Al-Ahram Hebdo, Enquête | La tradition du plus fort
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 Semaine du 12 au 18 mars 2008, numéro 705

 

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Enquête

Héritage. Une majorité de femmes en milieu rural en sont privées pour ne pas morceler les terres familiales. Celles qui osent la revendication sont frappées d’opprobre. Pour les aider, le Conseil national de la femme étudie un projet de loi. Enquête à l’occasion de la Journée égyptienne de la femme, le 16 mars.

La tradition du plus fort

« Je suis devenue comme une pestiférée. Personne ne me contacte, ni me rend visite, pas même mes parents. Et si l’une des mes sœurs ose le faire, elle a droit à des réprimandes », s’insurge Fawziya, 33 ans, avocate. Celle-ci a décidé de se donner à sa cause principale, celle de réclamer son héritage. Et elle en paie le prix, car dans certaines grandes familles en Haute-Egypte, la fille n’a pas le droit de revendiquer son héritage et si elle ose le faire, elle tombe dans le cercle vicieux de la loi du « eib », l’opprobre, imposée et soutenue par cette société patriarcale. Nombreuses sont celles qui se résignent à l’instar des sœurs de cette avocate, lesquelles ont préféré s’abstenir ou garder le silence. Mais le crime de Fawziya est d’avoir un jour décidé de briser ce tabou. Les arguments de Yéhia, son grand frère, sont clairs : « La terre est l’essence de la famille, son pouvoir et sa richesse. Elle doit donc être gérée par des hommes, puisque ce sont eux qui portent le nom de la famille. Nous ne sommes pas des gens bornés, mais cette tradition existe partout dans les sociétés féodales. En France, par exemple, certaines familles refusent de faire hériter les filles pour ne pas éparpiller les parcelles, puisque ce sont souvent les hommes qui vont aux champs et cultivent la terre ». Pour lui, c’est la bataille de sa vie, puisqu’il estime que la terre est l’honneur de la famille. « Un Saïdi peut tuer pour garder son honneur », confie Yéhia.

Les menaces permanentes du grand frère de Fawziya de la priver de tout son héritage ne brisent pas sa volonté. Elle insiste à intenter un procès malgré les pressions et les menaces de son entourage de rompre tout lien avec elle. « Ma position est forte, puisque c’est mon droit. Je ne peux plus accepter cette situation injuste et archaïque que l’on veut imposer à la femme du XXIe siècle. Et pourquoi c’est à moi de faire des concessions alors que mon frère ne se sent nullement concerné ? », s’interroge Fawziya, tout en ajoutant qu’elle défend un droit garanti par la charia. Et d’ajouter : « La femme musulmane jouit de son indépendance financière. Elle a le droit de vendre, d’acheter et de gérer ses biens comme elle entend et sans contrainte. Il suffit de citer Oum Al-Moëmenine (mère des croyants) Khadija, femme du prophète, qui fut une femme d’affaires et a géré son propre commerce ».

En effet, la charia islamique a donné à la femme le droit à l’héritage. Il est vrai qu’elle a droit à la moitié de la part de son frère. « Cependant, cette répartition n’est pas basée sur une distinction entre les deux sexes. Mais plutôt parce que c’est à l’homme d’assumer les frais du mariage. Et c’est à lui d’assumer la responsabilité financière de sa femme, sa fille et sa sœur si elle est veuve, divorcée ou bien vieille fille », explique le Dr Zeinab Radwane, professeure en philosophie islamique et membre au Conseil national de la femme. Mais le problème est que la loi garantit à l’homme sa part à l’héritage, mais ne l’oblige pas à subvenir aux besoins de sa sœur.

La plainte de Fawziya semble avoir eu un écho auprès du Conseil national de la femme. Selon Mohamad Abdel-Salam, porte-parole du conseil, le bureau de plainte dépendant de cette instance reçoit chaque année des cas similaires. Des femmes qui recourent à ce bureau comme dernier espoir pour obtenir ce droit. « On a donc remarqué qu’en province égyptienne, la femme n’hérite pas des terres. La situation ne diffère pas entre Basse-Egypte et Haute-Egypte », poursuit Abdel-Salam. Et même si une famille accepte de faire hériter les filles, ces dernières se voient parfois obligées de tout vendre à leurs frères contre un prix dérisoire.

 

Une affaire de mentalités

D’après les chiffres du Conseil national de la femme, le nombre de plaintes reçues à ce bureau a atteint les 3 au cours de ce dernier mois. Une situation qui a poussé le conseil à lancer une campagne pour soutenir ce droit. Le Dr Ferkhonda Hassan, secrétaire générale du Conseil national de la femme, a proposé au conseil de préparer un projet de loi dont l’objectif serait de sanctionner celui qui prive une femme de son héritage. Le comité juridique présidé par le conseiller Hassan Badrane étudie actuellement l’idée de lutter contre cette discrimination qui existe depuis la nuit des temps.

Une campagne qui arrive à temps surtout que le chemin pour obtenir ce droit va être long et semé d’embûches. Selon l’avocat Salah Gaber, des procès pareils peuvent durer de longues années. Ce qui aggrave la situation c’est que tous les documents sont détenus par des hommes. D’ailleurs, les ruses dans ce genre de procès sont nombreuses. Il arrive que les hommes intentent un procès dans un autre tribunal pour gêner les procédures et gagner du temps. « Cela veut dire une perte d’argent et d’efforts. C’est pour cela que beaucoup de femmes ne se lancent pas dans cette aventure ou s’arrêtent à mi-chemin. Et ce, sans compter que beaucoup d’entre elles ne sont pas des battantes, faute de moyens », poursuit Gaber.

Or, l’absence de qualités combatives fait actuellement le sujet d’un débat au sein du Conseil national de la femme. « Comment faire sortir une loi qui garantit le droit de la femme à son héritage ? La situation exige donc plus de sensibilisation et d’émancipation », explique Zeinab Radwane, membre du comité culturel au Conseil national de la femme. « Un problème aussi complexe ne se résout pas seulement par une loi, mais à travers aussi l’effort du comité culturel qui doit aller sur terrain pour expliquer à la fois aux hommes et aux femmes cette nouvelle idée, la soutenir et la semer. Il s’agit aussi de sensibiliser particulièrement les hommes afin de leur faire comprendre que les droits de la sœur, la mère, la fille ou l’épouse sont aussi importants que les autres préceptes de l’islam », avance-t-elle, en ajoutant que parfois les hommes séparent ces deux, alors qu’ils prétendent être des gens pieux. Un travail qui ne va pas sûrement porter ses fruits tout de suite. La question exige du temps, puisqu’il s’agit de changer des mentalités et d’enrayer des idées bien enracinées dans ces sociétés féodales.

Mais la plainte de Fawziya continue de susciter des réactions. « Il nous arrive de revendiquer des droits pour plaire à l’Occident. En ce qui concerne l’héritage, il s’agit d’un droit purement conforme à la charia. Ne mérite-t-il pas d’être appliqué à toutes les femmes ? Pourquoi notre société subit-elle une telle dualité ? », s’interroge-t-elle.

Or, dans notre société, on a recours souvent à la charia pour renforcer la situation de l’homme qui hérite du double de la femme. « Lorsque l’homme doit offrir à la femme ce qu’il lui revient, il ôte son costume de cheikh et se présente comme un véritable macho », conclut Fawziya.

Dina Darwich

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