Santé. Assouan a
été sélectionnée pour expérimenter un nouveau système de décentralisation des
soins médicaux. Une expérience devant être généralisée au profit des patients,
notamment pauvres, atteints de maladies graves.
Initiative à travers le WEB
Victime
d’un accident de la circulation, Naguiya Saadeddine, native d’Assouan, a été
transférée à l’hôpital universitaire de la ville. Ses nombreuses fractures
nécessitaient le placement d’une attelle et de clous, d’où une intervention
pour remettre ses os en place. Femme d’un ouvrier aux revenus bien modestes,
Naguiya se fait du souci, rien qu’à penser à ce qui l’attend pour obtenir une
prise en charge car elle n’a pas les moyens de payer 6 000 L.E., les frais de
son hospitalisation. Elle se souvient de sa voisine qui avait un problème au
cœur et dont les enfants n’ont reçu sa prise en charge qu’un an après sa mort. Et
son frère, atteint d’une cirrhose du foie et qui a attendu 6 mois pour l’avoir.
Une période pendant laquelle il devait se présenter aux conseils médicaux
spécialisés, situés au Caire, dans l’espoir d’activer la procédure car sa vie
était réellement en danger. Ces faits réels rendent anxieuse Naguiya, car elle
sait que le parcours va être semé d’embûches. « Nous sommes des gens modestes,
on nous traite en paria. Nous n’avons droit ni aux soins gratuits ni aux soins
de qualité », pense-t-elle, allongée sur une civière. Mais à sa grande
surprise, le chirurgien n’attendra pas l’acceptation de la prise en charge et
l’évacue rapidement au bloc opératoire. Ce n’est que quelques jours plus tard
que l’hôpital réceptionnera le papier qui va couvrir les frais de son
hospitalisation. Naguiya n’a pas été pistonnée. Elle n’est ni une personnalité
importante ni une star pour bénéficier d’un tel avantage, mais c’est suite à
l’initiative du ministre de la Santé qui a instauré le système de
décentralisation pour alléger les souffrances des patients qui résident dans
des gouvernorats éloignés. Ces derniers étaient obligés de faire le trajet
jusqu’au Caire pour adresser leur demande de prise en charge aux conseils
médicaux spécialisés. Avec l’expérience menée dans cette ville de l’extrême sud
de l’Egypte, l’acceptation de soins gratuits pourra se faire via Internet et
les malades n’auront plus à faire ce déplacement, ni à endurer les souffrances
et la longue attente. Une initiative en guise d’expérience et mise en pratique
à Assouan pour être généralisée par la suite sur un ensemble de gouvernorats.
Le pourquoi d’un choix
« Le
choix de cette ville ne s’est pas fait au hasard. On a tenu compte de la longue
distance qui sépare Assouan de la capitale. Un trajet épuisant pour les
malades. De plus, notre gouvernorat compte seulement un million et demi
d’habitants, et donc il est possible de contrôler les abus de ceux qui veulent
outrepasser le règlement officiel, car les fonctionnaires travaillant dans le
domaine médical connaissent quasiment tous les malades. De plus, il existe à
Assouan un centre bien équipé pour le traitement des tumeurs avec tout le
matériel nécessaire à cet effet », explique le Dr Barakat Al-Chazli,
responsable au ministère de la Santé, opérant à Assouan. La mesure a pris effet
en août dernier. Et pour éviter toute injustice ou négligence en matière de
santé, un comité, formé de deux médecins et du directeur de l’hôpital où est
soigné le malade, doit donner son accord. Autrement dit, il suffit d’un rapport
médical signé par ce comité et adressé aux conseils médicaux spécialisés pour
obtenir en 48 heures la prise en charge d’un malade. « Chaque hôpital rassemble
ses rapports médicaux et en fin de journée, un groupe de quatre fonctionnaires
travaillant au centre de traitement des tumeurs se charge de les expédier via
Internet aux conseils médicaux lesquels statuent sur chaque cas et donnent leur
aval », souligne Arafa Mohassab, chargé des envois de demandes de prise en
charge. Une initiative qui sert non seulement à pallier les nombreuses
irrégularités et tergiversations, mais aussi à épargner les rudes épreuves aux
malades.
Les maladies graves abondent
En
fait, il existe deux types de soins gratuits offerts par l’Etat. Le premier est
le traitement à titre gracieux accordé dans tous les hôpitaux publics dépendant
du ministère de la Santé. L’autre concerne les cas graves qui nécessitent des
soins spécialisés, donc dispendieux. Selon une étude effectuée par le Centre
national des recherches sociales, 75 % des Egyptiens atteints de maladies
chroniques ou graves (cancer, insuffisance rénale, problèmes cardiaques,
hépatiques ou pulmonaires) n’arrivent pas à se soigner faute de moyens. Nombreux
sont ceux qui entament une thérapie et l’arrêtent en cours de route, soit par
manque d’argent ou par la complexité du processus. Un processus qui oblige le
malade à passer par un « conseil médical spécialisé » dépendant du ministère de
la Santé, à présenter un rapport médical rédigé par son médecin ou par
l’hôpital où il est soigné, pour se rendre ensuite au ministère des Affaires
sociales lequel doit mener une enquête sur sa situation financière. Et à la
fin, c’est au comité ministériel de donner son approbation pour la prise en
charge. « Des procédures qui peuvent prendre entre trois et huit mois et qui ne
concernent malheureusement que les malades de couches défavorisées. Quant aux
grandes célébrités, elles en sont dispensées ! Alors qu’un simple citoyen doit
obtenir une approbation pour bénéficier de soins gratuits ne dépassant pas les
100 L.E., un autre de haut rang peut avoir plusieurs prises en charge en un
mois et simplement en donnant un coup de fil », s’indigne un responsable au
ministère de la Santé qui a requis l’anonymat. Pourtant, l’Etat ne cesse
d’assurer que la gratuité des soins est un droit pour les gens modestes et
qu’il consacre actuellement 1,8 milliard de L.E. par an à cet effet.
Une gratuité chimérique
Mais entre
le discours et la réalité, le fossé est grand. Selon ces propos, la gratuité
des soins n’étant souvent que pure chimère, les modestes citoyens sont obligés
d’aller frapper aux portes des responsables pour être soignés aux frais de
l’Etat, avoir recours aux médias, ou attendre qu’une main qui leur soit tendue
ou le piston des députés au Parlement pour obtenir ce privilège de la prise en
charge pour le traitement du cancer, une intervention à cœur ouvert ou des
séances de dialyse dans un hôpital public, dans un hôpital affilié à
l’assurance médicale, ou dans un institut spécialisé. Et pour obtenir ce cher
papier, le malade doit faire la queue pour obtenir l’aval des conseils médicaux
spécialisés sis au ministère de la Santé au Caire, porter son nom sur une
longue liste et attendre l’acceptation d’une prise en charge qui peut le plus
souvent ne pas lui être accordée. Un problème qui a attiré l’attention des
responsables au ministère de la Santé pour revoir les modalités des soins aux
frais de l’Etat afin que le plus grand nombre de malades qui n’ont pas les
moyens puissent bénéficier de la gratuité des soins.
Chiha
Abdel-Ati, natif du village Al-Kelh, près d’Edfou, souffre de douleurs atroces
aux os. S’appuyant sur sa canne, et ayant du mal à marcher, il se dirige vers
l’hôpital public d’Edfou pour une consultation. Le seuil franchi, on découvre
des visages souriants et un personnel qui travaille d’arrache-pied. En fait,
cet hôpital éblouit le visiteur non pas par sa façade, mais par sa nouvelle
technologie. Et pourquoi pas, puisqu’Edfou est le seul hôpital en Haute-Egypte,
mais aussi au niveau de la République à profiter pleinement de cette nouvelle
technologie, surtout en ce qui concerne le traitement des malades à distance. Dans
ce grand édifice, des malades, des femmes et des hommes habillés en djellaba et
dossier ou sac en plastique en mains, bourrés d’analyses et d’ordonnances, sont
dans la salle d’attente. Le médecin consulte Chiha et lui fait passer un examen
médical pointilleux et une radio à travers une vidéo-conférence. Autrement dit,
une consultation diffusée en direct sur Internet permettant aux médecins des
conseils médicaux spécialisés de pouvoir statuer sur l’état de Chiha, grâce à
l’utilisation de caméras et d’écrans installés pour la transmission d’images. Cette
diffusion en direct déclenche aussi un débat entre les médecins spécialistes,
ils ont diagnostiqué un cancer des os. Chiha doit donc faire une
chimiothérapie, sachant que le prix de la séance est de 1 300 L.E. Somme qu’il
ne détient pas et que personne ne peut lui prêter. Il est désemparé, pris entre
le marteau et l’enclume : renoncer au traitement ou suivre le parcours du
combattant. « Pas de chimiothérapie. Je vais m’en remettre à Dieu », se dit-il,
résigné. Mais le médecin le met à l’aise. « Vous avez droit à un traitement aux
frais de l’Etat. Ne vous tracassez pas, je m’en charge », lui lance le Dr Arabi
Abdel-Aal, directeur de l’hôpital. Ce dernier a installé partout des caméras
pour contrôler les fonctionnaires à partir de son bureau et intervenir en cas
de problèmes. Le Dr Arabi révise lui-même les décisions de la prise en charge
afin d’éviter toutes sortes d’injustice, de piston ou de recommandations. Et
d’ajouter : « Chaque malade a un numéro, lequel est enregistré sur un
ordinateur avec un rapport médical détaillé. Ainsi est-il facile de savoir si
le patient est assuré ou pas ou s’il a déjà bénéficié d’une prise en charge ». Et
pour plus de sécurité, il a réservé une partie de son bureau et libéré sa
secrétaire Asmaa Mohamad pour se consacrer à l’envoi des rapports médicaux via
Internet aux conseils médicaux spécialisés au Caire. Si les différents hôpitaux
d’Assouan expédient régulièrement les rapports des malades vers le centre de
traitement des tumeurs, l’hôpital d’Edfou ne peut le faire que tous les deux
jours, vu le trajet qui sépare les deux points (à savoir 100 km). Une distance
qui a poussé l’hôpital à être directement lié par Internet aux conseils
médicaux spécialises au lieu de passer par le centre de traitement des tumeurs.
Ce qui facilite les procédures et fait gagner du temps aux malades. « Chaque
jour, nous recevons un minimum de 40 rapports et cela peut aller jusqu’à 900
par mois », assure-t-elle. Et d’ajouter : « La rupture d’un câble sous-marin en
Méditerranée a privé l’hôpital de connexion et nous avons été obligés de faire
le trajet jusqu’au Caire pour obtenir l’accord des conseils médicaux
spécialisés ». Cette décentralisation a prouvé sa réussite à Assouan et a
permis de remédier aux défaillances alourdissant le système du traitement
gratuit de ce gouvernorat. Quelle sera la situation si ce système est appliqué
au Caire ?
Chahinaz Gheith