Barack
Obama.
Moataz
A. Fattah,
professeur de sciences politiques à l’Université du Caire et
à l’Université Central Michigan aux Etats-Unis, estime que
le nouveau président américain veut le changement, mais qui
ne sera pas facile et donc sera graduel. Entretien.
« L’héritage échu à Obama est
compliqué »
Al-Ahram
Hebdo : Barack
Obama qui avait promis le
changement a finalement préféré la continuité en choisissant
son équipe, comment interprétez-vous sa position ?
Moataz
A. Fattah :
Obama a promis le changement et
y reste engagé. Mais il veut le mener à partir de bases et
dans un cadre bien défini et stable. C’est-à-dire un
changement sans révolution. Lorsqu’il parle de changement,
il parle de lui-même, les idées nouvelles et la stratégie
différente qu’il devrait véhiculer.
Obama sait très bien qu’il a des points de faiblesse.
Son expérience en affaires intérieures ou étrangères est
évidemment faible. Il n’est ni comme les gouverneurs des
Etats qui sont experts en matière locale, ni comme les
Sénateurs qui excellent en politique internationale. C’est
un jeune politicien qui n’a, derrière lui, que deux ans au
Sénat, ce qui explique pourquoi il cherche à être entouré de
personnes expérimentées plutôt que de fidèles. Cette
attitude émane surtout du fait que l’Amérique s’est livrée
aux démocrates. Ils dominent le Congrès et détiennent la
plupart des Etats. Concrètement, ceci signifie que toutes
ses propositions vont passer facilement. Et toutes
décisions, il en assumera seule la responsabilité ou en
tirera profit. Il a été invité à se justifier sur cette
formation et a déclaré que c’était lui qui incarnait le
changement et que son équipe œuvrera en fonction de sa
vision.
— L’Amérique est pourtant un pays d’institutions et non d’un
seul homme ...
— Nous exagérons en représentant les Etats-Unis comme étant
un pays d’institutions. Il y a des différences claires entre
Bush et Clinton par exemple. Chaque nouveau président arrive
avec un mandant précis. Il est élu en fonction d’un certain
nombre de politiques et d’objectifs qui font que sa vision
est plus importante que les institutions. Un Etat
institutionnel n’est pas synonyme de barrières ni de
stagnation. En affaires étrangères, Washington est dévoué à
Israël, mais cela n’a pas empêché Bush père de braver la
tradition et d’obliger Itzhak Shamir à s’asseoir avec les
Palestiniens à Madrid.
Aux Etats-Unis, le rôle de l’individu est primordial, mais
non pas dans le même sens qu’au Proche-Orient, genre Saddam
Hussein qui donnant l’ordre d’envahir le Koweït, tout le
monde dit oui. Le président américain n’est pas non
plus un conducteur de train qui roule sur des rails
installés d’avance. C’est plutôt un capitaine de navire, qui
cherche un consensus intérieur sur le chemin à suivre et la
vitesse avec laquelle il va naviguer.
— Pourtant, il a opté pour une équipe dite de guerre ...
— Il n’a choisi ni Rumsfeld ni
Cheney,
Obama a nommé des personnes très pragmatiques. Et le
pragmatisme ici veut dire que ces personnes ne travaillent
pas en fonction de leurs références idéologiques, mais
adopte la méthode « Run
and See
» (diriger et voir). Hillary Clinton est un bon exemple.
Elle a voté pour la guerre contre l’Iraq, mais a reculé et
s’est excusée publiquement plus tard quand elle s’est
rendu compte que Bush avait tort.
— Quel message entend-il alors envoyer en formant cette
équipe ?
— C’est qu’il veut le changement, mais qu’il ne sera pas
facile et donc sera graduel. Car Obama ne tient pas toutes
les ficelles du jeu en main. C’est le mieux qu’il pourra
faire dans des conditions pareilles. L’héritage échu à Obama
est compliqué. Il faut savoir que les Etats-Unis ont perdu 2
millions de postes en 5 mois et on n’a pas encore touché le
fond.
— Avec une équipe pareille, croyez-vous qu’un règlement du
conflit israélo-palestinien serait à l’horizon ?
— Obama a un agenda assez ambitieux sur le Proche-Orient, et
en particulier le conflit israélo-arabe ; il en a fait une
de ses priorités. Mais je crois que le problème de ce
conflit n’est pas à la Maison Blanche en ce moment, il est
plutôt au Proche-Orient. Toute solution diplomatique exige
la présence de parties prêtes sur le terrain. Or, sur le
terrain nous sommes à la veille de deux scrutins en Israël
et en Palestine, et il semble que les radicaux des deux
côtés vont l’emporter. Ce qui rend la tâche difficile devant
l’Administration Obama. Les démocrates sont engagés en
faveur de la paix depuis Carter. Même Hillary Clinton, alors
première dame, lorsqu’elle a visité les territoires, elle a
pleuré et promis aux Palestiniens que son mari et elle
feraient le nécessaire pour eux.
Propos recueillis par Samar Al-Gamal