Gaza.
Le drame des réfugiés et des points de passage avec l’Egypte
met en relief un plan israélien visant à une réinstallation
d’une grande partie des Palestiniens dans le Sinaï.
Des manoeuvres cousues de fil blanc
Le
bulldozer avance sans discontinuer, défonce le mur et la
frontière tombe. Les Palestiniens se ruent en territoire
égyptien. Le Caire, pris de court, demande à ses soldats de
les laisser passer. Les quelque 700 policiers postés à Rafah
ne pouvaient pas en tout cas faire grand-chose devant cet
afflux sans précédent des Gazaouis. En une semaine, environ
la moitié des habitants de la bande de Gaza, soit 750 000
personnes, se sont précipités dans le Sinaï fuyant le blocus
israélien. Des matelas, des couvertures, des enfants, de la
nourriture ... la scène rappelle bien d’autres, celles des
Palestiniens condamnés à l’exode en 1948 ou en 1967. Même si
du côté de Gaza ou du Sinaï personne ne pensait à un tel
scénario : des réfugiés palestiniens en Egypte, à l’instar
de ceux du Liban ou de Jordanie, pas très loin d’ici, ils y
avaient bien ceux qui, depuis longtemps, montaient un tel
plan. En Israël, plus personne ne cache cette volonté de se
débarrasser de Gaza et jeter sa clé ailleurs, et pourquoi
pas à l’Egypte ? Au moins, ce pays administrait ce
territoire palestinien de 1948 à 1967. Des responsables
israéliens n’ont pas caché cette intention comme Ehud Barak,
le ministre de la Défense, qui dit ne pas comprendre
pourquoi Israël devrait continuer à fournir électricité et
nourriture à Gaza, alors que Tsahal s’est retiré de cette
zone depuis 3 ans ?! « Il est temps que l’Egypte assume sa
part de responsabilité », affirme-t-il. Dans la presse et
dans les milieux intellectuels israéliens, mais aussi
américains, presque tout le monde fait développer la même
idée. Le bulletin politique de l’Université de Harvard
précise ainsi que « les responsables à Tel-aviv voient ce
qui se passe à Rafah comme un véritable don pour l’Etat
d’Israël. Cet afflux irrégulier, mais continu des
Palestiniens vers l’Egypte pourrait se transformer en un
désengagement total d’Israël par rapport à la bande de Gaza
».
L’idée est bien là et ne fait pas partie de la théorie du
complot, chère aux Arabes, comme le prétend Israël. Elle
date d’il y a longtemps même. « Les Américains ont lancé
cette idée d’un transfert des Palestiniens dans le Sinaï
pour la première fois en 1955, avec le plan Johnston, du nom
de l’envoyé spécial américain au Proche-Orient », précise
Hassan Asfour, ancien ministre palestinien des Négociations.
Lui-même, en 1995, le temps des négociations sur le statut
final, a entendu Yossi Belin, alors ministre israélien de l’Economie,
développer une idée d’un échange de territoire. « Il
proposait aux Palestiniens de prendre une partie du désert
du Néguev en contrepartie de territoires en Cisjordanie.
Dans le même contexte, il voulait que l’Egypte cède une
partie du Sinaï aux Israéliens pour y installer les
Palestiniens », raconte Asfour. Cinq ans plus tard, Shlomo
Ben Ami, ministre israélien de la Police, parle à Stockholm,
lors de pourparlers avec les Palestiniens, du « casse-tête »
de la bande de Gaza, il la qualifie de « bombe à retardement
» à laquelle il faudrait trouver une solution. « Ben Ami,
dit Asfour, était rusé. Il a évoqué le problème du point de
vue humanitaire et non sécuritaire comme ce fut toujours le
cas avec les Israéliens ». C’est ce qui s’est d’ailleurs
passé dans la bande de Gaza, une véritable crise
humanitaire, à laquelle Israël a délibérément incité. Une
punition collective qui « pousserait les Palestiniens à un
départ volontaire », comme l’avait déclaré Ytzhak Rabin,
l’ancien premier ministre israélien.
La « question » du Sinaï
Dans
son 61e rapport, l’International Crisis Group, qui en
principe travaille sur la prévention des conflits, soulève
de nouveau l’affaire. Le rapport intitulé « La question du
Sinaï égyptien » affirme que « le Sinaï représente une
importance stratégique tant aux yeux de l’Egypte que
d’Israël et se trouve affecté par l’évolution du conflit
israélo-palestinien ». Le texte s’attaque entre autres à «
la problématique intégration du Sinaï à l’Egypte » et
s’efforce de prouver que cette péninsule est « une région à
part, dont l’identité est loin d’être complètement assurée
», que sa population « est différente du reste de la
population égyptienne, avec une minorité d’origine
palestinienne, des Bédouins, originaires de la péninsule, et
des Bosniaques arrivés à l’époque ottomane ».
Du coup, ces 360 000 habitants du Sinaï « sont, comme les
Palestiniens, naturellement tournés vers l’Est plutôt que
vers le reste de l’Egypte ». Impossible de croire qu’une
telle hypothèse est mise en exergue de manière gratuite même
si le document long de 37 pages tente de cadrer l’affaire
dans un contexte socio-économique. Plus précis, voire plus
dangereux, sont les rapports israéliens eux-mêmes. Depuis au
moins 3 ans, le « Herzliya Conference », cette réunion
annuelle débattant de la stratégie israélienne avance des
plans qui ne parlent pas uniquement d’installation de
Palestiniens dans les pays arabes, mais d’un échange de
territoires avec les pays de la région.
Il faut juste savoir qu’il ne s’agit pas de simples
propositions ou idées, mais le Herzliya Conference est
devenu un centre d’éclosion de la politique israélienne.
C’est cette conférence qui a par exemple présenté pour la
première fois le plan de désengagement de Gaza. Herzliya a
ainsi fourni deux études d’une importance majeure, qui parle
d’« d’échanges de territoires pour la fin du conflit
palestino-israélien ». On est vraiment loin de l’ancienne
proposition d’un territoire dans le Néguev pour un autre en
Cisjordanie. Les Israéliens vont plus loin, ils veulent
redessiner la carte de la région pour créer « une
homogénéité ethnique ». Les textes partent du principe que
sous mandat britannique, des terres ont été divisées et
qu’aujourd’hui, Palestiniens et Israéliens sont tout à fait
d’accord pour une division de la Palestine. L’étude établie
par le chercheur Uzi Arad estime pourtant que les frontières
géo-démographiques actuelles vont transformer probablement
la notion en cours dans le cadre du processus de paix « deux
Etats pour deux peuples » en « deux Etats pour un seul
peuple ». C’est l’idée qu’avait soulevée Gideopn Biger de
l’Université de Tel-Aviv en 1996 avec un Etat pour les
juifs, un autre pour les Arabes. Pour ce, Israël cédera aux
Palestiniens le triangle de Kafr Kassem et les Palestiniens
lâcheront des zones dans la vallée du Jourdain. Ainsi, les
Arabes d’Israël seront placés sous souveraineté
palestinienne. Ce genre de propositions ne manquent pas, la
plus dangereuse reste celle concernant les autres pays de la
région entourant Israël : l’Egypte, la Jordanie, la Syrie et
le Liban. Tel-Aviv veut, selon ce plan appuyé par une
nouvelle carte, échanger des territoires avec eux pour
aboutir à « l’Etat d’Israël ».
L’art du marchandage
Ainsi,
Israël donnera à l’Egypte entre 200 et 500 km2 dans le
Néguev, limitrophe de la péninsule du Sinaï, avec un
corridor dans ce même désert créant une sorte de pont entre
l’Egypte et la Jordanie. Et le prix que payeront les
Egyptiens, un territoire d’environ 1000 km2 (soit le double
de ce que va obtenir l’Egypte), sera coupé du Sinaï et
attaché à la bande de Gaza. Ce n’est certes pas un cadeau
gratuit pour les Palestiniens, ces derniers devraient
abandonner des terres en Cisjordanie non seulement les
alentours de Jérusalem et les colonies, mais le long du
Jourdain, dans les réserves naturelles dans le désert de
Judée et sur la mer Morte.
La terre prise à la Jordanie, le Royaume la récupéra à la
Syrie et cette dernière prendra une partie du Liban qui se
procurera une bande dans le nord d’Israël ! Et pourquoi l’Egypte
accepterait-elle ? car, comme prétend le texte, « elle aura
ainsi contribué effectivement au règlement du conflit
israélo-arabe en échange d’un territoire qu’elle ne perd
rien en l’échangeant ». Et pour les autres pays arabes, « il
faudrait plus de travail et de temps mais aussi l’espoir
qu’ils seront flexibles comme ils l’ont fait entre eux ».
Pour les Egyptiens et les Palestiniens, ceci « fait partie
du grand rêve d’Israël et il le sera toujours ». Une
déclaration jugée faible. Mais ne serait-elle pas là la
solution ? Ne pas prendre ce genre d’études au sérieux et
donc les discréditer. Sur les frontières, des mesures plus
strictes sont prises. Il est sûr que jusqu’à présent si les
Arabes ont maintenu le statut de réfugiés pour les
Palestiniens au lieu de les accueillir comme le préconisent
les vues faussement philanthropiques de certains
Occidentaux, c’est pour éviter justement ce genre de
scénarios .
Samar
Al-Gamal