Histoire de la Pensée.
Au 950e anniversaire de la naissance d’Al-Cheikh Al-Ghazali,
il demeure, par sa pensée, un pont entre philosophie,
religions et cultures, qu’elles soient chrétiennes,
islamiques ou judaïques, radicales ou modérées.
Al-Ghazali, philosophe à la mode ?
Dans
un contexte où l’Iran est bien souvent associé à un
extrémisme politique, religieux ou idéologique,
l’anniversaire de la naissance d’Al-Ghazali vient nous
rappeler la richesse intellectuelle et poétique de
l’histoire persane. Né il y a 950 ans dans la province de
Khorasan, Al-Ghazali — aussi appelé Algazel — est
aujourd’hui enseigné dans les départements de philosophie
des universités égyptiennes comme « le philosophe du
compromis », de la modération.
Apprécié tout autant pour ses pensées religieuses que pour
ses pensées philosophiques, Al-Ghazali fut le philosophe de
la défense de la religion, s’attaquant aux traditions de
pensées, venues de la Grèce antique. « Si Avicenne et
Al-Farabi poursuivent très largement l’œuvre d’Aristote, il
n’en va pas de même pour Al-Ghazali, qui a tenté de le
contredire en faisant ressortir les incohérences issues de
la philosophie grecque. Il a voulu tout de suite se détacher
du passé grec pour élaborer une pensée dont la base
primordiale était le Coran », avance Catarina Belo,
professeur de philosophie islamique à l’Université
américaine du Caire (AUC).
Refusant de s’accorder le titre de « philosophe », Algazel
possède toutefois une place de choix dans le programme des
études philosophiques. Mais si ces jours-ci, avec la montée
du fanatisme, philosophie et religion ne font pas toujours
bon ménage, le problème semble résolu dans la pensée d’Al-Ghazali,
chez qui la philosophie est un lien entre les différentes
religions. « Si certains parents peuvent être inquiets du
fait que la philosophie puisse apporter un éloignement
vis-à-vis de la religion, ce n’est pas le cas avec
Al-Ghazali ». Ajoutant que la cause de cette préférence
trouve sa source dans la pensée d’Al-Ghazali, pour qui « les
préceptes philosophiques ne sont valables que s’ils
n’entrent pas en contradiction avec les préceptes religieux
», satisfaisant ainsi à la fois pratiques religieuses et
préoccupations intellectuelles.
950
ans après sa naissance, ses textes et ses pensées n’ont pas
pris une ride. A l’époque, élément important du débat entre
les pensées grecques et arabes, il est aujourd’hui
incontournable de celui qui oppose les différents mouvements
de pensées islamiques. Ainsi Al-Ghazali appelle-t-il au
djihad lorsqu’il écrit : « On est autorisé à tuer le dépravé
qui résiste ». Et lorsqu’il ajoute : « Quiconque peut
réprimer un acte répréhensible doit le faire par l’action,
la parole, seul ou en groupe », incite-t-il à la répression
par l’action ou bien seulement par la parole ? Ces
citations, coupées de leur contexte original, se retrouvent
dans L’Absolution des oulémas et des moudjahidinnes (éd.
Milleli, 2008), dernier essai d’Aymane Al-Zawahri,
théoricien d’Al-Qaëda. Comprises à travers le texte original
(La Renaissance des sciences religieuses), ces citations
prennent un tout autre sens : ces principes ne peuvent alors
être mis en place qu’à travers un enseignement rigoureux et
complet, destiné à « enjoindre au bien et interdire le mal
», ainsi que le précise le philosophe, désirant ainsi
d’éloigner toute interprétation erronée. Or, Al-Zawahri
possède-t-il cet enseignement ? Possède-t-il ce désir
d’interdire le mal ? Celui qui a lu L’Absolution est en
droit d’en douter.
Malgré son utilisation par certains groupes radicaux,
Al-Ghazali est cependant perçu comme une alternative
puissante face à l’« islam radical » d’Al-Zawahri. Lui qui,
au XIe siècle, concilia soufisme et sunnisme dans sa vie,
comme dans sa pensée, pourra-t-il aujourd’hui concilier les
différents mouvements de l’islam et trouver un terrain
d’entente ?
Rejetant l’idée que le monde puisse être éternel, Al-Ghazali
fut rapidement traduit en hébreu et en latin, influençant
fortement penseurs juifs et chrétiens. Véritable pont entre
les religions, son apprentissage est aujourd’hui proposé
dans un grand nombre d’universités occidentales, demeurant
un passage obligé des étudiants de philosophie islamique, et
ce, en Europe comme aux Etats-Unis. « Dans ces pays, après
le 11 septembre, les étudiants ont eu envie de comprendre.
La plupart des universités ont enregistré des demandes
croissantes d’inscription en histoire et politique du monde
arabe, mais aussi en littérature et philosophie islamique »,
et dans ce dernier domaine, Al-Ghazali constitue une
véritable clé à toute tentative de compréhension, précise
Docteur Belo. Al-Ghazali philosophe à la mode ? Capable de
séduire penseurs musulmans, juifs et chrétiens, capable
d’influencer « modérés » et « radicaux », d’allier religion
et philosophie, sunnisme et soufisme, tour à tour ermite et
professeur respecté, Al-Ghazali ne cesse de fasciner et
d’intriguer un nombre sans cesse croissant d’étudiants,
d’intellectuels et de professeurs. Par cette capacité à
traverser les siècles, Al-Ghazali demeure peut-être plus un
penseur indémodable qu’un philosophe à la mode.
Alban
De Menonville