Youssef Boutros-Ghali.
L’actuel ministre égyptien des Finances a posé sa
candidature à la présidence de l’une des trois plus hautes
instances du FMI. Au cours de sa longue carrière, il a
accumulé les atouts pour décrocher ce poste.
L’appel de Washington
En
1986, Youssef Boutros-Ghali décidait de quitter son poste de
chef économiste au Fonds Monétaire International (FMI) pour
aller « corriger la trajectoire » de son pays.
Récession, dettes extérieures énormes, déficit budgétaire à
deux chiffres et volonté de passer à une économie du
marché : telle était à l’époque la situation économique en
Egypte. Rien de mieux pour attirer Ghali. Après avoir été
exposé aux multiples expériences des pays en développement —
Soudan, Côte-d’Ivoire, Philippines, Chine, Brésil et Mexique
—, il se savait en mesure de laisser son emprunte sur
l’économie égyptienne. C’est ainsi qu’il a rejoint, à l’âge
de 34 ans, la sphère des décideurs égyptiens.
Une vingtaine d’années plus tard, le voilà qui prépare ses
bagages pour le FMI. Début septembre, Ghali a en effet
déposé sa candidature à la présidence du Comité Monétaire et
Financier International (CMFI), pour peut-être devenir le
premier des ministres du Sud à occuper ce poste. « Les 24
membres du comité sont aussi en train d’examiner d’autres
candidats avant de faire leur choix sur le président »,
comme le dévoile Dominique Strauss-Khan, le directeur
exécutif du FMI, en visite au Caire le 15 septembre. Les
deux autres candidats sont de nationalités canadienne et
indienne. Un autre concurrent, donc, provient également d’un
pays du Sud.
En récente visite à Washington, il n’a pas hésité à formuler
des critiques sur le FMI, avec des interviews à Reuters et
CNN, soulignant que cette institution n’avait pas réussi à
prédire la crise des subprimes qui s’est répercutée dans le
monde entier. De quoi toucher le cœur du CMFI. Ce dernier,
contrairement au Conseil des gouverneurs — la vraie cuisine
du FMI — a un rôle consultatif. Il est chargé de fournir des
avis et les rapporter au Conseil des gouverneurs, sur
l’évolution du système monétaire et financier international
(SMI), notamment la situation des liquidités et les besoins
de ressources des pays en développement. Ou encore les
remèdes possibles aux perturbations soudaines de nature à
mettre en péril le SMI. Bien qu’il n’ait juridiquement aucun
pouvoir de décision, le CMFI constitue le forum où sont
élaborées la plupart des grandes décisions du FMI.
Pour Mahmoud Abdel-Fadil, professeur d’économie à
l’Université du Caire, il est encore trop tôt de prédire
s’il sera nommé ou pas. En fait, il y a peu de chances car
le président de ce comité a toujours été choisi parmi les
responsables des pays avancés, en contraste avec le Comité
du développement où la présidence revient aux pays en
développement. Cependant, le fait que le monde passe
actuellement par une crise où le remède est en grande partie
dans les mains des pays émergents, il conviendrait de
choisir quelqu’un qui en est issu pour faciliter l’échange
des opinions. Mais Ahmad Galal, directeur du Economic
Research Forum et lui-même ancien économiste à la Banque
mondiale, conteste que le président du CMFI puisse changer
les règles du jeu de l’institution monétaire en faveur des
pays en développement qu’il devra représenter : « Le FMI est
une institution très rigide, beaucoup plus que la Banque
mondiale », dit-il. Opinion partagée par Mahmoud Abdel-Fadil,
qui ajoute de plus que Ghali a toujours été fidèle au
capitalisme le plus occidental et donc qu’il ne voudra pas
changer les règles du jeu.
Rôle pivot
En Egypte, pendant une vingtaine d’années, Youssef
Boutros-Ghali a joué un rôle pivot dans le long processus de
transformation de l’économie pour rejoindre le camp du
capitalisme. Ce titulaire d’un doctorat du prestigieux MIT (Massachussets
Institute of Technology, Etats-Unis) a travaillé en tant que
conseiller du premier ministre et du gouverneur de la Banque
Centrale égyptienne. Il a aussi participé aux négociations
des accords de réforme avec le FMI en 1987 et 1991 puis au
rééchelonnement de la dette avec le Club de Paris (1990-91).
Le succès de l’application de l’accord de stabilisation a
suscité les applaudissements de ses anciens collègues du
FMI. Surtout que l’Egypte s’était retirée trois fois,
pendant les années 1970 et 80, de tels engagements. Car
d’habitude les pays en développement abandonnent le cours de
chemin en raison du prix social élevé que doit payer la
population. Mais Ghali a su accommoder les responsables les
plus au moins réticents et les experts des institutions
financières internationales. Il décrivait lui-même que ce
programme de stabilisation était la première vraie rencontre
de l’Egypte avec la mondialisation dans son sens moderne.
Les échos de ses succès l’ont ensuite mené, depuis 1993, à
occuper plusieurs postes ministériels, dont celui du
ministre de l’Economie et du Commerce extérieur.
Aujourd’hui, il joue deux rôles parallèles : président du
groupe ministériel économique et ministre de Finances.
Ainsi, il a mené la plus grande réforme fiscale, réduisant
de moitié les impôts sur les entreprises mais augmentant,
par un détour, ceux sur les revenus. Cela avant de se
féliciter d’un succès écrasant : doubler les recettes
fiscales des entreprises, grâce à la confiance retrouvée
avec le gouvernement. Cependant, Samer Soliman, professeur
d’économie politique à l’Université américaine du Caire,
explique que le succès de la nouvelle loi sur les impôts
n’est qu’illusoire. Car les détails révèlent que cette
hausse est notamment due aux impôts de l’Organisme public du
pétrole et l’Organisme du Canal de Suez, alors que les
recettes fiscales provenant des sociétés ont baissé lors de
la première année d’application de la loi, pour se
stabiliser à leur niveau d’avant la nouvelle loi, soit 1,7 %
seulement du PIB.
Boutros-Ghali excelle en fait dans les jeux de mots. C’est
ainsi que lors de la réunion ministérielle de l’OMC à Doha
en 2001, il a pu convaincre, quand il était ministre du
Commerce extérieur, les pays en développement d’approuver
davantage de concessions en faveur des pays développés, en
contrepartie d’une petite modification de l’accord sur la
propriété intellectuelle qui empêche les pays fortement
touchés par des maladies comme le sida de fournir à leurs
citoyens les médicaments à prix abordables. C’est surtout ce
don de convaincre différentes parties, à un niveau mondial,
qui lui permettra de poursuivre une carrière internationale.
« C’était en fait le destin de tous les responsables des
pays en développement. C’est la récompense ultime des
grandes instances internationales », conclut Mahmoud Abdel-Fadil.
Si ce n’est pas la présidence du CMFI, pourquoi pas plus
tard celle de l’OMC ?
Salma
Hussein