Al-Ahram Hebdo, Livres | Salim Bachi, Doutes ultimes
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 Semaine du 12 au 19 Septembre 2007, numéro 679

 

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Roman . Désormais disponible en arabe, Tuez-les tous, de l’Algérien Salim Bachi, imagine les 24 dernières heures de l’un des kamikazes du 11 septembre 2001. Un roman à la fois passionné et nuancé. 

Doutes ultimes 

« Car celui qui a tué un homme qui lui-même n’a pas tué, ou qui n’a pas commis de violence sur la terre, est considéré comme s’il avait tué tous les hommes ». Ce verset résume le dilemme auquel se retrouve confronté le personnage principal de Tuez-les tous, Seif Al-Islam, qui s’apprête à lancer « le Boeing 767 de la compagnie American Airlines sur les deux tours les plus orgueilleuses de l’humanité ». Un dilemme qui, au fond, n’en est pas un, car sa décision est déjà prise, née d’une haine et d’une rancœur ; la haine de l’injustice, la haine de New York, « la ville des iniquités », du World Trade Center, « symbole de l’orgueil démesuré de l’Amérique ». La rancœur d’un échec personnel, celui de l’intégration dans l’univers de « l’homme blanc », conté à travers l’échec d’un mariage avec une femme blanche, qui a marqué le début de la marginalisation dans la société européenne.

Un dilemme qui n’en est pas un, parce qu’il n’y a plus de choix ; car au-delà de la décision, il y a la force d’un destin qui semble conduire Seif Al-Islam tout droit vers les tours new-yorkaises. Au cours de ces dernières vingt-quatre heures, passées à errer dans Portland, petite ville américaine glauque et sans personnalité, il réchappe miraculeusement à deux incidents (un racket et une arrestation par des flics) qui auraient pu lui coûter la vie, ou tout simplement lui faire rater son avion. Incidents qui, au-delà de leur brutalité immédiate, faisaient miroiter à Seif Al-Islam un espoir — celui d’échapper à son destin ; mais à chaque fois qu’il s’en sort, se confirme chez lui l’assurance que le maktoub est inéluctable.

En plus de cette destinée tragique, ce héros est né à Cyrtha, ville imaginaire, presque maudite, omniprésente dans l’œuvre de Bachi, surtout dans Le Chien d’Ulysse (2001) et Douze contes de minuit (2007). Il ne restait donc plus qu’un seul élément pour donner à Seif Al-Islam la carrure d’un personnage de Shakespeare — dont les vers lui reviennent dans ses rêves éveillés aussi souvent que les versets du Coran : le doute. Rien de plus éloquent que le style haché, la ponctuation incisive, parfois sans majuscules, de Bachi pour exprimer cette interrogation douloureuse qui déchire le héros : comment justifier l’assassinat prémédité de milliers d’innocents ? Seif Al-Islam en est convaincu, rien ne peut le justifier ; il ne trouve dans les multiples versets et références à l’histoire du prophète imbriqués dans son monologue halluciné que des confirmations au caractère condamnable de l’opération ; il n’éprouve même pas de sentiment d’allégeance à « l’organisation » secrète qui l’a recruté, dirigée par un Saoudien, le « démon », que Seif Al-Islam classe parmi les « hypocrites » — allusion transparente à Al-Qaëda et Bin Laden. Il est même sûr — sans oser le dire à son jeune coéquipier — que le prophète « lui cracherait à la figure plutôt que de s’asseoir à ses côtés ».

Mais alors, la haine le reprend, la « haine des Juifs », car « la bande de Gaza avait été envahie par les chars juifs », la haine des femmes — de sa mère, de son ex-femme européenne qui en avortant a tué son fils, malgré un élan passager pour une jeune femme noire rencontrée dans la boîte de nuit où il passe ses dernières heures, extatique et abruti, sous l’effet de l’alcool et des euphorisants. Espace dénigré par excellence, espace de la décadence, cette boîte de nuit, avec son univers sensoriel agressif, ses spots éblouissants, ses sons stridents, constitue dans le texte un cadre idéal au monologue haché de Seif Al-Islam, ses flashs de mémoire décousus, ses arguments ressassés en boucle. Cet espace, symbolisant de son point de vue la perte de valeurs du monde occidental, est paradoxalement approprié à son délire, à son désir de perdition, voire de suicide — péché extrême.

C’est l’une des multiples contradictions de ce personnage, que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher d’un autre personnage-kamikaze, porté à l’écran par Hani Abou-Assaad dans Paradise Now, en ce qu’ils semblent casser tous deux les stéréotypes du militant islamiste qui a fait le choix de mourir avec ses cibles. Le héros de Bachi se différencie par la force passionnelle de sa haine. Une haine d’impuissant dont la seule consolation est dans un rêve de puissance absolue. Rêve à qui Bachi a su donner, en s’inspirant d’un événement théâtral, des accents de tragédie antique. Dont on imaginerait sans peine le héros se produire sur les planches.

Dina Heshmat  

Salim Bachi, Tuez-les tous, Gallimard, 2006.

Pour la traduction en arabe: Oqtolouhom djamiaan, Barzakh, 2007. 

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