Héritage.
Une majorité de femmes en milieu rural en sont privées pour
ne pas morceler les terres familiales. Celles qui osent la
revendication sont frappées d’opprobre. Pour les aider, le
Conseil national de la femme étudie un projet de loi.
Enquête à l’occasion de la Journée égyptienne de la femme,
le 16 mars.
La tradition du plus fort
« Je suis devenue comme une pestiférée. Personne ne me
contacte, ni me rend visite, pas même mes parents. Et si
l’une des mes sœurs ose le faire, elle a droit à des
réprimandes », s’insurge Fawziya, 33 ans, avocate. Celle-ci
a décidé de se donner à sa cause principale, celle de
réclamer son héritage. Et elle en paie le prix, car dans
certaines grandes familles en Haute-Egypte, la fille n’a pas
le droit de revendiquer son héritage et si elle ose le
faire, elle tombe dans le cercle vicieux de la loi du « eib
», l’opprobre, imposée et soutenue par cette société
patriarcale. Nombreuses sont celles qui se résignent à
l’instar des sœurs de cette avocate, lesquelles ont préféré
s’abstenir ou garder le silence. Mais le crime de Fawziya
est d’avoir un jour décidé de briser ce tabou. Les arguments
de Yéhia, son grand frère, sont clairs : « La terre est
l’essence de la famille, son pouvoir et sa richesse. Elle
doit donc être gérée par des hommes, puisque ce sont eux qui
portent le nom de la famille. Nous ne sommes pas des gens
bornés, mais cette tradition existe partout dans les
sociétés féodales. En France, par exemple, certaines
familles refusent de faire hériter les filles pour ne pas
éparpiller les parcelles, puisque ce sont souvent les hommes
qui vont aux champs et cultivent la terre ». Pour lui, c’est
la bataille de sa vie, puisqu’il estime que la terre est
l’honneur de la famille. « Un Saïdi peut tuer pour garder
son honneur », confie Yéhia.
Les menaces permanentes du grand frère de Fawziya de la
priver de tout son héritage ne brisent pas sa volonté. Elle
insiste à intenter un procès malgré les pressions et les
menaces de son entourage de rompre tout lien avec elle. « Ma
position est forte, puisque c’est mon droit. Je ne peux plus
accepter cette situation injuste et archaïque que l’on veut
imposer à la femme du XXIe siècle. Et pourquoi c’est à moi
de faire des concessions alors que mon frère ne se sent
nullement concerné ? », s’interroge Fawziya, tout en
ajoutant qu’elle défend un droit garanti par la charia. Et
d’ajouter : « La femme musulmane jouit de son indépendance
financière. Elle a le droit de vendre, d’acheter et de gérer
ses biens comme elle entend et sans contrainte. Il suffit de
citer Oum Al-Moëmenine (mère des croyants) Khadija, femme du
prophète, qui fut une femme d’affaires et a géré son propre
commerce ».
En effet, la charia islamique a donné à la femme le droit à
l’héritage. Il est vrai qu’elle a droit à la moitié de la
part de son frère. « Cependant, cette répartition n’est pas
basée sur une distinction entre les deux sexes. Mais plutôt
parce que c’est à l’homme d’assumer les frais du mariage. Et
c’est à lui d’assumer la responsabilité financière de sa
femme, sa fille et sa sœur si elle est veuve, divorcée ou
bien vieille fille », explique le Dr Zeinab Radwane,
professeure en philosophie islamique et membre au Conseil
national de la femme. Mais le problème est que la loi
garantit à l’homme sa part à l’héritage, mais ne l’oblige
pas à subvenir aux besoins de sa sœur.
La plainte de Fawziya semble avoir eu un écho auprès du
Conseil national de la femme. Selon Mohamad Abdel-Salam,
porte-parole du conseil, le bureau de plainte dépendant de
cette instance reçoit chaque année des cas similaires. Des
femmes qui recourent à ce bureau comme dernier espoir pour
obtenir ce droit. « On a donc remarqué qu’en province
égyptienne, la femme n’hérite pas des terres. La situation
ne diffère pas entre Basse-Egypte et Haute-Egypte »,
poursuit Abdel-Salam. Et même si une famille accepte de
faire hériter les filles, ces dernières se voient parfois
obligées de tout vendre à leurs frères contre un prix
dérisoire.
Une affaire de mentalités
D’après les chiffres du Conseil national de la femme, le
nombre de plaintes reçues à ce bureau a atteint les 3 au
cours de ce dernier mois. Une situation qui a poussé le
conseil à lancer une campagne pour soutenir ce droit. Le Dr
Ferkhonda Hassan, secrétaire générale du Conseil national de
la femme, a proposé au conseil de préparer un projet de loi
dont l’objectif serait de sanctionner celui qui prive une
femme de son héritage. Le comité juridique présidé par le
conseiller Hassan Badrane étudie actuellement l’idée de
lutter contre cette discrimination qui existe depuis la nuit
des temps.
Une campagne qui arrive à temps surtout que le chemin pour
obtenir ce droit va être long et semé d’embûches. Selon
l’avocat Salah Gaber, des procès pareils peuvent durer de
longues années. Ce qui aggrave la situation c’est que tous
les documents sont détenus par des hommes. D’ailleurs, les
ruses dans ce genre de procès sont nombreuses. Il arrive que
les hommes intentent un procès dans un autre tribunal pour
gêner les procédures et gagner du temps. « Cela veut dire
une perte d’argent et d’efforts. C’est pour cela que
beaucoup de femmes ne se lancent pas dans cette aventure ou
s’arrêtent à mi-chemin. Et ce, sans compter que beaucoup
d’entre elles ne sont pas des battantes, faute de moyens »,
poursuit Gaber.
Or, l’absence de qualités combatives fait actuellement le
sujet d’un débat au sein du Conseil national de la femme. «
Comment faire sortir une loi qui garantit le droit de la
femme à son héritage ? La situation exige donc plus de
sensibilisation et d’émancipation », explique Zeinab Radwane,
membre du comité culturel au Conseil national de la femme. «
Un problème aussi complexe ne se résout pas seulement par
une loi, mais à travers aussi l’effort du comité culturel
qui doit aller sur terrain pour expliquer à la fois aux
hommes et aux femmes cette nouvelle idée, la soutenir et la
semer. Il s’agit aussi de sensibiliser particulièrement les
hommes afin de leur faire comprendre que les droits de la
sœur, la mère, la fille ou l’épouse sont aussi importants
que les autres préceptes de l’islam », avance-t-elle, en
ajoutant que parfois les hommes séparent ces deux, alors
qu’ils prétendent être des gens pieux. Un travail qui ne va
pas sûrement porter ses fruits tout de suite. La question
exige du temps, puisqu’il s’agit de changer des mentalités
et d’enrayer des idées bien enracinées dans ces sociétés
féodales.
Mais la plainte de Fawziya continue de susciter des
réactions. « Il nous arrive de revendiquer des droits pour
plaire à l’Occident. En ce qui concerne l’héritage, il
s’agit d’un droit purement conforme à la charia. Ne
mérite-t-il pas d’être appliqué à toutes les femmes ?
Pourquoi notre société subit-elle une telle dualité ? »,
s’interroge-t-elle.
Or, dans notre société, on a recours souvent à la charia
pour renforcer la situation de l’homme qui hérite du double
de la femme. « Lorsque l’homme doit offrir à la femme ce
qu’il lui revient, il ôte son costume de cheikh et se
présente comme un véritable macho », conclut Fawziya.
Dina
Darwich