Ramadan .
Ce mois de jeûne intervient en pleine crise économique, à
l’orée de l’année scolaire, et suivi du petit Baïram. De
quoi perturber les familles qui ne savent plus où donner de
la tête pour subvenir à leurs besoins.
La facture multipliée par trois
Le
Ramadan est bien un mois d’épreuve ... spirituelle. Le jeûne
avec tout ce que cela implique de bonne volonté. Mais avec
ses aspects spirituels, ses festivités, il y a aussi ses
dépenses. De nature spéciale, ce mois mêle, dans les
traditions des Egyptiens, le profane et le sacré. C’est le
jeûne, le festin, le yamich (les fruits secs), les fawanis
(lanternes) et les desserts. En bref, la consommation
parfois avec démesure. Depuis environ deux semaines, les
familles sont sur le qui-vive et essayent de se préparer à
ce mois, pas comme les autres. Cependant, cette année, les
choses semblent différentes puisque le fardeau est beaucoup
plus lourd. Et l’allégresse coutumière de cette occasion en
a pris un coup.
Le premier ministre, Ahmad Nazif, a décidé de ne pas
retarder la rentrée scolaire et universitaire après le mois
sacré et le petit Baïram, et insiste pour qu’elle ait lieu
le 20 septembre. Un arrêté qui a créé un état de
mobilisation au sein des familles et semble les mettre dans
un grand embarras. Entre les dépenses du mois de Ramadan,
les frais et besoins scolaires et les préparatifs du petit
Baïram qui absorbent une bonne partie du budget, les
Egyptiens ne savent plus où donner de la tête, et ce dans le
cadre d’un marché où la flambée des prix devient un fait
accompli qui pèse sur le quotidien des gens. Ce qui fait que
le Ramadan cette année ne paraît pas comme les autres. Ce
mois sacré n’inspirera pas la joie dans les foyers
égyptiens. Chaque famille est perturbée par ses comptes,
essaye de classer les priorités et de jouer à l’expert
économique pour faire face à ce triple fardeau.
Au quartier de Sayeda Zeinab, l’éclairage et les couleurs
des lanternes accueillent les visiteurs. Ici, l’atmosphère
du mois sacré est omniprésente avec les fawanis qui
s’étalent à perte de vue. Des traditionnels avec différents
calibres, couleurs et dessins qui se vendent de 10 L.E. à 3
000 ou 4 000 L.E. et d’autres made in China en forme de
poupées, de toc-toc, d’animaux qui glorifient l’arrivée du
mois sacré, coûtant entre 10 et 100 L.E. Des dattes, des
raisins secs, des pâtes d’abricots, des pruneaux, des
amandes, des pistaches et des noisettes sont exposés aux
passants, qui les boudent.
Des produits ramadanesques côtoyant des fournitures
scolaires, des chaussures et des uniformes, ainsi que des
robes et des vestes pour enfants avec des annonces de
réduction qui s’élèvent à 50 %. La concurrence est à son
comble pour aguicher un client d’ici ou là. Tous essayent de
commercialiser leurs produits espérant happer une partie du
budget d’un père ou d’une mère frustrés ou angoissés.
Un Ramadan boudé
Cependant,
il semble que le grand souk qui annonçait habituellement le
Ramadan est boudé et l’atmosphère qui y règne est bien
maussade. Les vendeurs de dattes et de yamich semblent
chasser les mouches. Les prémices du mois sacré s’annoncent
mal dans le marché habituellement bondé. Ce marché est
fréquenté d’ordinaire par des visiteurs venant des quatre
coins de la capitale pour se faire le stock du mois, à des
prix abordables. Mais cette année, ils se contentent du
strict nécessaire. Et surtout quand il s’agit des produits
qui ne sont pas essentiels comme le yamich. « Comment
pourrai-je m’offrir ce luxe du yamich alors que j’ai 5
enfants à charge et que je dois couvrir leurs besoins en
nourriture, fournitures scolaires, sans oublier les
chaussures et les cartables dont le prix minimum est de 50
L.E. la pièce », dit Abdel-Moneim, fonctionnaire venu
acheter à Sayeda Zeinab des cartables et des chaussures pour
ses enfants à des prix abordables. Il n’est plus question
pour lui d’acheter du yamich ou même des lanternes même s’il
sait qu’il va étouffer la joie de ses enfants et il n’a pas
le choix. « Les prix des produits de première nécessité ne
cessent de flamber, même ceux des aliments indispensables ».
Et il cite l’exemple des lentilles qui se vendent à 13 L.E.
le kilo, les tomates à 3 L.E. et les pommes de terre qui ont
atteint ce même prix, en plus des fournitures scolaires dont
les prix ont augmenté d’environ 30 % cette année. « Comment
un père d’une famille peut-il résoudre une telle équation
difficile pour couvrir les besoins de ses enfants ? », se
demande le père. Une maman de trois enfants scolarisés, et
dont le mari est portier, ironise sur le yamich. « Qui peut
en rêver ? Autant attendre la mort que d’en avoir ce mois où
je dois répartir mon budget entre le Ramadan, la rentrée
scolaire et la fête. C’est une catastrophe à la puissance
trois ».
Abdel-Aziz, assis devant son étalage de yamich à Sayeda
Zeinab (un des marchés les moins cher), vend des noisettes à
30 L.E., des amandes à 29 et des noix à 28 L.E. Il constate
la crise et explique que les gens, revenus de vacances au
bord de la mer, doivent assumer plusieurs dépenses dont
celle de la rentrée scolaire et du mois de Ramadan et ils ne
pensent alors qu’à acheter l’essentiel. « Ils achètent des
dattes, indispensables pour la pratique de la sunna
(tradition du prophète) et cela peut leur coûter entre 3,5
et 30 L.E. le kilo suivant la qualité », explique Abdel-Aziz
en ajoutant que ses ventes ont diminué de plus de 50 % cette
année. Une stagnation qui lui inspire de changer
d’activités.
Juste à côté de son étalage, Samah vend des cartables de
différentes dimensions, à des prix qui varient entre 28 et
90 L.E. Et bien que les prix de Samah soient abordables, les
clients n’arrêtent pas de marchander avec elle. « Débattre
les prix est courant ces jours-ci puisque les gens ont trop
de dépenses », dit Samah qui confie que sa saison des ventes
a commencé tôt cette année à cause du mois de Ramadan. « Les
gens ont peur de trop dépenser pour le mois de jeûne et de
se trouver dans l’embarras pour couvrir les besoins de leurs
enfants en fournitures scolaires », explique-t-elle. Avis
partagé par Hag Wahid, dont la pension ne dépasse pas les
500 L.E. Ayant trois enfants dans différents cycles
scolaires et universitaires, il s’indigne de la décision
prise par le gouvernement à ne pas retarder la rentrée
scolaire. « Pourquoi accabler les gens avec autant de
dépenses en un seul mois ? Pour moi, la priorité va à
l’enseignement, les ventres peuvent toujours résister ».
Acheter les fournitures scolaires, couvrir les besoins en
nourriture de ses enfants ou leur faire sentir la joie du
Ramadan et du Aïd : l’équation est loin d’être résolue. Dans
les rues, les gens regardent les produits, demandent parfois
les prix, les discutent avec les vendeurs et quittent sans
rien acheter. La décision n’est plus facile, il faut penser
mille et une fois pour trouver le meilleur prix avant de
sortir le sou. Le citoyen semble vivre un dilemme quotidien
malgré les tentatives du gouvernement d’alléger son fardeau.
Une décision a été prise de verser plus tôt les salaires du
mois de septembre, c’est-à-dire le 18 au lieu du 26. Une
solution qui ne semble pas arranger les choses comme
l’explique Nora, professeure, et qui a quatre filles dans
différents cycles scolaires. « J’ai déjà emprunté beaucoup
plus que mon salaire et de cette manière, nous allons
dépenser davantage, alors que le nombre de jours du mois
reste le même et pareil pour le salaire. Comment allons-nous
tenir jusqu’au mois prochain », s’interroge Nora qui essaye
de faire l’impossible pour couvrir les besoins de ses
enfants. Des gamëyate (un système de coopérative), une
réduction de la consommation mais aussi des emprunts.
Cependant, elle ne tient pas à priver ses petits de fanous.
« Il faut beaucoup fouiller pour chercher les moins cher.
Mes filles sont attirées par les fawanis chinois qui font de
la musique », dit la mère, accablée de dettes. Elle ajoute
qu’elle n’arrive pas à trouver un ensemble pour sa fille qui
va rentrer cette année à l’université. « Tout coûte très
cher. Mais j’essaye de faire la combinaison entre les
vêtements de l’université et l’Aïd. Quant aux plus jeunes,
les chaussures pour la rentrée serviront pour l’Aïd. On n’a
pas de choix ».
Et bien que beaucoup de magasins de vêtements affichent des
soldes intéressants, ils sont pour la plupart boudés sauf
ceux qui vendent des uniformes scolaires. Hassan, un
étudiant à la faculté de droit et originaire de Béni-Souef,
travaille comme saisonnier au Caire pour couvrir les
dépenses de ses études. Il dit gagner 20 L.E. par jour et en
dépenser 10, alors qu’il a besoin d’acheter 16 livres pour
ses études à raison de 25 L.E. le bouquin. « Des vêtements
neufs, pas question ni même de yamich ou de festins pour le
Ramadan. Je compte sur Dieu pour tenir le coup jusqu’à la
fin », dit Walid, ainsi que Wezza, vendeuse de fanous qui
confie ne pas avoir les moyens d’acheter les besoins de
Ramadan à ses enfants, mais que Dieu ne l’oubliera pas. « Il
y a toujours des gens qui font de l’aumône durant ce mois
sacré ». Un système de solidarité sociale qui contribue à
alléger le lourd fardeau des gens. C’est ce que les
Egyptiens appellent la baraka et le satr de Dieu. Certains
pensent à vivre au jour le jour et laissent le lendemain aux
mains de Dieu. D’autres se soucient de ce lendemain et
s’interrogent : Et après ?
Les conseils des experts économiques de réduire sa propre
consommation et de planifier sa vie et les promesses du
gouvernement de fournir le nécessaire pour le Ramadan à des
prix abordables et de distribuer 1,7 million de sacs
d’approvisionnements aux pauvres ne sont que des palliatifs
à une crise qui ne cesse de s’amplifier. « Des prix qui ne
cessent de grimper contre des revenus qui ne montent qu’à
pas de tortue. Des solutions radicales sont indispensables
», dit Hassan, avocat qui ajoute qu’il n’y a pas d’autre
choix pour faire face à toutes ces responsabilités que de
cambrioler une banque. « Le problème est que rien ne me
garantit que je ne sois pas pris et arrêté », dit le père de
famille.
Cependant, le souk des fawanis et du yamich garde toujours
ses portes ouvertes, espérant accueillir certains clients
qui, malgré tout, veulent ressentir la joie de Ramadan. Une
joie qui semble ternie, car les familles accablées par les
dépenses voient les jours de festivités se transformer en un
véritable traquenard.
Doaa
Khalifa