Sinaï.
La tension entre bédouins et policiers est montée d’un cran
après des affrontements qui se sont soldés par quatre morts
et une prise d’otages de policiers, la semaine dernière.
Reportage.
Dans la spirale de la violence
Village
de Nagaa Chabana, au sud de la ville de Rafah. Des
habitations modestes de bédouins, parsemées de quelques
maisons plus « luxueuses ». Seuls quelques enfants jouent
dans les rues désertes du village. Conscients par intuition
de la raison de l’arrivée des étrangers, ils pointent du
doigt l’endroit où les hommes du village sont rassemblés en
sit-in. En l’espace de quelques jours, la situation s’est
sérieusement dégradée à la suite de la mort d’un villageois
sous les balles des policiers. Les seuls véhicules qui
circulent n’ont pas de plaques minéralogiques, ils
transportent des bédouins. Un septuagénaire, appelé Salmane
Abou-Sweilam, a accepté de parler. « A la tombée de la nuit
du lundi 10 novembre, deux des habitants du village étaient
dans leur camion dans une région appelée Bagdag au centre du
Sinaï, lorsqu’ils furent surpris par un poste sécuritaire
mobile. En essayant de l’éviter, une rafale de balles s’est
abattue sur leur voiture qui a pris feu. L’un d’eux, Saïd
Ouda Solimane, a succombé à ses blessures, alors que l’autre
appelé Solimane Mohamad Eid fut grièvement blessé », raconte
Abou-Sweilam. Selon lui, il ne s’agit pas d’un accident, «
ces deux personnes étaient visées ». Un autre témoin appelé
Saleh Sweilam dit avoir transporté le cadavre de Solimane.
Il affirme de son côté que la victime a été touchée d’une
balle mortelle dans le dos, alors que son compagnon a été
blessé à la mâchoire et se trouve actuellement à l’hôpital
Al-Arich.
D’après l’histoire que se racontent les habitants, des
hommes mécontents appartenant à la même tribu de la victime
(Al-Tarabine) se sont dirigés vers la frontière à bord d’une
quarantaine de véhicules pour y organiser un sit-in. Au
moment où ils commençaient à brûler des pneus de voitures,
une patrouille sécuritaire a pointé à l’horizon. Ils ont
tendu une embûche et mis à feu le véhicule policier. Déjà
aux premières heures de la journée, des centaines de
bédouins sont venus manifester leur solidarité avec les
Tarabine. Ils ont assiégé le commissariat de police de
Rafah, où étaient détenus le colonel Mohamad Chaarawi, le
dirigeant de la sécurité centrale au Sinaï, avec 25
policiers. Parallèlement, d’autres bédouins ont organisé une
marche de protestation tout au long de la ligne frontalière
et ont mis à feu un nombre de commissariats de police sur
leur chemin.
A l’approche du commissariat de Wadi Al-Azarek, ils ont été
pris de court par les policiers, qui sont passés à
l’offensive. Un officier de police a « délibérément » tué
trois bédouins « sans échange de tirs » et ordonné à ses
soldats de les enterrer sous les amas d’ordures à proximité
du commissariat, racontent les parents des victimes.
La colère a atteint son paroxysme et les bédouins ont
kidnappé un officier et une cinquantaine de soldats près de
la borne frontalière numéro 19. Bien que leur libération «
immédiate » ait été annoncée, une source officielle a
affirmé qu’ils avaient été détenus pendant plus de 24h et
que beaucoup d’entre eux avaient perdu leurs armes. Les
bédouins, de leur côté, disent que 12 de leurs compatriotes
sont portés disparus alors que 37 autres sont en détention.
Dans cet imbroglio, un officier et 4 autres soldats furent
atteints de balles.
Le dispositif sécuritaire a ensuite été sensiblement
renforcé dans toute la zone. Entre-temps, de hauts
responsables sécuritaires et politiques ont rendu visite aux
bédouins hospitalisés suite aux affrontements et présenté
leurs condoléances aux familles des victimes. Les officiels
leur ont promis de mener une enquête juste et de sanctionner
toute personne fautive quelle qu’elle soit. Parallèlement,
le quartier général de la police du Nord-Sinaï a été témoin
d’une rencontre élargie entre des responsables du
gouvernorat et les « sages » des grandes familles et tribus,
qui se sont dirigés avec les députés du Conseil consultatif
et de l’Assemblée du peuple vers les frontières et ont
réussi à calmer la situation. Nachaat Al-Qassass, député à
l’Assemblée du peuple, a déclaré que les négociations
effectuées avec les familles des victimes avaient aidé à
calmer la situation.
Atteinte à l’honneur
Deux incidents identiques en avril 2007 et en octobre 2007,
quand des bédouins s’étaient fait tirer dessus en traversant
des barrages sécuritaires, ont aussi mené à des
soulèvements. Mais la méfiance et la tension entre les
bédouins et les policiers remontent surtout à la série
d’attentats meurtriers qui ont visé les stations balnéaires
de Taba, de Dahab et de Charm Al-Cheikh entre 2004 et 2006,
et les arrestations arbitraires qui s’en sont suivies. Selon
Atef Haggag, président du Conseil municipal de Rafah, les
forces de sécurité ont commencé à traiter la question de
manière un peu improvisée en arrêtant beaucoup d’innocents
dont des femmes. « C’est une atteinte à l’honneur des
bédouins qui ont commencé à considérer les forces de
sécurité comme leurs ennemis », dit Haggag.
Un responsable de la sécurité assure, pour sa part, que les
relations avec les bédouins ne sont pas chose facile car
ceux-ci ne reconnaissent pas l’autorité de la loi et
préfèrent leur propre loi coutumière. Malgré les tentatives
des services de sécurité de jouer le jeu des bédouins en
s’en remettant à la loi coutumière, notamment dans les
litiges et frictions d’importance mineure, ils refusent que
ce compromis soit exploité outre mesure par certains
bédouins. « Tout comportement caractérisé par la violence
est refusé, il y a une loi qui doit être respectée mais les
bédouins ont du mal à la respecter ».
Hossam Chahine, député de la ville de Arich à l’Assemblée du
peuple, estime que le gouvernement a tort de mettre tous les
bédouins dans le même panier. « Ils ne sont pas tous
terroristes et le fait de recourir à la généralisation leur
nuit beaucoup. Les bédouins du Sud-Sinaï s’inquiètent
beaucoup parce que les chaînes satellites, l’opinion
publique et certains responsables ont tendance à leur
attribuer des accusations avant même que les investigations
ne commencent ».
Beaucoup s’accordent à reconnaître le malaise des bédouins
qui se sentent exclus du processus de développement qui se
poursuit dans la péninsule. Le gouverneur du Nord-Sinaï,
Mohamad Choucha, ne le nie pas. « Les bédouins ressentent
qu’ils ne figurent pas sur la carte de l’Egypte. C’est pour
cela que je suis en train d’élaborer une stratégie visant à
mettre définitivement fin à leurs problèmes », assure le
gouverneur. Cette stratégie inclut la construction
d’habitations et le développement des services médicaux et
de l’enseignement, ainsi que la création d’offres d’emplois
dans les domaines touristiques et industriels,
explique-t-il.
Ahmad
Sélim