Professeur de sciences politiques à l’Université américaine
du Caire, ancienne députée à l’Assemblée du peuple,
Mona Makram-Ebeid
se prononce sur le projet de l’Union méditerranéenne
lancé par le président français Nicolas Sarkozy.
« La création de la zone de libre-échange devrait être une
priorité »
Al-Ahram
Hebdo : Quelles sont, d’après vous, les raisons derrière
cette initiative ?
Mona Makram-Ebeid : Comme nous le savons, le président
français, Nicolas Sarkozy, est tout à fait contre l’entrée
de la Turquie dans l’Union européenne, alors, il présente à
travers ce projet une alternative honorable à la Turquie. Un
autre point est ce que Monsieur Sarkozy avait en tête,
c’était de devenir, par le biais de cette Union, un
médiateur plus engagé dans le processus de paix
israélo-palestinien, étant donné les bonnes relations qu’il
entretient avec les Etats-Unis et Israël. Aussi aujourd’hui,
face à la montée de l’Allemagne, le président français
veut-il remettre en avant la France, qui sera la force
motrice de ce projet. La France a toujours eu un rôle
prépondérant sur l’échiquier international, mais qui s’est
beaucoup détérioré ces dernières années. D’ailleurs, on sent
dans le fascicule qu’il a publié durant sa campagne
électorale ce besoin de faire reprendre à la France du XXIe
siècle la place qui lui revient au sein de l’Europe.
— Comment concilier cette initiative avec la réputation que
s’est faite M. Sarkozy auprès des immigrés, notamment
arabes. Ces derniers sont-ils appelés malgré tout à répondre
à l’appel ?
— En fait, en lançant ce projet, le président français a
voulu apaiser les incertitudes des immigrés. Cela va de pair
avec les autres décisions qu’il a prises en ce sens. M.
Sarkozy a été d’une acuité politique extrêmement
intéressante en nommant des ministres d’origine maghrébine
ou africaine comme Rachida Dati, Fadela Amera ... Dans le
même ordre d’idées, à travers l’Union méditerranéenne,
Sarkozy veut rassurer les voisins maghrébins de la France,
qui sont géographiquement les plus proches de l’Europe et
qui revendiquent des rapports privilégiés.
Il y a aussi l’Afrique, je pense aussi que pour l’Afrique,
son objectif est de faire en sorte que le partenariat prenne
la place des relations paternalistes qui avaient toujours
marqué l’attitude de l’Europe envers l’Afrique. Maintenant,
c’est aux interlocuteurs du Sud d’apporter leur soutien au
président français pour tirer profit de son projet.
— Est-ce une façon pour lui de dire aux voisins du Sud que
nous pouvons coopérer à condition que vous restiez chez vous
?
— Evidemment, la question de l’immigration est une question
majeure ainsi que le projet de la Banque méditerranéenne de
développement. Je pense qu’en voulant accélérer la mise en
place de celle-ci, Monsieur Sarkozy est en train de leur
dire justement nous voulons aujourd’hui pouvoir vous
octroyer de l’aide dans vos propres pays et … être plus
sélectifs dans le choix des immigrants.
— Comment évaluez-vous ce projet qui, visiblement, obéit à
des équations politiques françaises ?
— Je considère ce projet avec beaucoup d’enthousiasme. La
coopération dans le contexte de cette Union méditerranéenne
est un projet porteur d’une vision politique à long terme,
faisant primer la solidarité sur le repli, la méfiance ou la
confrontation. D’une part, dans un contexte international
marqué par l’incertitude et la crispation identitaire, il
est essentiel de trouver une plateforme commune entre les
deux rives de la Méditerranée. Car le destin de l’Europe est
inséparable de celui de ses voisins du Sud. D’autre part, je
trouve que le processus de Barcelone est pratiquement mort,
depuis plus de six ans qu’il n’y a eu aucun progrès
concernant le processus de paix israélo-palestinien, au
contraire la situation s’est détériorée et aujourd’hui, on a
besoin d’un renouveau. Je trouve que le projet de M. Sarkozy
vient à point ...
— Ce projet a été sûrement abordé avec le président Moubarak
lors de sa récente visite en France. Comment voyez-vous la
place de l’Egypte dans cette Union ?
— La France et l’Egypte peuvent jouer un énorme rôle pour
être la force motrice de cette Union. Je pense que l’Egypte
devrait s’atteler à cette tâche car c’est à partir de
l’Egypte, de ses intellectuels et de ses penseurs qu’était
parti le premier souffle méditerranéen à travers Taha
Hussein, Loutfi Al-Sayed, Louis Awad, entre autres.
— Concrètement, comment faire de cette Union un forum au
service des intérêts des pays appelés à s’y joindre ?
— A mon avis, il faudrait commencer par négocier la création
d’institutions chargées de relancer la coopération
économique, sociale et culturelle entre les pays des deux
rives de la Méditerranée. La création de la zone de
libre-échange à l’horizon de 2010 devrait être une priorité
afin de garantir un environnement stable aux échanges et à
l’investissement. A ce titre, l’Europe méditerranéenne
devrait faire preuve de compromis dans certains domaines,
comme l’agriculture. Il faudrait aussi qu’elle consacre à la
réussite de ce projet autant d’énergie que celle déployée
lors de l’élargissement de l’Union européenne à l’Est.
— Et de l’autre rive ?
— Je dirai que même si ce projet a un plafond plus bas que
celui de l’Union européenne, il peut devenir un grand pas en
avant si les acteurs arabes parviennent à s’accorder sur une
appréciation commune de son rôle. Par exemple, Sarkozy est
très proche des hommes d’affaires français et il voudrait
promouvoir les intérêts économiques et financiers de la
France dans le monde arabe. Les hommes d’affaires arabes
devraient capitaliser sur ce point. Prendre des initiatives
dans ce domaine encouragerait la France à plus d’engagement
au niveau politique, en particulier en ce qui concerne le
conflit israélo-palestinien.
Propos recueillis par Chérif Albert