Trafic d’Enfants.
Un réseau vers les Etats-Unis a été démantelé cette semaine.
11 personnes impliquées ont été déférées par le Parquet
devant la Cour d’assises.
Un phénomène en expansion
C’est
dans un petit bâtiment de la rue Guisr Al-Suez au Caire
qu’œuvrait peut-être l’un des plus importants réseaux de
trafic d’enfants démantelés au cours de ces dernières années
en Egypte. « Hôpital Al-Andalousse », indique le panneau
accroché à l’entrée de l’établissement. Les portes sont
fermées et visiblement il n’y a personne dans les lieux. «
La police est venue ici il y a deux jours et ils ont tout
fermé », témoigne Am Youssef, qui gère un petit commerce à
quelques pas de là. Personne ne soupçonnait qu’un trafic
d’enfants se déroulait ici. « C’est par les journaux que
nous avons appris les faits », assure Am Youssef. Et les
faits sont troublants. Dans cette maternité, des femmes
donnaient naissance à des enfants de pères inconnus. Ces
enfants étaient ensuite « vendus » à des couples de
l’étranger, notamment des Américains, qui souhaitent adopter
un enfant avec la complicité du personnel de l’hôpital.
L’affaire a été mise au grand jour lorsqu’une citoyenne
américaine s’est présentée à l’ambassade de son pays au
Caire pour demander que le nom de son fils Marco, âgé de
deux mois, soit inscrit sur son passeport, afin qu’il puisse
l’accompagner aux Etats-Unis. Mais les fonctionnaires de
l’ambassade ont commencé à douter d’un problème, lorsqu’ils
ont constaté que cette femme était arrivée en Egypte il y a
quatre mois. Or, les compagnies aériennes ne permettent pas
à des femmes enceintes de plus de sept mois (ce qui a priori
était le cas de cette femme) d’emprunter les airs.
L’ambassade décide de prévenir la police et après de
multiples enquêtes, le femme finit par avouer faire partie
d’un réseau de trafic et que sa mission était d’assurer le
transit des enfants vers les Etats-Unis. L’enquête révélera
également que les infirmières faisaient venir des femmes
enceintes à la maternité moyennant une commission et les
médecins, en coopération avec des courtiers, faisaient le
reste du travail. 11 personnes (dont 4 médecins, 2
infirmières et 3 personnes) ayant la double nationalité
égypto-américaine ont été déférées devant la Cour d’assises
pour trafic d’enfants et falsification de papiers officiels.
Simple fait divers ? Assurément non. Ce n’est pas la
première fois qu’un réseau de trafic d’enfants soit
démantelé. Récemment, la police a arrêté le propriétaire
d’un kiosque qui récupérait les jeunes filles de la rue
tombées enceintes et attendait qu’elles accouchent pour
vendre leurs bébés. Un autre réseau qui a été démantelé au
Fayoum vendait des nouveaux-nés contre la somme de 3 000
L.E. Selon un rapport du Centre National des Recherches
Sociales et Criminelles (CNRSC), le phénomène de
l’exploitation et du trafic d’enfants s’est accru en Egypte
au cours de ces dernières années. « Par le passé, les
enfants étaient trouvés abandonnés près d’une mosquée ou
d’un orphelinat, parce qu’on ne pouvait pas les nourrir.
Mais aujourd’hui, certains parents abandonnent leurs enfants
à cause de la pauvreté tout court », assure la sociologue
Azza Korayem, du CNRSC. Résultat de cette évolution : des
réseaux de trafic se mettent petit à petit en place. «
Aujourd’hui, il y a en Egypte plusieurs milliers d’enfants
de la rue. Et fait nouveau, on voit de plus en plus de
filles parmi eux. Ces enfants sont devenus la proie de ces
réseaux de trafic », ajoute Azza Korayem. Dans certains
villages, on peut constater ce phénomène. De jeunes filles
faisant l’objet de viols et qui donnent naissance à des
enfants illégitimes tombent dans les filets des trafiquants.
« Avec la dégradation des conditions sociales, le phénomène
s’est amplifié », assure Azza Korayem. Selon un récent
rapport de l’Unicef, le commerce des enfants est un problème
qui touche 89 % des pays africains, dont l’Egypte. Le gros
de ce trafic est destiné à l’Europe et à l’Amérique. Si
pendant des années, l’Egypte a été seulement un lieu de
transit entre les pays d’Asie et d’Europe ou l’Amérique,
elle est aujourd’hui touchée par le phénomène. C’est ce
qu’affirme Ahmad Abdel-Alim, directeur exécutif de
l’Association d’aide aux enfants. Il souligne la
responsabilité de l’Etat. « Cette responsabilité se situe
d’abord au niveau social. Aujourd’hui, certaines couches de
la société sont totalement exclues, livrées à la pauvreté et
à l’exclusion », assure Abdel-Alim. Même son de cloche pour
Nadra Zaki, directrice du programme de protection des
enfants de l’Unicef au Caire, qui met l’accent sur
l’importance de la sensibilisation pour faire face à un
phénomène qui menace la société. Elle demande de considérer
ce dernier fait comme une absence d’attention aux familles
pauvres et un manque de protection des enfants dans ces
familles. Bien que la nouvelle loi sur l’enfance ait mis au
point un système pour protéger les enfants du danger, il est
difficile de résister à la grosse somme d’argent.
L’autre responsabilité de l’Etat se situe autour des lois.
Ce n’est que tout récemment qu’un article de loi (126 de
l’année 2008) a été instauré pour faire face à ce genre de
trafic. Cet article stipule une peine de 5 ans de prison
ferme et une amende de 50 000 à 200 000 L.E. pour toute
personne qui s’adonne au trafic des enfants. Une peine que
certains estiment insuffisante. D’après Hani Hilal,
président du Centre des droits de l’enfant, une ONG œuvrant
dans le domaine de l’enfance, l’Etat doit modifier une série
d’autres lois pour lutter contre le commerce des enfants. «
De nombreuses mères abandonnent leurs enfants issus de
mariage orfi (coutumier), car elles sont dans
l’impossibilité de les faire reconnaître par l’Etat civil.
Ce problème existe depuis longtemps. L’Etat civil ne
reconnaît pas les enfants hors mariage. Cela revient à les
abandonner aux réseaux de trafic », assure Hilal. Et
d’ajouter que dans un souci de protéger ces enfants, il faut
leur procurer des certificats de naissance avec le nom de la
mère. Le Conseil national de la maternité et de l’enfance a
déclaré, cette semaine, que des efforts seraient consentis
pour faire face au trafic des enfants, au cours de la
prochaine période.
Ola
Hamdi