Carnet d’Artiste.
Celui de Fathi Afifi s’inspire aujourd’hui de la gent ailée
qui niche sur nos toits. Il s’agit d’illustrer les fables
ironiques d’un nouveau poète, Mohamad Gad.
Caqueter beaucoup et picorer un peu
La
basse-cour, ses pigeons, ses poules et son coq orgueilleux
et triomphant, des personnages consacrés de fables. Ils
refont surface avec une nouvelle série de poèmes en arabe
dialectal illustrés par le peintre Fathi Afifi connu pour sa
verve populaire et son approche faite d’un mélange de
réalisme et de fantaisie. Le tout va bien avec ces vers
faits d’ironie, d’aucuns diraient de projection, sur notre
vie politique et sociale actuelle dominée par des tensions,
des va-et-vient et surtout par une certaine prédomination de
l’absurde auquel on riposte par l’humour. Pour Afifi, c’est
une nouvelle expérience de traduire la poésie en tableaux. «
La première lecture peut donner l’impression qu’il s’agit de
pièces pour enfants. Mais en fait, ça va plus loin ».
L’univers des fables a toujours pratiqué cette dualité où
sous les abords simples, on retrouve beaucoup de profondeur.
En fait, lire, c’est pour tout le monde, et Mohamad Gad a
donné un titre ambitieux à cette série de poèmes, c’est
Kalila et Dimna à présent, à l’exemple de ces célèbres
fables animalières, d’origine sanscrite, adaptées au persan,
et de cette langue vers l’arabe par Ibn Al-Moqaffaa vers
750. Ce dernier est un grand prosateur et haut dignitaire de
l’administration à l’époque. Il est connu qu’il donne à son
œuvre un sens politique et éthique. Ses deux héros, des
chacals nommés Kalila et Dimna, rapportent au long de
dix-huit chapitres des anecdotes (une histoire par
chapitre), relatent des intrigues de cour, donnent des
conseils et édictent des règles de conduite.
Chez Gad, ce n’est guère royal, on dirait une présentation
de ce peuple actuel comme dans ce poème Ya saadena (quel
bonheur) :
« Il y a un mois ou un an, avec
un couple de pigeons mariés sur notre toit,
se trouvait un coq unique avec deux poules
Ils ont tenu une réunion pour choisir le commandant du toit
Le pigeon mâle a dit : c’est moi
les deux poules ont dit notre coq est plus digne que vous et
nous
Le coq s’est emporté : les pigeons peuvent-ils nous éviter
le moindre mal ?
Ce que tous décideront sera notre loi
le pigeon mâle n’a pas apprécié ces propos
Il a volé et tourné autour des poules
agaçant notre coq qui s’est mis à lui crier
Quant à la pigeonne, elle dit au coq,
nous sommes les pigeons et les poules
ne sont pas à notre hauteur
et la poule : nous sommes les poules ô pigeons, qui peut se
comparer à nous ».
La scène burlesque est bien captée par Afifi qui a choisi
l’encre de chine pour la représenter. Le noir et blanc lui
donne cette caractéristique d’humour. En plus, c’est la vie
qui se dégage plus de cette manière. Afifi affirme que le
poète est satisfait : « vous avez traduit mes poèmes d’une
manière que je n’aurais jamais imaginée », lui a-t-il dit.
De toute façon, ce fut une œuvre de compagnonnage, celle de
deux membres de la bohème cairote qui se sont retrouvés à
atomes crochus à travers cette ironie et ces représentations
des toits cairotes où ça caquette toujours et picore,
parfois.
Mohamad Gad est le fils de Mahmoud Ismaïl Gad, auteur
célèbre des années 1960 et notamment d’Adham Al-Charqawi,
écrivain et musicien épique. Avec une allure un peu B. C. B.
G., disons très élégante, on ressent ce contraste. Les
grands poètes du genre populaire, dont Ahmad Fouad Negm, qui
a écrit la préface de son premier recueil Min qalbi (du fond
de mon cœur) publié par Merit, lui trouvent beaucoup de
talent. Kalila et Dimna constituera son prochain recueil
illustré des dessins de Afifi.
Mais comment s’est terminée l’histoire ? Victoire du coq
bien sûr et tout se passe bien grâce à sa sagesse.
« Un coq clément, un coq généreux
quel bonheur pour eux
quel bonheur pour nous
notre coq est devenu tonton,
notre coq est devenu tonton ».
Ahmed
Loutfi