Gaza.
Ils y étaient pendant les bombardements, ils ont vécu
l’horreur en direct dans les hôpitaux où le sol était
parfois recouvert de sang et de membres mutilés. Ils
témoignent de la sale guerre d’Israël où des armes
interdites ont provoqué des blessures mortelles. Ils
témoignent aussi d'un peuple dont la résistance et la
patience sont hors du commun.
Les témoins du carnage
Secoués
par des scènes de morts et de blessés de guerre qu'ils n'ont
jamais vues ou dont ils n'ont jamais entendu parler, des
médecins, de retour de la bande de Gaza en état de choc,
tiennent à donner leurs témoignages, d'odeur de la mort.
Chacun à sa manière essaye de décrire des heures et des
jours d'enfer sous l'atrocité des raids continuels.
Cependant, tous assurent que les offensives féroces
dépassaient toute raison et les scènes d'horreur et de
traumatisme défient celles des films américains.
« Ce n'est pas de la médecine, ce qu'on soignait n'est pas
écrit dans les livres médicaux, C'est plus que des crimes de
guerre. C'est de la folie. Des pieds effrités, des corps
d'enfants qui ne possèdent pas la partie inférieure, des
cerveaux hors des crânes, des amputations et des cadavres
noirs comme du jais. Des attaques visant à traumatiser tout
un peuple et le détruire ». Des phrases répétées par les
différents médecins de tout âge, spécialité, pays et
tendance politique.
L'expérience
de partager les opérations de secours avec les médecins
palestiniens sous les bombardements et de témoigner des
scènes de massacres et des tueries inhumaines contre un
peuple en embargo a ébranlé la vie de ces médecins. Et les
scènes défilent, sans parfois un enchaînement d'idées pour
témoigner de la sale guerre d’Israël qui restera dans la
mémoire du monde comme une grave atteinte à l'humanité. «
C'était un état de désastre dans les hôpitaux, avec les
raids continuels et intensifs et l'épuisement du cadre
médical qui se trouve parfois impuissant face au nombre de
blessés qui dépasse ses capacités. 300 blessés affluent
parfois en une seule heure à l'hôpital. Et les médecins font
le tour des victimes posées par terre à la réception pour
essayer de détecter celles qui sont toujours en vie pour les
transmettre en salles d'opération. Pas le temps de bien
ausculter les blessés. Pas aussi de temps pour respecter les
normes de stérilisation des outils utilisés durant les
opérations chirurgicales. Les médecins ne pouvaient pas
faire le choix entre poursuivre l'état des blessés ou faire
des opérations », explique Amr Al-Sayed, spécialiste en
maladies cardio-vasculaires et un des médecins égyptiens qui
n'ont pas tardé à se lancer vers Gaza. En fait, les médecins
palestiniens ont poussé un grand soupir avec l'arrivée d'un
deuxième groupe d'une trentaine de médecins égyptiens et
arabes dans une période critique. Une présence qui a été
beaucoup appréciée et accueillie chaleureusement par le
corps médical à l'hôpital Al-Chéfa, avec à sa tête le
ministre palestinien de la Santé. Un soutien moral pour
cette union arabe des médecins qui ont vite été pris par les
événements. Les offensives israéliennes ne laissent personne
respirer. Il faut agir vite. Et les expériences se sont
échangées face à des catastrophes humaines, du jamais-vu. Un
corps médical qui vole quelques minutes de sommeil.
Des médecins palestiniens habitués à agir rapidement et à
prendre des décisions immédiates et d'autres égyptiens plus
spécialisés dans les interventions chirurgicales qui passent
des heures pour sauver la vie d'une victime ou éviter
l'amputation d'un organe. Chacun essayait d'activer sa
mémoire pour qu'elle puisse ressusciter toute expérience
individuelle préalable, afin de faire face à des blessures
aussi cruelles. « Des cas que nous n'avons jamais étudiés ni
croisés. Des amputations graves, des membres attachés au
corps avec seulement une partie fine de la peau, des
cadavres carbonisés ou qui ne possèdent pas la partie
inférieure, des membres effrités, des hémorragies
incessantes ou un décès soudain suite à une explosion d'un
organe interne sans aucune blessure en apparence », explique
le Dr Rached Al-Sadeq, ostéologue, qui essaye de décrire
l'état de mobilisation dans l'hôpital Al-Chéfa lors des
bombardements. « Des médecins effectuent une opération pour
essayer d'arrêter l'hémorragie, d'autres essayent de
préserver cette jambe pour ne pas l’amputer et un troisième
groupe va jusqu'à mettre des serviettes dans le corps pour
absorber une hémorragie incessante », lance Rached qui
n'arrive pas à contenir ses larmes face à cette férocité qui
va à l'encontre de toute conscience, ou raison. Il cite
l'exemple d'un blessé qui a pris plus de 18 poches de sang
sans pouvoir être sauvé. « Son sang n'a pas coagulé, il a
continué à saigner jusqu'à la mort », se rappelle Rached.
Qu’on soit ostéologue ou pédiatre, ici peu importe les
spécialités médicales, l'important est de sauver une vie.
Selon Ahmad, Palestinien, responsable de la coordination des
groupes des médecins égyptiens et arabes, les médecins
égyptiens, doués en chirurgie compliquée, déployaient des
efforts inimaginables pour sauver des blessés que les
Palestiniens considèrent comme des cas désespérés.
Le
Dr Atef Al-Hadidi, chirurgien pédiatre, a mis son témoignage
de ces massacres humains, en photos et radiographies, sur
son blog sur Internet. Il révèle que les genres d'armes
utilisées causent une baisse aiguë des plaques sanguines. De
graves blessures qui s'ajoutent à un nombre incessant de
victimes ont rendu la mission des médecins bien lourde. «
Après notre arrivée, Israël a bombardé l'hôpital Al-Qods
dont environ 240 blessés ont été transmis à l'hôpital d'Al-Chéfa,
déjà incapable d'assimiler ses victimes. Ce qui nous a
obligés de demander à des blessés, encore sous traitement,
de quitter leurs lits pour rentrer chez eux ou aller vers
d'autres hôpitaux. Une situation qui a été suivie par des
raids violents et incessants qui ont fait affluer des
centaines de victimes à l'hôpital », explique le Dr Amr
Al-Sayed en disant qu'Israël ne voulait pas seulement tuer
les gens, mais garantir aux survivants des paralysies à vie.
Des blessures qui entraînaient certains ambulanciers et
infirmières dans un état d'hystérie et de dépression
nerveuses. Même les médecins comme le Dr Mohamad Ghoneim,
urologue et savant égyptien de grande renommée, commentaient
ces genres de blessures, jamais vues, comme une sorte de
folie. Lui, qui a saisi les scènes du massacre en photos,
explique que l'utilisation des bombes phosphoriques et du «
Dime » cause des déchirements, des amputations graves et des
brûlures sérieuses.
« Armes chimiques, interdites, et qui ont fait que les
médecins ont essayé de chercher de nouveaux moyens pour y
faire face », dit Ghoneim en ajoutant que la vaseline et le
sulfate de cuivre étaient une proposition d'un des médecins
pour couvrir le corps du blessé afin d'éviter toute
aggravation des brûlures au premier contact avec l'oxygène
de l'air. Il lance des appels urgents aux organisations
internationales pour bien étudier ce genre d'armes et
incriminer les Israéliens qui l'ont utilisé.
Des armes dont les conséquences ne sont pas encore connues
et qui seront révélées plus tard. Une question qui préoccupe
toujours les médecins, même après leur retour en Egypte. «
Nous suivons les blessés qui ont été transférés en Egypte :
des décès, des irritations, ou des amputations. Même nous
les médecins, nous pourrions avoir des effets secondaires
après nous être exposés à ce genre de produits », craint le
Dr Amr.
«
Y a-t-il plus horrible que ça, des millions de tonnes de
bombes utilisées contre un peuple déjà sous embargo ? Et les
victimes sont pour la plupart des civils, enfants et femmes,
en grand nombre », s'interroge le Dr Rached qui n'oubliera
jamais le jour où un médecin palestinien lui a fait visiter
la salle d'autopsie : une femme embrassant ses quatre
filles, toutes complètement carbonisées. Un nouveau-né placé
sur la tête d'une autre victime. Trop de morts pour une
surface limitée. « Ce qui fait que des cadavres sont placés
par terre. Cette nuit, je n'ai pas pu connaître le sommeil.
L'odeur de la mort ne m'a pas quitté », dit Rached tout en
assurant que malgré cette férocité et ce drame, les
Palestiniens éprouvaient une résistance et une patience
stupéfiantes. Ce sont eux qui nous soulageaient. « Un de mes
collègues égyptiens leur a dit un jour que nous avons senti
que nous étions trop petits face à leur force ». Et il
raconte : « En écoutant tomber les bombes et les missiles
sur nos têtes, ils nous répétaient qu'il s'agit d'un
bombardement léger ». Une autre histoire : « Le sol de
l'hôpital couvert de sang et d’organes mutilés pouvait
redevenir propre en un temps record comme si rien n'avait eu
lieu. Chacun fait son rôle sans qu'on lui adresse un ordre
ni qu'on le surveille ».
Des exemples de pertinence et de patience qui marqueront à
jamais la vie de ces médecins qui confient avoir beaucoup
appris de ce peuple « étrange » et « singulier », comme ils
le qualifient.
« L'image de Mona Al-Achqar, une fille de 16 ans, qui a été
emmenée à l'hôpital avec une jambe amputée d'une manière si
horrible qu’on voyait les os de sa cuisse, a lancé un cri de
choc après avoir jeté un coup d'œil sur son handicap. Le
lendemain, elle m'a accueilli avec un large sourire et un
remerciement à Dieu malgré son impuissance. Une satisfaction
et un courage difficiles à décrire, que je n'ai jamais vus,
c'est un peuple pas comme les autres », explique le Dr Atef
Al-Hadidi, qui travaillait à l'hôpital Kamal Edwan à Beit
Lahya où les combats faisaient rage et où les raids se
succédaient toutes les dix minutes. Le Dr Ihab Abou-Zeid
cite un autre exemple d'un père qui parlait avec les
médecins qui essayaient de sauver la vie de son fils,
violemment bombardé et qui répondait au téléphone annonçant
à sa femme que tout va bien. « Même s’il a un fils entre les
mains des médecins qui risque de perdre sa vie et un autre
qu'il ne trouve pas encore ».
Une autre mère, comme le raconte le Dr Khaled Abdel-Fattah,
dont les poumons ont été gravement blessés et dont le fils
est mort, lui a demandé s'il appartient au club Ahli ou
Zamalek.
Un peuple incomparable comme le dit Mohamad Saïd, le plus
jeune de la mission des médecins égyptiens. « Un peuple
résistant malgré les carnages. J'ai vu beaucoup d'enfants
qui ont perdu toutes leurs familles et qui ont fait pleurer
médecins et journalistes. D'autres enfants morts pour avoir
osé jouer avec des missiles qui n’ont pas explosé. Une
vingtaine d'ambulanciers ont aussi subi la mort tout en
essayant de faire parvenir un blessé à l'hôpital. Quelle
cruauté ? », s'insurge Mohamad. Une cruauté qui entrave même
le travail des ambulanciers et va jusqu'à leur interdire de
s'approcher des victimes. « Un ambulancier a été pris par
une dépression nerveuse parce qu'il a vécu la mort lente
d'une victime, sous ses yeux, durant deux heures. Chaque
fois que l'ambulancier s'approchait de lui, les Israéliens
tiraient sur une partie du corps de la victime jusqu'à la
mort », a révélé un des témoins. Avec un bilan de 1 300
morts, 5 600 blessés et Gaza qui donne l'aspect d’un paysage
lunaire suite aux destructions, le cessez-le-feu ne semble
pas mettre fin à la plaie qui continue à saigner.
Aujourd'hui, les tirs se sont arrêtés et la vie reprend son
cours normal dans cette ville meurtrie. Des gens installent
des générateurs électriques, d'autres sinistrés ayant plus
d'un mort dans la même famille invitent chez eux les
médecins égyptiens pour siroter un thé dans ce qui reste
d’une maison toujours en deuil. « Un retour à la vie qui ne
doit pas, cependant, faire oublier au monde les crimes de
guerre impitoyables et impardonnables dont les traces sont
toujours là, et l'agresseur doit être sanctionné », conclut
Ghoneim qui a décidé d'organiser la prochaine conférence
d'urologie à Gaza.
Doaa
Khalifa