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 Semaine du 10 au 16 décembre 2008, numéro 744

 

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Littérature

Dans ce roman pour lequel il a obtenu le prix Ihsan Abdel-Qoddous, Mohamad Al-Achri utilise un style imagé pour décrire la passion amoureuse qui déchire son narrateur, indissociable de son rapport à l’univers. Ici, le voyage sur le Nil est l’occasion d’un retour aux sources mythiques de l’Histoire égyptienne.

Imaginaire enflammée

Mille jours sur le fleuve, c’est suffisant pour ravauder l’âme et ranimer le corps en creusant un passage pour amener l’eau à la terre assoiffée. Il pensait à cette époque lointaine où il avait quitté la maison du négociant, obsédé par la douce jeune fille qui s’était attachée à lui, au point où il ne savait plus que faire. Cupide avait décoché sa flèche dans son cœur, puis l’avait laissé seul décider ce qu’il avait à faire envers elle. En montant vers son village endormi sur la montagne gardienne du fleuve, il repassait en mémoire sa vie passée. Il était habité du désir de partir, de changer de lieu, de fuir quelque chose qui gonflait dans sa poitrine. Il décida d’accompagner un groupe de ses élèves à l’école et d’amis pour un voyage sur le fleuve. Il avait préparé un bateau parmi ceux qui étaient accostés sur la rive du Nil sous son village.

Dans le port, il les poussait à se lever. Ils le suivaient, chargés de tout ce dont ils avaient besoin. Ils observaient l’horizon, au loin. Une joie débordante se dessinait sur leurs visages alors qu’ils partaient pour ce voyage à travers l’Histoire, vers les racines de cet être dont ils buvaient l’eau et mangeaient les produits de son irrigation. Cet être aux côtés duquel ils respiraient. Cet être qui les rassurait sur le monde, quand ils entendaient sa voix s’écouler dans le calme et la sérénité, traversant villes, villages, hameaux, bourgs et déserts, se pavanant du sud au nord, enracinant la vie dans la profondeur de la terre, s’infiltrant dans les artères des arbres et des plantes. Ils écoutaient son grondement monter en eux, mêlé à leurs frémissements. Ils laissaient leurs cœurs fondre en lui, puis inonder le désert de leurs sentiments. Il pensait à l’expression selon laquelle l’Egypte est un don du Nil. Il voyait l’autre face de cette phrase morte, se disait que l’Egypte était la victime du Nil. C’est lui qui avait poussé les Egyptiens à se réfugier dans le calme et la sérénité, à s’endormir à l’abri de ses eaux, abandonnant à la sécheresse et au vide le désert et tous ses trésors. Qu’en aurait-il été si le Nil n’avait été là ?! Les gens seraient-ils morts de soif ? Ils auraient cherché une source d’eau ; peut-être se seraient-ils dispersés dans l’immense désert, peut-être en auraient-ils fait un lieu adéquat pour la vie, un lieu meilleur, plus spacieux, plus reposant que cette artère étroite accolée au Nil. Peut-être leur tempérament aurait-il été différent, peut-être n’aurait-il pas eu cette torpeur, cette satisfaction face au fait accompli, sans que le sang ne se révolte dans leurs veines. La vie autour d’eux changeait, mais ils restaient impuissants, vieillissant, exactement comme le Nil, las de couler entre des visages endormis, engourdis, où rien n’indiquait que la vie pourrait à nouveau s’insuffler dans les âmes.

 

***

Debout, il maintenait le gouvernail du bateau. Au batelier, il indiqua le sud. Ils partirent, la voile fendait l’eau en toute facilité et souplesse. Il scrutait leurs traits perdus dans l’eau du fleuve. Leurs regards se rencontraient là-bas, près d’un cours d’eau sur la rive droite du fleuve, là où le regard se perd, là où l’eau glisse, part loin, se lance dans une immense fissure sans fin.

Des créatures marines s’élançaient du fond et volaient autour du bateau. Elles faisaient bouger leurs nageoires, leurs têtes en direction du ciel, accompagnant les membres de l’équipée, qui, penchés sur les rebords du bateau, tendaient la main pour saluer ces créatures affectueuses, qui illuminaient la nuit d’éclats phosphorescents étincelant dans la lumière de la lune.

***

Il les trouvait distraits. Il attira leur attention et les obligea à se concentrer en leur expliquant le secret devant eux. Là, par le passé, à cette embrasure appelée « l’ouverture d’Al-Hawara » ou « Al-Lahun », à travers une petite branche de cet arbre qu’était le fleuve, l’eau s’était engouffrée vers l’oasis du Fayoum à travers « Bahr Youssef », creusé par Youssef Al-Seddiq sur ordre du pharaon d’Egypte, Al-Aziz.

A cette époque, la région était truffée de marécages. Youssef rassembla autour de lui des hommes jeunes, qui travaillèrent nuit et jour, sans répit. Au bout de soixante-dix jours, ils avaient creusé Bahr Youssef, bonifié la terre, sauvé les gens d’une famine qui les aurait décimés pendant sept ans et ajouté aux greniers à blé des récoltes abondantes.

Quand Al-Aziz vit que le travail avait été accompli en aussi peu de temps, il parla avec Youssef et lui dit que le travail aurait au moins nécessité mille jours, « alf youm ». Plus tard, les gens mélangèrent les deux mots dans leurs paroles, et cela devint « Al-Fayoum ».

A ce moment-là, l’un des membres de l’équipée cria :

— Génial !

— Nous voulons entrer dans Bahr Youssef, ajouta un autre.

Les autres insistaient. Il fit alors signe au batelier d’exécuter ce qu’il avait entendu, d’entrer avec eux dans ce trou, et de naviguer dans Bahr Youssef. Ils changèrent la marche du voyage pour prendre la direction du Fayoum. Ils lui demandèrent de leur en raconter plus, se basant en cela sur sa qualité d’enseignant d’histoire, qui faisait de lui la personne la plus indiquée pour leur faire découvrir plus de choses encore.

Il riait en regardant le soleil. Il s’installa sur le bord du bateau, s’étendit en direction de l’eau. Il but dans le creux de la main, s’aspergea le visage et les vêtements avec bonheur. Ils les trouvaient agités, ils gênaient.

Leur tohu-bohu permanent l’inquiétait. Agacé, le chef du voyage, au visage mat et aux traits fins, s’approcha de lui pour lui montrer ce qu’ils faisaient. Ils échangèrent un regard rapide, il les appela, puis leur ordonna de rester calmes, et leur promit de les laisser toucher l’eau l’un après l’autre. Ils obéirent ; le murmure de leurs voix s’élevait au-dessus de leurs têtes et attirait de nombreux vols d’oiseaux qui, émergeant tels des nuages blancs, les ombrageaient de leurs ailes froides.

 

***

L’oasis était habitée et même assez peuplée en l’an 4440 avant notre ère. Elle était devenue une résidence pour les grands hommes du pharaon, ses vizirs, près du superbe lac « Maurice », dont l’eau s’est évaporée au fil du temps. Il n’en reste plus que le petit lac Qaroun, dont la surface ne dépasse pas les 220 km2. Le niveau de l’eau y est de 45 m au-dessous du niveau de la mer. Il doit son nom à Qaroun, le vizir de Pharaon et le gardien de ses innombrables greniers. Mais son ambition de plus le fit remettre sa richesse à son travail comme chimiste, et sa capacité à transformer la poussière en or.

Au cours de ses expériences d’alchimie sur les métaux, une explosion terrible eut lieu, qui fit trembler sa maison et la tassa au cœur de la terre sous des couches sédimentaires de pierres calcaires et de pierres sablonneuses effritées, qui en bouchèrent tous les accès. Depuis cette date, ses eaux clapotaient désormais en vagues tristes qui s’éteignaient presque avant de naître. Quand ils planaient au-dessus de ces eaux, les oiseaux restaient hésitants, incapables de piquer et de happer des poissons pour nourrir leurs petits ou calmer leur faim. Les pêcheurs y étendaient leurs filets et les jetaient lentement. Quelque chose en eux leur faisait craindre de les retirer pour les voir à chaque fois ressortir vides et déchirés.

 

***

Après avoir goûté l’eau salée, ils lui demandèrent :

— Tu vois le sel sur nos langues. Comment toute cette verdure a-t-elle pu se développer et s’étendre ?

Tout en se déplaçant, il sourit, regardant ce qu’il avait dans les mains :

— Voici le papyrus que je vais vous montrer. En attendant, profitons de ces magnifiques paysages.

Traduction de Dina Heshmat

 

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Mohamad
Al-Achri

Il est né en 1967, géologue de formation, son penchant pour l’écriture littéraire est né depuis son jeune âge.

Il a publié cinq romans, Ghadet al-assatir al-haléma (la dame des légendes oniriques, éditions Qossour al-saqafa, 1999), Nabea al-zahab (la source de l’or, GEBO, 2000), Toffahet al-sahara (la pomme du désert, Markaz al-hadara en 2001), Halet al-nour (l’auréole de lumière, Markaz al-hadara en 2002) et Khayal sakhen (imaginaire enflammé), édité conjointement entre la maison d’édition égyptienne Madbouli et celle algérienne Manchourat al-khtelaf, 2008).

 Il a reçu le prix du Club de la nouvelle en 1999 et celui des Palais de la culture en 2000-2001.

 

 

 




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