Économies d’eau.
Pour lutter contre le gaspillage dans l’agriculture, un
agronome égyptien propose une idée originale consistant à
planter des palmiers au bord des canaux d’irrigation. Mais
elle reste encore inappliquée malgré l’approbation de
diverses instances gouvernementales.
Le projet voudrait sortir du tiroir
Gomaa Toughan est ingénieur agronome au ministère des
Ressources hydrauliques et de l’Irrigation dans le
gouvernorat de Guiza. Vêtu de sa djellaba, ni célèbre ni
vraiment connu, il a plutôt l’air d’un cultivateur. Il
fourmille pourtant d’idées et estime pouvoir changer le sort
de l’Egypte dans plusieurs domaines environnementaux. Cela
fait plusieurs années qu’il est préoccupé par ces questions,
en particulier celles relatives à la pénurie d’eau.
« Il faut savoir, et on l’entend depuis longtemps, que les
prochaines guerres mondiales se déclencheront à cause du
manque d’eau », indique Toughan.
La sonnette d’alarme a en fait déjà été tirée plusieurs fois
par les scientifiques et les experts internationaux. Selon
le dernier rapport du GIEC (Groupe Intergouvernemental pour
l’Evolution du Climat), les différents scénarios concernant
le bassin du Nil affirment que les pluies dans cette région
pourraient augmenter de 20 % ou diminuer de 70 % dans les
années à venir à cause du changement climatique. « Les deux
possibilités seront difficiles pour l’Egypte », commente le
Dr Abdel-Fattah Al-Qassas, expert international en
environnement. Selon lui, si les pluies augmentent de 20 %,
l’Egypte n’aura pas de quoi les récupérer. Et si elles
diminuent de 70 %, ce sera le désastre de la soif et la
sécheresse. En effet, l’irrigation des terres agricoles
consomme de 80 à 85 % du quota de l’Egypte en eaux du Nil,
avec un réseau de canaux d’irrigation et de drainage
atteignant quelque 55 000 kilomètres de longueur pour servir
une surface cultivée de 8 millions de feddans (1 feddan =
0,42 ha), selon les chiffres du ministère égyptien des
Ressources hydrauliques et de l’Irrigation. Ce dernier tente
de régler le problème, mais se contente de solutions
traditionnelles et peu efficaces.
Produire de l’éthanol
Alors Gomaa Toughan propose de planter 20 millions de
palmiers dattiers sur les bords des canaux d’irrigation et
de drainage agricole, pour freiner les besoins en eau dans
la culture. Il travaille sur son projet depuis 1998 et
malgré son salaire modeste de 400 L.E., il a déjà déboursé
des milliers de L.E. pour ses recherches. « L’idée est très
simple : elle consiste à planter des palmiers sur les bords
des canaux d’irrigation dont la longueur cumulée est de 55
000 km, c’est-à-dire à peu près 300 000 feddans. Puisque sur
un feddan peuvent être plantés 66 palmiers, alors ces
terrains peuvent contenir 1,98 million de palmiers ! »,
explique Toughan. Selon lui, ce projet a plusieurs
avantages. Le premier d’entre eux est de limiter
l’élargissement des canaux, source de gaspillage en eau. De
plus, « les palmiers, comme toutes autres sortes d’arbres,
sont des industries naturelles qui absorbent le dioxyde de
carbone et produisent de l’oxygène, c’est donc une solution
pour éliminer les gaz à effet de serre et aider à éviter les
effets néfastes des changements climatiques », explique
Toughan. « Ce n’est pas tout. Si on plante 20 millions de
dattiers qui peuvent chacun produire 200 kg par an, alors
nous aurons une récolte de 2 milliards de kg de dattes très
sucrées chaque année que nous pouvons utiliser pour produire
du biocarburant, de l’éthanol, que l’on pourra par exemple
échanger avec les Etats-Unis contre du blé », suggère
Toughan.
Stabilisation des rives
Mais l’avantage le plus intéressant du projet de Toughan
reste celui de l’économie d’eau. Il assure que son projet
permettra d’économiser quelque 10 milliards de m3 d’eau par
an. Une quantité énorme si l’on sait que la part annuelle de
l’Egypte en eau du Nil est de 55,5 milliards de m3, selon
l’accord du Soudan de 1959. Cette quantité d’eau proviendra
essentiellement de la stabilisation des rives et des canaux
qui sont approfondis par les travaux de maintenance. Quant
au financement du projet, il affirme que la difficulté n’est
pas énorme. Le prix d’un petit palmier qui deviendra
fruitier en 5 ans varie entre 20 et 30 L.E., tandis que
celui d’un grand palmier capable de produire des dattes en
un an est de 200 L.E.
Le projet est donc séduisant sur plusieurs points, mais
Toughan est encore dans l’impossibilité de l’appliquer. « Le
projet a été approuvé deux fois par le ministère des
Ressources hydrauliques et de l’Irrigation. La première fois
en 2005 par le Haut comité des politiques au sein du
ministère et la deuxième fois en 2007 par le Comité national
de l’irrigation et du drainage, toujours au sein du
ministère », explique-t-il. Malgré cela, le projet reste
inexécuté. « Je suis devenu un quémandeur dans les
différents bureaux du ministère, comme si je voulais quelque
chose pour mon bien et non pour mon pays. Je suis attaché à
ce projet parce que je n’ai reçu que des avis favorables. Si
une seule personne m’avait dit que ce projet n’était pas
viable, j’aurais laissé tomber. Alors où est le problème ?
», s’interroge Toughan.
Les responsables tirent-ils profit de la situation actuelle
? Le ministère des Ressources hydrauliques est-il incapable
de trouver le financement d’un projet qui lui fera
économiser 10 milliards de m3 d’eau par an et des dizaines
de voyages dans les pays du bassin du Nil pour accroître le
quota égyptien en eau ? Il est temps de réaliser que des
solutions efficaces aux problèmes environnementaux sont
proposées en Egypte.
Dalia
Abdel-Salam