parle plus de politique et
les rumeurs sur le remaniement ministériel imminent ne
semblent guère intéresser les gens. Seules les nouvelles sur
le match attirent l’attention et suscitent la curiosité.
Même
les hommes de religion ont eu leur mot à dire. Au cours du
prêche du vendredi, les cheikhs n’ont pas hésité à implorer
Dieu pour protéger notre équipe nationale et l’aider à
remporter la victoire. Même l’Eglise copte a consacré un
jour de prière pour que Dieu bénisse l’équipe.
Un jeune
habitant de la ville d’Assouan a promis au joueur
Abou-Treika de lui offrir le seul appartement qu’il possède
et qu’il a acheté à crédit dans le projet de logement pour
jeunes (Ebni beitak) si l’Egypte gagnerait le match.
Une
première dans l’histoire du pays. Jamais, un événement
sportif n’a pris cette dimension.
Une
chose est indéniable : le foot est pour les Egyptiens la
seule lueur d’espoir et l’unique source de joie dans un
quotidien frustrant. Une sorte de compensation face à toutes
difficultés. « Le foot est la seule chose qui nous permet de
supporter les accidents de train, la corruption, les
conditions de vie inhumaines dans lesquelles nous vivons et
les jours difficiles qui nous attendent. N’avons-nous pas le
droit de rêver ? », s’interroge Ali, portier.
Mais
est-ce une raison pour créer toute cette tension ? « On a
oublié qu’il s’agit tout simplement de sport et non d’un
conflit militaire. Les fans du foot proposent des tactiques
et comparent les Algériens à des ennemis », s’indigne Hassan
Al-Mestekawi, journaliste spécialiste dans le sport.
Tout le
monde s’attend au pire. Certains ont même proposé que le
match se déroule dans le stade de Borg Al-Arab, situé dans
une région calme et isolée, pour éviter toute sorte de
sabotage dans la capitale suite au match.
D’autres
sont allés plus loin et ont proposé que le match soit
uniquement diffusé en direct aux téléspectateurs et soit
joué sans supporters dans le stade.
En
Algérie, l’ambiance n’est pas plus calme. Les fans de
l’équipe comparent leurs joueurs à des commandos. Et le ton
est au défi. « Les Algériens n’ont pas oublié que c’est
l’équipe d’Egypte qui les a éloignés du Mondial en 1989. Ils
ne sont sûrement pas prêts à vivre le même drame en 2009.
Pour eux, c’est surtout une question de vengeance », lance
Omar, un supporteur endurci.
Sur les
sites Internet, les fans du foot des deux pays s’échangent
des accusations. Sur le Facebook et le Youtube, on diffuse
des photos et des scènes de jeunes Algériens en train de
brûler le drapeau égyptien. Les Egyptiens, fous de rage, ont
à leur tour répondu par une série d’attaques et de
programmes télévisés adoptant un ton plus offensif.
Une
ambiance tendue qui a poussé certains médias à lancer des
initiatives visant à calmer les gens. « Une fleur pour
chaque joueur algérien », a lancé le quotidien Al-Masry
Al-Youm. Une initiative prise par des stars, écrivains,
sportifs et intellectuels. Elle vise à exprimer leur rejet
du fanatisme et à mettre l’accent sur les liens chaleureux
qui unissent les deux pays. Les deux quotidiens algériens et
égyptiens Al-Chourouq ont également consacré des sites
électroniques sur lesquels les lecteurs expriment leurs
opinions. « Notre objectif est d’aider les gens à prendre
conscience. L’on n’accepte aucune injure, mais juste des
textes illustrant un esprit sportif », précisent les
responsables du site. Une délégation formée de sportifs
égyptiens vient de se rendre en Algérie portant le nom « les
raisonnables des médias ». Une visite qui vise à calmer les
esprits.
Les deux
chanteurs de grande renommée Mohamad Mounir et chab Khaled
ont décidé d’organiser un concert en commun à la veille du
match. Chacun des deux chanteurs portera le drapeau de
l’autre pays et répétera ses chansons.
Même les
restaurants s’y sont mis. Une chaîne de fast-food a lancé
une campagne dont les affiches présentent des joueurs des
deux équipes en train de manger ensemble le même plat avec
comme slogan : « Si le sport vous divise, la bonne bouffe
peut vous réunir ».
Le
président du comité du sport au Parlement a suggéré de
rendre hommage à l’équipe algérienne sous la coupole du
Parlement dès leur arrivée en Egypte.
Des
initiatives qui ont fait écho dans la rue. Ce n’est que
quelques jours plus tard que le dialogue entre les
représentants des deux pays a pris une autre tournure. Les
deux ministres des Affaires étrangères ne cessent de
s’échanger des communications téléphoniques. Le ministre
algérien de la Communication, Ezz Eldine Mihoubi, déclare
que « les relations historiques qui unissent les deux pays
se placent au-delà de cet événement sportif et ne doivent en
aucun cas être menacées par le résultat d’un match ».
« Entre
frères et non entre ennemis », lancent les responsables des
deux pays. « On voudrait bannir de tels comportements », «
l’esprit sportif doit régner entre ces deux peuples frères
», tel est le ton adopté dernièrement.
Mais, il
semble que cette dose intensive de couverture médiatique et
ces visites réciproques ont donné aux gens l’impression
qu’il s’agit d’une affaire d’Etat. « Veulent-ils nous faire
comprendre qu’en sport comme en politique l’Egypte est
appelée à jouer le rôle du frère aîné, qui est censé
pardonner, comprendre et supporter les souffrances »,
s’interroge Am Gouda, serveur dans un café.
Ce fan
du foot a décidé d’emmener toute sa famille pour voir le
match. « Nous sommes tolérants, mais cela ne doit pas être
aux dépens de notre équipe », avance Choukri, chauffeur de
taxi. Sur sa voiture il a collé une affiche qui dit « Go
Egypt ».
Belal
Allam, commentateur de match de foot à la chaîne ART, attend
ce jour avec impatience. « Je rêve d’avoir l’honneur de
faire le commentaire de ce match. C’est pour moi un rôle
patriotique. Mes collègues et moi, nous nous sommes promis
d’être objectifs et de respecter les sentiments des
téléspectateurs algériens », dit-il.
Un
simple match de foot ou une bataille militaire ? On devra
tous attendre le 14 novembre pour le savoir. « Le football
ne peut pas effacer des années d’histoire commune. Il ne
faut pas oublier le rôle qu’a joué l’Egypte en soutenant
l’Algérie dans sa lutte pour son indépendance. L’Algérie a
également été le premier pays à interdire l’accès du pétrole
à Israël lors de la guerre du 6 Octobre », vient de déclarer
l’ambassadeur Ahmed Ben Hali, vice-secrétaire général de la
Ligue arabe, de nationalité algérienne. « Peu importe le
vainqueur, il suffit que les Arabes soient présents au
Mondial », a-t-il ajouté.
Des
faits que personne ne peut nier. Mais ce qu’on ne peut pas
nier non plus c’est que le 14 novembre, une seule équipe ira
au Mondial. Les supporters des deux pays rêvent de voir leur
équipe exaucer ce rêve. Un rêve légitime, en espérant qu’il
ne nous coûtera pas trop cher.
Amira
Doss