Al-Ahram Hebdo,Invité | Marc Schade-Poulsen, « Sans l’engagement des Etats, il sera difficile d'ouvrir une enquête sur Gaza »
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
Nos Archives

 Semaine du 28 janvier au 3 février 2009, numéro 751

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Idées

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Invité

Une mission réunissant la fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), la commission internationale des juristes et le réseau Euro Med des droits de l’homme s'est rendue dans la région la semaine dernière pour se documenter sur les violations du droit international humanitaire. Marc Schade-Poulsen, directeur exécutif du réseau euroméditerranéen des droits de l’homme, s’exprime sur la visite. 

« Sans l’engagement des Etats, il sera difficile d'ouvrir une enquête sur Gaza » 

Al-ahram hebdo : Quel était l’objectif de la mission conjointe que plusieurs organisations des droits de l’homme ont effectué dans la région ?

Marc Schade-Poulsen : Il s’agit tout d’abord d’une mission de solidarité et nous voulions rencontrer nos collègues qui travaillent sur la question des droits de l’homme en Israël et en Palestine et nous voulions aussi essayer d’entrer à Gaza. Notre groupe travaille avec la fédération internationale des droits de l’homme, la fédération internationale des juristes et le réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme que je représente. Nous sommes une délégation très large, réunissant beaucoup d’experts. Ce que nous cherchons à faire, c’est d’essayer de tirer des conclusions temporaires, car nous ne sommes pas une mission chargée d’effectuer une enquête sur ce qui s’est passé à Gaza. Ce que nous pouvons et voulons faire, c’est recommander aux Etats et aux représentants de la communauté internationale de le faire le plus rapidement possible.

— A l'issue de cette visite dans la région, quelles sont les conclusions que vous tirez à propos des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises à Gaza ?

— La première chose que nous avons essayé de faire c’était d’entrer à Gaza. Et lorsque nous avons demandé la permission pour y aller, nous avons reçu comme réponse une lettre du premier ministre israélien affirmant qu’il n’y avait pas de crise humanitaire à Gaza. Et ceci m’a personnellement profondément choqué.

Alors, ce que nous avons pu faire, c’était rencontrer des représentants des organisations israéliennes et palestiniennes qui travaillent à partir d’Israël et des Territoires occupés pour nous documenter autant que possible sur ce qui s’est passé (infractions au droit de l’homme, crimes de guerres, etc.) Nous avons aussi tenu une vidéoconférence à partir de Ramallah avec nos membres du Centre des droits de l’homme à Gaza, Al-Mizan, qui ont fait un travail impressionnant en essayant de documenter les événements dans des conditions extrêmement difficiles.

— Est-ce que vous avez pu réunir des documents qui pourraient servir comme preuves lors d’une poursuite judiciaire contre ceux qui ont commis des violations ou des crimes de guerre ?

— Nous n’avons pas de documents qui peuvent être utilisés aujourd’hui lors d’une poursuite en justice et qui indiquent qu’il y aurait pu y avoir des crimes de guerre. Evidemment, dans une enquête, il faut écouter toutes les parties impliquées et ce n’est pas ce qui a eu lieu pour le moment. Nous avons des rapports émis par le centre palestinien du droit de l’homme à Gaza, Al-Mizan, nous avons les rapports de l’organisation israélienne Bet’Selem et aussi de la Commission indépendante des droits de l’homme qui ont déjà les premières conclusions. Et selon leurs conclusions, tout indique que des crimes de guerre ont eu lieu. Les statistiques que nous avons reçues, qui doivent être confirmées par des instances plus fortes, disent qu’il y a eu plus d’enfants tués à Gaza que de combattants armés du Hamas. Ces chiffres indiquent donc qu’il y a eu quelque chose qui n’a pas du tout marché. Ces rapports indiquent aussi que beaucoup de bâtiments publics, qui appartiennent au peuple palestinien et qui sont gérés par le Hamas, ont été détruits, que beaucoup d’immeubles appartenant à des civils ont également été détruits. Et la vie d’un grand nombre de civils n’a pas été épargnée dans les combats. Il nous semble que les forces israéliennes ont voulu éviter des combats où leurs soldats soient exposés aux luttes et pour cela, ils ont toujours veillé à bombarder de manière massive les lieux avant de s’en rapprocher. Or, une armée respectueuse des lois de la guerre ne se mettrait pas à bombarder de manière aveugle les maisons avant de les attaquer.

— A l’heure actuelle, la préoccupation majeure est celle de comment rendre compte de ce qui s’est réellement passé à Gaza et poursuivre en justice ceux qui ont commis des crimes de guerre. Comment vous envisagez cette démarche dans la période à venir ?

— Si les Etats eux-mêmes ne s’engagent pas à le faire, cela sera très difficile d'ouvrir une enquête officielle et de poursuivre les coupables. Les ONG essayeront de faire de leur mieux. Amnesty International essaye de le faire, Human Rights Watch et d’autres sont en train de faire de leur mieux pour travailler dans ce sens. Mais elles n’ont pas les moyens des Etats, le pouvoir et la force politique pour mettre en place une large mission qui doit comprendre des experts militaires, en armes, des médecins, des experts en droit, etc. En réalité, une bonne enquête demande une très bonne expertise.

— Et comment réunir les conditions pour avoir une commission d’enquête adéquate ?

— Malheureusement, l’Union Européenne (UE) a voté « non » pour la résolution du Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies, qui demandait que tous les rapporteurs spéciaux entrent à Gaza pour se documenter dans leurs domaines sur ce qui s’est passé. Et l’Europe a dit « non » à cette résolution parce qu'elle a été considérée comme n’étant pas équilibrée, car elle se limite aux enquêtes effectuées sur les violations commises par l’Etat israélien.

Notre délégation demande alors formellement à l’UE qu’une investigation soit faite sur toutes les violations commises par toutes les parties qui ont pris part au conflit et nous pensons que cette demande est assez objective et doit être écoutée par les pays européens.

— Mais à mesure que le temps passe, il sera plus difficile de réunir les preuves concrètes nécessaires ...

— Nous ne pouvons pas engager une enquête dès demain. Ce que nous pouvons faire, c’est parler avec les gens qui ont travaillé pour se documenter sur la situation. Nous avons lu leurs rapports et entendu d’autres témoignages et ceux-ci pourront certainement renforcer notre argumentation vis-à-vis des Etats pour qu’une telle mission d’enquête soit établie. Mais en ce qui concerne le facteur temps, nous essayerons de travailler le plus rapidement possible avec les moyens que nous avons comme cela a été fait par les ONG lors de l’invasion de la Cisjordanie en 2002.

— Justement, suite au massacre de Jénine, y a-t-il eu une enquête sur ce qui a eu lieu pour poursuivre en justice les coupables ?

— Non, à ce moment-là, il n’y avait pas eu de soutien massif des Etats pour engager une enquête comme celle que nous demandons aujourd’hui. Il y a eu beaucoup de rapports, nous savons bien ce qui s’est passé, mais il n’y a pas eu de suivi au niveau de la poursuite judiciaire et donc, à ce moment-là, les crimes commis sont restés impunis.

— Quelles sont les cours de justice où les criminels ayant commis des crimes à Gaza pourront être jugés ?

— C'est une question sur laquelle les membres de notre groupe sont plutôt pessimistes, car il sera très difficile de trouver une juridiction où l’on puisse le faire. Quelles seraient les cours où l'on pourrait effectuer cette poursuite ? Nous ne trouverons pas probablement, car Israël n’a pas signé la convention et ne fait pas partie des pays qui ont adhéré à la Cour internationale de justice. On pourrait éventuellement le faire à travers le Conseil de sécurité, mais dans ce cas, la question qui se pose est : les Etats-Unis vont-ils laisser passer une telle résolution ou imposeront-ils encore une fois leur veto ? La troisième possibilité est celle d’effectuer cette poursuite dans des juridictions nationales, celles des pays comme l’Espagne ou le Royaume-Uni. Mais pour que cela puisse être fait, il faut qu’il y ait aussi une volonté politique de leur part.

— Vous représentez un réseau établi depuis que l’UE a mis en place sa coopération avec ses partenaires méditerranéens dans le cadre du Processus de Barcelone en donnant la priorité au respect des principes de droit de l’homme. Cela est stipulé dans le traité d’association signé entre l’Europe et chacun de ces Etats. Comment expliquez-vous le comportement de l’Europe qui intensifie ses rapports avec Israël, alors que cet Etat commet des violations flagrantes en matière de respect des droits de l’homme ? 

— Nous pensons que ce comportement de la part de l’Europe est contradictoire et ne sert pas la cause des droits de l’homme. Nous ne pensons pas que ce soit le moment de donner un statut rehaussé à Israël et que celui-ci doit être intimement lié aux progrès faits par Israël dans le domaine du respect des droits de l’homme et du droit humanitaire international. Et nous n’avons pas du tout constaté ce progrès. Nous notons que la situation, au contraire, va de plus en plus mal et nous ne pensons pas que ce soit le moment d’envoyer ce signal au monde qui montre que l’UE veut faire un cadeau à Israël et le récompenser pour la situation actuelle. Ce que l’UE devrait faire, au contraire, c’est envoyer un message politique à Israël, en interrompant le processus de rapprochement avec cet Etat.

Propos recueillis par Randa Achmawi

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.