Al-Ahram Hebdo, Enquête | L’arme de l’environnement
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Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 23 au 29 avril 2008, numéro 711

 

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Enquête

Industrie . L’installation d’une usine pétrochimique dépendant du groupe égypto-canadien EAgrium sur l’île de Ras Al-Bar, à Damiette, alimente la polémique et déclenche une bataille à couteaux tirés entre partisans et opposants. 

L’arme de l’environnement 

Dimanche dernier, 20 avril, tout était calme dans la ville de Damiette, à quelque 300 km au nord-est du Caire. Comme le calme avant une tempête ... Avant que les habitants de la ville ne décident de lutter contre l’installation d’une société qui a investi 1,2 milliard de dollars en Egypte pour implanter un site de production d’ammoniaque d’une capacité annuelle de production de 1,3 million de tonnes. Le contrat porte sur la construction de deux usines d’ammoniaque d’une capacité de 1 200 tonnes par jour, et de deux autres pouvant produire chacune 1 925 tonnes d’urées par jour. « Non à l’industrie meurtrière », « Non à l’industrie des cancers » sont les slogans que les habitants de Damiette ont accrochés sur les immeubles tout au long de la corniche du Nil de la ville.

Dans les rues de la ville, les citoyens sont tous contre l’installation de cette usine pétrochimique. « Nous ne voulons pas de cette usine chez nous, elle polluera l’environnement et menacera la santé et même la vie de nos enfants », se plaint Réda, travaillant dans un restaurant. « Nous n’avons pas besoin de ce genre d’investissement à Damiette, qu’ils se trouvent un autre site loin de chez nous », proteste Saïd Al-Messawi, vendeur de sucreries. En réalité, nous n’avons croisé que très peu de gens en faveur de l’installation de cette usine. « Cette histoire me laisse indifférent, qui sait, peut-être cela rapportera-t-il des profits au gouvernorat, vraiment je ne sais pas », indique Mahdi, 17 ans.

Dans les locaux du gouvernorat de Damiette, les responsables refusent de parler à la presse. Pourtant, au siège du gouvernorat, nous avons rencontré les différents représentants de la société civile. « Nous avons organisé une campagne contre EAgrium, tout en identifiant le problème, les parties prenantes et comment l’affronter », explique Gamal Maria, président de l’Association pour la défense des consommateurs. Leur arme essentielle dans cette bataille est la connaissance et la sensibilisation.

« Tout est très clair sur Internet, le danger des industries de production d’engrais, même sur le site du ministère égyptien de l’Environnement. Nos enfants qui sont aujourd’hui capables de naviguer sur la toile, vivent un cauchemar, ils n’arrivent pas à croire qu’ils peuvent vivre sainement avec une telle industrie tout près de leurs logements », continue Maria. Nasser Al-Emari, avocat et responsable du comité populaire pour la lutte contre la pollution à Damiette, créé pour l’occasion, est aussi passé au siège du gouvernorat, invitant à une conférence populaire le lendemain à Ras Al-Bar devant le Syndicat des avocats. Ce même comité planifie également un sit-in devant l’ambassade du Canada au Caire, prévu pour le 2 mai prochain. Toujours au siège du gouvernorat, l’on a pu croiser le père Hicham Bochra Bandali du patriarcat d’Alexandrie pour les Grecs orthodoxes, qui vit à Damiette, et qui, après la prière à l’église, reçoit les doléances des habitants inquiets, selon lui, de l’installation de cette usine. « Beaucoup de gens ont pris la décision de vendre tous leurs biens et de partir de Damiette si l’usine de EAgrium reste. Cela mènera à une catastrophe pour la ville et les habitants, car Damiette est un gouvernorat productif où l’on trouve l’industrie mobilière, l’agriculture et la pêche. A mon avis, EAgrium doit partir, au moins de Damiette », conclut le père Bandali.

Non loin du siège du gouvernorat, à peu près à 10 km se situe le chantier du projet gigantesque qui s’étale sur 600 000 m2. Des dizaines d’ouvriers et d’équipements travaillent d’arrache-pied. Dans les bureaux du chantier, le directeur du projet, le Dr Khaled Salaheddine Salama, nous accueille. « Les habitants de Damiette ont été dupés. Des gens qui ont des intérêts personnels les manipulent et les habitants, qui ne sont pas assez sensibilisés, croient tout ce qu’on leur dit », commence le Dr Khaled Salama.

Et de continuer qu’il y a actuellement une polémique sur l’utilisation du terrain sur lequel l’usine s’est installée, doit-il être utilisé pour le développement industriel, touristique ou bien comme réserve naturelle ? « Les rumeurs circulent. Certains habitants de Damiette ont versé des sommes énormes pour acheter des terrains destinés à l’investissement touristique, ces personnes-là ne voient pas d’un bon œil qu’une industrie pareille s’installe dans la région, cela aboutirait à une perte des fonds qu’ils ont versés pour acheter les terrains, c’est pourquoi ils ont alimenté cette polémique contre EAgrium ». « Nous disposons de toutes les signatures et approbations nécessaires et nous demeurerons à Damiette », a fermement déclaré le Dr Khaled. « Nous avons déjà dépensé un demi-milliard de dollars et nous ne sommes pas prêts de déménager ou d’être transférés vers un autre site. Si l’on part, ça ne sera pas de Damiette, mais d’Egypte. Mais qui va nous rembourser l’argent que nous avons déjà dépensé ? ». Il s’attaque également aux médias qui avancent, selon lui, des chiffres erronés dans leurs enquêtes sur le projet. « J’ai lu dans les journaux que les emplois offerts par le projet sont au nombre de 250, dont 25 % de main-d’œuvre étrangère, ce qui n’est pas du tout vrai », indique le directeur. Selon lui, le projet nécessiterait 430 ouvriers pour faire fonctionner l’usine, un seul représentant de la compagnie étrangère, outre 15 000 emplois indirects. « Durant la maintenance périodique, on ferme l’usine, nous utilisons quelque 3 000 techniciens » affirme le Dr Khaled.

 

Le risque pour l’environnement ?

L’opposition au projet de cette société est une preuve, s’il en faut, d’un relatif éveil de la conscience environnementale des Egyptiens. Alors, y a-t-il un risque pour l’environnement ? L’ambassadeur Abdel-Raouf Al-Ridi, président du Conseil égyptien des Affaires étrangères, originaire de Damiette, a déclaré à l’Hebdo : « Si EAgrium dit que l’étude sur l’impact environnemental du projet assure que ce dernier ne nuira pas à l’environnement, nous sommes d’accord, mais l’affaire ne s’arrête pas là. La question est : Est-ce que les gens sont d’accord ? Est-ce que la région peut supporter une industrie en plus ? », se demande Al-Ridi.

Selon la loi sur l’environnement numéro 4 de l’année 1994, chaque projet doit présenter une étude sur son impact environnemental auprès du ministère de l’Environnement, ce dernier à son tour envoie cette étude à un service neutre pour la réviser et s’assurer de ses résultats. Dans le cas d’EAgrium, c’est le Centre des études et des recherches environnementales à l’Université du Caire, qui a révisé l’étude de l’impact environnemental de la société. « L’étude présentée par EAgrium est excellente. Cette industrie est basée sur un processus total de recyclage, qui tire le meilleur profit de chaque étape de l’industrie, elle profite de la chaleur et de l’eau. Il n’y a pas un seul risque de pollution. Vraiment, je m’étonne de tout ce qui se passe. Les gens disent n’importe quoi. J’ai entendu dire qu’à cause de cette usine les gens auront de l’urée dans le sang, c’est ridicule ! ! », indique le Dr Chakinaz Al-Cheltawi, directrice du Centre des études et des recherches environnementales, à l’Université du Caire. Elle continue : « Nous avons refusé une étude qui nous a été présentée par la compagnie indienne Indorama Group, qui voulait construire une industrie pareille dans la même région il y a quelques années. A l’époque, nous avions refusé le projet parce que les équipements de la compagnie indienne étaient utilisés dans une usine américaine des années 1960. Donc c’était une technologie très ancienne et les risques de pollution étaient élevés, ce qui n’est pas le cas avec EAgrium ». Selon le Dr Mohamad Al-Zarqa, expert en déchets nocifs, « il y a risque de pollution si l’ammonium se dégage et s’il y a des résidus de phosphate dans l’eau du drainage industriel, mais ils peuvent éviter ce genre de problème en faisant attention durant le processus de fonctionnement, donc rien n’est nocif pour l’environnement à condition que le poids des polluants soit respecté dans la région ». En revanche, selon Gamal Maria : « EAgium va abuser de l’eau du Nil en utilisant 1 200 m3 par heure, donc 10 millions de m3 par mois pour le processus de refroidissement, l’eau qui en ressortira aura une température de 6 degrés plus élevée que la température naturelle et se dirigera vers la mer, menaçant l’écosystème marin », indique-t-il. A ces craintes, le Dr Khaled Salam répond : « On utilisera de l’eau qui se trouve à 200 mètres avant le barrage de Faraskour, donc de l’eau qui se jette dans la mer. D’autre part, en ce qui concerne l’eau de refroidissement dont la température est plus élevée de 6 degrés, elle se dirigera vers deux grands lacs artificiels et y restera pendant 8 heures tout en passant par 4 étapes de traitement biologique qui la débarrasseront des particules nocives avant de se diriger vers la mer ». Il se dit prêt à financer avec les autres industries de la région l’installation d’une station de monitorage environnemental.

En effet, les experts et les études affirment que EAgrium n’exercera pas une menace pour l’environnement mais malgré tout, les habitants de Damiette refusent le projet. Maintenant, c’est le gouvernement qui devra dire son dernier mot, et décider de permettre la continuation du projet ou l’arrêter.

« Avant de décider de n’importe quel projet, même avant d’élaborer l’étude sur l’impact environnemental, il fallait élaborer une étude sociale, parler avec les gens, connaître leurs besoins et les sensibiliser et ensuite décider d’approuver ou de refuser le projet », conclut Chakinaz Al-Cheltawi.

Dalia Abdel-Salam

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