Palestine.
L’indépendance autoproclamée du Kosovo a soulevé la question
de savoir pourquoi les Palestiniens ne feraient pas de même
face à l’arbitraire israélien. Enquête.
L'exemple kosovar
C’était
une nuit du printemps 1988. L’Intifada des pierres avait
éclaté en Cisjordanie, Yasser Arafat, condamné à l’exil,
était à Alger, le Conseil national palestinien se réunit et
publie un communiqué dans lequel il annonce, qu’« au nom de
Dieu et du peuple arabe palestinien, il proclame
l’établissement de l’Etat arabe de Palestine sur notre terre
palestinienne, avec pour capitale Jérusalem, Al-Qods
Al-Charif ». Le document rappelait une résolution qui aurait
été refoulée au fin fond de l’histoire ou omise de la
mémoire collective de presque toute la communauté
internationale. La résolution sur le partage de la Palestine
et qui, en légitimant la création de l’Etat d’Israël, exige
la création d’un Etat pour les Arabes. (Lire fiche). Le
premier a bien émergé mais le second n’a pas encore vu le
jour, plus de 60 ans après. La déclaration de 1988 restera à
cet égard symbolique pour la communauté internationale, une
détermination pour les Palestiniens et un rêve qui ne sera
jamais réalisé aux yeux des Israéliens. Jusqu’à presque son
dernier souffle, Abou-Ammar n’a cessé d’affirmer : « Nous
marcherons ensemble, jusqu’à l’établissement d’un Etat
palestinien indépendant, avec pour capitale Jérusalem ».
Jamais épuisé ou déçu de le répéter en dépit des
déclarations israéliennes comme celle de Benyamin Netanyahu
: « Vous pouvez en rêver chaque nuit, mais, au matin, vous
vous réveillerez toujours et constaterez qu’il n’y a pas d’Etat
palestinien. Il n’y en a pas et il n’y en aura pas ».
Arafat ne renonce pourtant pas à sa conviction. Après lui,
les Palestiniens non plus. Une fois l’indépendance du Kosovo
déclarée, le rêve a été ressuscité. « Nous voulons
aujourd’hui annoncer unilatéralement notre autonomie sur le
terrain, par des moyens pacifistes, et appelons notre peuple
à protéger son Etat, ses frontières, ses institutions et
l’avenir de ses enfants », lance Yasser Abd-Rabbo,
secrétaire général du comité exécutif de l’Organisation de
libération de la Palestine. Des déclarations qui ont
sûrement été lancées avec de grandes émotions de la part de
ce dirigeant palestinien qui rêve de faire ce que les
Kosovars ont fait. Il a profité de l’occasion de
l’indépendance du Kosovo pour inviter le peuple palestinien
à imiter le nouvel Etat européen autoproclamé, en déclarant
unilatéralement son indépendance. « Notre peuple a le
droit de proclamer sa souveraineté comme l’a fait celui du
Kosovo ... Nous avons été occupés bien avant que le problème
de cet Etat ne surgisse », a déclaré Yasser Abd-Rabbo,
influent membre de l’Organisation de libération de la
Palestine.
Mais l’exemple kosovar ne semble pas trop inspirer les
dirigeants de l’Autorité palestinienne à l’exception de
Abd-Rabbo. Le président palestinien Mahmoud Abbass s’est
tout de suite démarqué de cette prise de position, affirmant
qu’il entendait pour sa part poursuivre les négociations
avec Israël pour parvenir à la création d’un Etat
palestinien. Et si cela s’avère impossible ? « Si nous
aboutissons à une impasse, nous nous en référerons à la
nation arabe pour que la décision qui s’impose soit prise au
plus haut niveau », a encore lancé Abou-Mazen.
Mais si l’on ne peut pas qualifier la situation actuelle
d’impasse, comment peut-on la décrire ? Voilà 30 ans que les
Arabes négocient, depuis les accords de Camp David, et 17
ans depuis Oslo et les négociations ont bel et bien achoppé.
Alors que pour le Kosovo, les pourparlers n’ont duré que 9
ans avant que les Etats-Unis ne jettent l’éponge et
l’acceptent. Ce parallèle établi par Abd-Rabbo a pourtant
bien surpris les Américains qui se sont précipités à le
rejeter sous prétexte que les deux cas sont assez distincts.
« Les négociations au Proche-Orient peuvent encore donner
des résultats alors que celles sur le Kosovo n’offraient
plus d’espoir », comme l’a expliqué le porte-parole du
département d’Etat, Sean McCormack. Justification pas
logique même si beaucoup de différences sont à dégager entre
le cas kosovar et le cas palestinien.
Même si ces deux parties ont toutes les deux vécu des
guerres sanglantes et destructives, le parallèle est
difficile à établir, sur le fond au moins.
Une comparaison difficile ?
La nature de chaque cas impose ses règles. Sans aucun doute,
la question palestinienne n’est pas celle d’une minorité
ethnique qui cherche ses droits comme le sont les Kosovars,
mais il s’agit d’un peuple dont les territoires ont été
violés et qu’il essaye de récupérer. Le politologue Saïd
Okacha précise ainsi que le problème avec les Palestiniens
c’est qu’ils luttent essentiellement pour la terre, pour un
tracé des frontières de leur futur Etat. En effet, Israël
n’a jamais fixé ses propres frontières alors que l’« Etat de
Palestine », lui, l’a fait. Il revendique la partie de la
Palestine occupée par Israël en 1967. Aujourd’hui, nul ne
remet en cause la souveraineté de l’éventuel Etat de
Palestine sur la Cisjordanie et la bande de Gaza.
Le cas du Kosovo est autre, la province ex-yougoslave est
bien définie géographiquement et l’indépendance recherchée
est plutôt politique. Il n’y a pas de conflit de terre entre
les Serbes, les Croates et les Kosovars alors qu’avec les
Palestiniens, il s’agit d’un seul territoire, d’une
occupation et de répartition de terre. Du coup, les Kosovars
se sont accordés sur plusieurs plans pour parvenir d’une
manière ou d’une autre à leur indépendance alors que les
Palestiniens sont obligés soit de suivre cette stratégie de
négociation avec les Israéliens, soit d’entamer une lutte
armée. Même s’il a été confirmé par une résolution de l’Onu,
le sort de cet Etat palestinien reste ainsi intimement lié à
une acceptation de la part d’Israël. En d’autres termes,
l’indépendance est tributaire de la fin de l’occupation.
Effectivement, c’est uniquement en se débarrassant du lourd
fardeau de l’occupation que les Etats de l’ex-Yougoslavie
ont pu proclamer, au départ, une sorte de souveraineté et
exiger par la suite une indépendance en bonne et due forme.
La Serbie, qui refusait toujours toutes les revendications
d’indépendance des anciennes entités yougoslaves, n’a pas
hésité à mener des conflits et des guerres sanglantes pour
maintenir son emprise sur elles. Mais la volonté de
séparation a été plus forte, une volonté née surtout d’une
expérience d’union imposée, durant laquelle ces provinces
ont vécu toutes sortes d’injustices (lire page 5). En outre,
elles répondaient plus ou moins aux critères juridiques
selon lesquels l’indépendance d’un Etat est définie. En
effet, outre l’établissement de relations diplomatiques, «
quatre critères définissent un Etat souverain à savoir :
l’existence d’un territoire déterminé, dont nul autre ne
revendique la souveraineté ; la présence permanente d’une
population ; le contrôle effectif de ce territoire et de
cette population ; la volonté et la capacité de satisfaire
ses obligations envers la communauté internationale et de
remplir les clauses d’un traité », écrit John V. Whitbeck
dans le Monde diplomatique. De quoi démontrer qu’en dépit de
certaines différences, l’exemple kosovar peut inspirer les
Palestiniens.
Car si on se réfère à ces critères, « l’Etat palestinien
n’est pas moins légitime que l’Etat juif. Seul manquait, du
moins jusque récemment, le dernier critère : le contrôle
effectif des territoires et de la population ». En 1988,
lorsqu’Abou-Ammar proclame l’Etat palestinien, Gaza et la
Cisjordanie étaient sous occupation, « mais les accords
d’Oslo ont modifié la situation. Démocratiquement élu et
assuré du soutien de la communauté internationale, le
pouvoir palestinien contrôle effectivement — avec ses
institutions législatives, exécutives et juridiques — une
partie du territoire palestinien où réside la majorité de la
population palestinienne. Même les Etats-Unis et les pays
européens qui n’ont pas établi de liens diplomatiques avec
l’Etat palestinien recevaient Yasser Arafat avec les
honneurs dus à un chef d’Etat », précise V. Whitbeck. La
Palestine a son propre drapeau qui ne manque pas d’être
hissé dans les conférences internationales les plus
importantes, elle a un ambassadeur aux Nations-Unies et dans
plusieurs dizaines de pays.
En chiffres, le Kosovo, qui vient juste de déclarer son
indépendance, n’est reconnu que par 17 Etats, alors que l’Etat
palestinien, lui, bien que reconnu par 105 pays, continue à
être considéré comme non-Etat. Pourquoi l’indépendance des
uns est reconnue alors que celle des autres ne l’est pas ?
La réponse est loin d’être compliquée. C’est uniquement les
Américains qui décident. C’est Washington qui était derrière
la séparation du Timor, elle l’est aussi pour l’indépendance
du Kosovo. Selon Saïd Okacha, « la communauté internationale
n’osera jamais prendre ce pas et adopter une mesure contre
le gré des Israéliens et certes des Américains ».
Essentiellement donc, tout est basé sur le principe
d’intérêt entre les Etats. En reconnaissant l’indépendance
du Kosovo, Washington envoie un message à la Russie. Il
voudrait contourner son influence dans cette région. En
effet, le ton monte entre Américains et Russes. Le Kosovo
n’est dans ce contexte qu’une carte du jeu.
Et pour l’instant, les Etats-Unis sont loin de jouer avec la
carte palestinienne. Les Arabes ne semblent leur offrir
aucune contrepartie. Voire, ils les considèrent comme des
Etats peu développés et source de terrorisme. Ils n’ont pas
hésité à occuper un de leur pays, l’Iraq, à menacer un
autre, la Syrie. Un bâtiment de guerre l’USS Cole n’est-il
pas au large du Liban sans l’autorisation de celui-ci ? Même
leurs alliés, l’Arabie saoudite et l’Egypte, en
l’occurrence, n’ont pas grâce à leurs yeux. Pour eux, Israël
est donc un allié plus que stratégique. L’exemple du Kosovo
est donc à écarter pour l’Amérique en attendant ce que
décidera Tel-Aviv.
Chaïmaa Abdel-Hamid