Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Les témoins du carnage
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Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 28 janvier au 3 février 2009, numéro 751

 

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Nulle part ailleurs

Gaza. Ils y étaient pendant les bombardements, ils ont vécu l’horreur en direct dans les hôpitaux où le sol était parfois recouvert de sang et de membres mutilés. Ils témoignent de la sale guerre d’Israël où des armes interdites ont provoqué des blessures mortelles. Ils témoignent aussi d'un peuple dont la résistance et la patience sont hors du commun.  

Les témoins du carnage 

Secoués par des scènes de morts et de blessés de guerre qu'ils n'ont jamais vues ou dont ils n'ont jamais entendu parler, des médecins, de retour de la bande de Gaza en état de choc, tiennent à donner leurs témoignages, d'odeur de la mort. Chacun à sa manière essaye de décrire des heures et des jours d'enfer sous l'atrocité des raids continuels. Cependant, tous assurent que les offensives féroces dépassaient toute raison et les scènes d'horreur et de traumatisme défient celles des films américains.

« Ce n'est pas de la médecine, ce qu'on soignait n'est pas écrit dans les livres médicaux, C'est plus que des crimes de guerre. C'est de la folie. Des pieds effrités, des corps d'enfants qui ne possèdent pas la partie inférieure, des cerveaux hors des crânes, des amputations et des cadavres noirs comme du jais. Des attaques visant à traumatiser tout un peuple et le détruire ». Des phrases répétées par les différents médecins de tout âge, spécialité, pays et tendance politique.

L'expérience de partager les opérations de secours avec les médecins palestiniens sous les bombardements et de témoigner des scènes de massacres et des tueries inhumaines contre un peuple en embargo a ébranlé la vie de ces médecins. Et les scènes défilent, sans parfois un enchaînement d'idées pour témoigner de la sale guerre d’Israël qui restera dans la mémoire du monde comme une grave atteinte à l'humanité. « C'était un état de désastre dans les hôpitaux, avec les raids continuels et intensifs et l'épuisement du cadre médical qui se trouve parfois impuissant face au nombre de blessés qui dépasse ses capacités. 300 blessés affluent parfois en une seule heure à l'hôpital. Et les médecins font le tour des victimes posées par terre à la réception pour essayer de détecter celles qui sont toujours en vie pour les transmettre en salles d'opération. Pas le temps de bien ausculter les blessés. Pas aussi de temps pour respecter les normes de stérilisation des outils utilisés durant les opérations chirurgicales. Les médecins ne pouvaient pas faire le choix entre poursuivre l'état des blessés ou faire des opérations », explique Amr Al-Sayed, spécialiste en maladies cardio-vasculaires et un des médecins égyptiens qui n'ont pas tardé à se lancer vers Gaza. En fait, les médecins palestiniens ont poussé un grand soupir avec l'arrivée d'un deuxième groupe d'une trentaine de médecins égyptiens et arabes dans une période critique. Une présence qui a été beaucoup appréciée et accueillie chaleureusement par le corps médical à l'hôpital Al-Chéfa, avec à sa tête le ministre palestinien de la Santé. Un soutien moral pour cette union arabe des médecins qui ont vite été pris par les événements. Les offensives israéliennes ne laissent personne respirer. Il faut agir vite. Et les expériences se sont échangées face à des catastrophes humaines, du jamais-vu. Un corps médical qui vole quelques minutes de sommeil.

Des médecins palestiniens habitués à agir rapidement et à prendre des décisions immédiates et d'autres égyptiens plus spécialisés dans les interventions chirurgicales qui passent des heures pour sauver la vie d'une victime ou éviter l'amputation d'un organe. Chacun essayait d'activer sa mémoire pour qu'elle puisse ressusciter toute expérience individuelle préalable, afin de faire face à des blessures aussi cruelles. « Des cas que nous n'avons jamais étudiés ni croisés. Des amputations graves, des membres attachés au corps avec seulement une partie fine de la peau, des cadavres carbonisés ou qui ne possèdent pas la partie inférieure, des membres effrités, des hémorragies incessantes ou un décès soudain suite à une explosion d'un organe interne sans aucune blessure en apparence », explique le Dr Rached Al-Sadeq, ostéologue, qui essaye de décrire l'état de mobilisation dans l'hôpital Al-Chéfa lors des bombardements. « Des médecins effectuent une opération pour essayer d'arrêter l'hémorragie, d'autres essayent de préserver cette jambe pour ne pas l’amputer et un troisième groupe va jusqu'à mettre des serviettes dans le corps pour absorber une hémorragie incessante », lance Rached qui n'arrive pas à contenir ses larmes face à cette férocité qui va à l'encontre de toute conscience, ou raison. Il cite l'exemple d'un blessé qui a pris plus de 18 poches de sang sans pouvoir être sauvé. « Son sang n'a pas coagulé, il a continué à saigner jusqu'à la mort », se rappelle Rached. Qu’on soit ostéologue ou pédiatre, ici peu importe les spécialités médicales, l'important est de sauver une vie. Selon Ahmad, Palestinien, responsable de la coordination des groupes des médecins égyptiens et arabes, les médecins égyptiens, doués en chirurgie compliquée, déployaient des efforts inimaginables pour sauver des blessés que les Palestiniens considèrent comme des cas désespérés.

Le Dr Atef Al-Hadidi, chirurgien pédiatre, a mis son témoignage de ces massacres humains, en photos et radiographies, sur son blog sur Internet. Il révèle que les genres d'armes utilisées causent une baisse aiguë des plaques sanguines. De graves blessures qui s'ajoutent à un nombre incessant de victimes ont rendu la mission des médecins bien lourde. « Après notre arrivée, Israël a bombardé l'hôpital Al-Qods dont environ 240 blessés ont été transmis à l'hôpital d'Al-Chéfa, déjà incapable d'assimiler ses victimes. Ce qui nous a obligés de demander à des blessés, encore sous traitement, de quitter leurs lits pour rentrer chez eux ou aller vers d'autres hôpitaux. Une situation qui a été suivie par des raids violents et incessants qui ont fait affluer des centaines de victimes à l'hôpital », explique le Dr Amr Al-Sayed en disant qu'Israël ne voulait pas seulement tuer les gens, mais garantir aux survivants des paralysies à vie.

Des blessures qui entraînaient certains ambulanciers et infirmières dans un état d'hystérie et de dépression nerveuses. Même les médecins comme le Dr Mohamad Ghoneim, urologue et savant égyptien de grande renommée, commentaient ces genres de blessures, jamais vues, comme une sorte de folie. Lui, qui a saisi les scènes du massacre en photos, explique que l'utilisation des bombes phosphoriques et du « Dime » cause des déchirements, des amputations graves et des brûlures sérieuses.

« Armes chimiques, interdites, et qui ont fait que les médecins ont essayé de chercher de nouveaux moyens pour y faire face », dit Ghoneim en ajoutant que la vaseline et le sulfate de cuivre étaient une proposition d'un des médecins pour couvrir le corps du blessé afin d'éviter toute aggravation des brûlures au premier contact avec l'oxygène de l'air. Il lance des appels urgents aux organisations internationales pour bien étudier ce genre d'armes et incriminer les Israéliens qui l'ont utilisé.

Des armes dont les conséquences ne sont pas encore connues et qui seront révélées plus tard. Une question qui préoccupe toujours les médecins, même après leur retour en Egypte. « Nous suivons les blessés qui ont été transférés en Egypte : des décès, des irritations, ou des amputations. Même nous les médecins, nous pourrions avoir des effets secondaires après nous être exposés à ce genre de produits », craint le Dr Amr.

« Y a-t-il plus horrible que ça, des millions de tonnes de bombes utilisées contre un peuple déjà sous embargo ? Et les victimes sont pour la plupart des civils, enfants et femmes, en grand nombre », s'interroge le Dr Rached qui n'oubliera jamais le jour où un médecin palestinien lui a fait visiter la salle d'autopsie : une femme embrassant ses quatre filles, toutes complètement carbonisées. Un nouveau-né placé sur la tête d'une autre victime. Trop de morts pour une surface limitée. « Ce qui fait que des cadavres sont placés par terre. Cette nuit, je n'ai pas pu connaître le sommeil. L'odeur de la mort ne m'a pas quitté », dit Rached tout en assurant que malgré cette férocité et ce drame, les Palestiniens éprouvaient une résistance et une patience stupéfiantes. Ce sont eux qui nous soulageaient. « Un de mes collègues égyptiens leur a dit un jour que nous avons senti que nous étions trop petits face à leur force ». Et il raconte : « En écoutant tomber les bombes et les missiles sur nos têtes, ils nous répétaient qu'il s'agit d'un bombardement léger ». Une autre histoire : « Le sol de l'hôpital couvert de sang et d’organes mutilés pouvait redevenir propre en un temps record comme si rien n'avait eu lieu. Chacun fait son rôle sans qu'on lui adresse un ordre ni qu'on le surveille ».

Des exemples de pertinence et de patience qui marqueront à jamais la vie de ces médecins qui confient avoir beaucoup appris de ce peuple « étrange » et « singulier », comme ils le qualifient.

« L'image de Mona Al-Achqar, une fille de 16 ans, qui a été emmenée à l'hôpital avec une jambe amputée d'une manière si horrible qu’on voyait les os de sa cuisse, a lancé un cri de choc après avoir jeté un coup d'œil sur son handicap. Le lendemain, elle m'a accueilli avec un large sourire et un remerciement à Dieu malgré son impuissance. Une satisfaction et un courage difficiles à décrire, que je n'ai jamais vus, c'est un peuple pas comme les autres », explique le Dr Atef Al-Hadidi, qui travaillait à l'hôpital Kamal Edwan à Beit Lahya où les combats faisaient rage et où les raids se succédaient toutes les dix minutes. Le Dr Ihab Abou-Zeid cite un autre exemple d'un père qui parlait avec les médecins qui essayaient de sauver la vie de son fils, violemment bombardé et qui répondait au téléphone annonçant à sa femme que tout va bien. « Même s’il a un fils entre les mains des médecins qui risque de perdre sa vie et un autre qu'il ne trouve pas encore ».

Une autre mère, comme le raconte le Dr Khaled Abdel-Fattah, dont les poumons ont été gravement blessés et dont le fils est mort, lui a demandé s'il appartient au club Ahli ou Zamalek.

Un peuple incomparable comme le dit Mohamad Saïd, le plus jeune de la mission des médecins égyptiens. « Un peuple résistant malgré les carnages. J'ai vu beaucoup d'enfants qui ont perdu toutes leurs familles et qui ont fait pleurer médecins et journalistes. D'autres enfants morts pour avoir osé jouer avec des missiles qui n’ont pas explosé. Une vingtaine d'ambulanciers ont aussi subi la mort tout en essayant de faire parvenir un blessé à l'hôpital. Quelle cruauté ? », s'insurge Mohamad. Une cruauté qui entrave même le travail des ambulanciers et va jusqu'à leur interdire de s'approcher des victimes. « Un ambulancier a été pris par une dépression nerveuse parce qu'il a vécu la mort lente d'une victime, sous ses yeux, durant deux heures. Chaque fois que l'ambulancier s'approchait de lui, les Israéliens tiraient sur une partie du corps de la victime jusqu'à la mort », a révélé un des témoins. Avec un bilan de 1 300 morts, 5 600 blessés et Gaza qui donne l'aspect d’un paysage lunaire suite aux destructions, le cessez-le-feu ne semble pas mettre fin à la plaie qui continue à saigner. Aujourd'hui, les tirs se sont arrêtés et la vie reprend son cours normal dans cette ville meurtrie. Des gens installent des générateurs électriques, d'autres sinistrés ayant plus d'un mort dans la même famille invitent chez eux les médecins égyptiens pour siroter un thé dans ce qui reste d’une maison toujours en deuil. « Un retour à la vie qui ne doit pas, cependant, faire oublier au monde les crimes de guerre impitoyables et impardonnables dont les traces sont toujours là, et l'agresseur doit être sanctionné », conclut Ghoneim qui a décidé d'organiser la prochaine conférence d'urologie à Gaza.

Doaa Khalifa

 




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