Aides militaires .
Washington tente de renforcer ses liens privilégiés avec
ses alliés arabes, grâce à des assistances dont l’objectif
réel est de contrer l’Iran. Seul bénéficiaire : l’Etat
hébreu.
Des assistances en trompe-l’œil
L’annonce
est spectaculaire. 63 milliards de dollars, plus une autre
somme pas encore précisée. 30 milliards pour Israël, 13 pour
l’Egypte, 20 pour l’Arabie saoudite. Les autres pays du
Golfe devraient aussi bénéficier de ce projet « de sécurité
et de stabilité » pour le Proche-Orient. Une annonce qui a
précédé l’annonce de la visite de la secrétaire d’Etat
américaine Condoleezza Rice dans la région. Ainsi, Mlle
Condy a-t-elle été accompagnée du secrétaire à la Défense
Robert Gates et avait dans ses bagages en plus des vues
américaines sur un règlement dans la région, une sorte de
prime, et elle l’a bien signifiée dans ces termes : « J’ai
le plaisir d’annoncer avant mon départ au Proche-Orient avec
le secrétaire Robert Gates un engagement renouvelé en faveur
de la sécurité de nos partenaires stratégiques dans la
région ».
Un cadeau ? De toute façon, ce serait un prix pour soutenir
« les partisans de la modération (...) et contrer les
influences négatives d’Al- Qaëda, du Hezbollah, de la Syrie
et de l’Iran ». Toute une liste d’ennemis très hétéroclites
et qui met à pied d’égalité des Etats, une organisation
terroriste et un parti qui a un aura particulier et
officiellement reconnu. Bizarrement, cette dite assistance
militaire intervient immédiatement après des critiques
lancées par l’ambassadeur américain auprès de l’Onu, Zalmay
Khalilzad, contre les Saoudiens. Il les avait accusés de ne
pas agir de manière constructive en Iraq. Ces 20 milliards à
destination de l’Arabie saoudite devraient soulever la
colère des Démocrates du Congrès et pour les apaiser, il
fallait inclure Israël dans le marché. Cela dit, le calcul
est autre. Pour revenir aux déclarations détaillées de
l’Administration américaine, il s’agit de vendre des armes à
l’Arabie saoudite et aux pays du Golfe, et non leur accorder
une assistance militaire comme l’avait dit Rice. Ces 20
milliards, Riyad les payerait aux Américains contre des
armes qui ne « devraient pas être utilisées dans le conflit
arabo-israélien ». Une pure transaction militaire, mais qui
a l’avantage pour l’Arabie saoudite de la libérer de
certaines restrictions. Le Royaume wahhabite, étant jugé
pratiquant des violations contre les droits de l’homme, ne
devrait pas obtenir certaines armes.
L’Egypte,
elle, obtiendra des armes purement défensives comme cela a
toujours été le cas avec l’aide américaine classique, dont
les règles ont été fixées lors de la signature du traité de
paix avec Israël. Les Américains annoncent 13 milliards de
dollars sur 10 ans. Soit 1,3 milliard de dollars par année,
c’est-à-dire aucun changement. L’Egypte profite déjà d’une
assistance militaire américaine de 1,3 milliard de dollars.
La seule nouveauté qu’elle sera garantie pendant dix ans et
que les Américains cesseront de brandir la menace de la
réduire ou de la supprimer pour leur désaccord avec la
politique égyptienne, surtout en matière de libertés. Déjà
le Congrès menace de couper 200 millions de dollars de cette
assistance pour des questions de droit de l’homme, et parce
que Le Caire ne ferait pas beaucoup d’efforts pour contrer
le trafic d’armes vers la bande de Gaza. Les plus fervents
défenseurs de l’Egypte rétorquent que ce pays rembourse
cette dette aux Américains en facilitant le survol de son
espace aérien et le passage des bâtiments militaires
américains par le Canal. Sans ceci et sans trop s’attarder
sur la façon dont cette aide est dépensée, il suffit de dire
que 80 % reviennent dans les poches américaines.
Israël, lui, encaisse les plus grands gains dans cette
affaire (Lire page 5). Un contrat d’assistance militaire de
30 milliards de dollars garanti pour dix ans « pour garantir
la capacité d’Israël à se défendre ». Comme si l’arsenal
israélien ne comportait pas suffisamment d’armement
offensif, y compris des armes prohibées par les conventions
internationales, comme les bombes à sous-munitions,
utilisées d’ailleurs contre les Libanais et les
Palestiniens. Faut-il d’ailleurs des armes nucléaires (dont
l’existence est avérée) à l’Etat hébreu ? Qadri Saïd, expert
militaire égyptien, souligne que « depuis la fin de la
deuxième guerre mondiale jusqu’à présent, les Etats-Unis ont
eu pour doctrine que leurs intérêts dans la région revêtent
deux aspects principaux : la sécurité d’Israël et celle du
Golfe. Et à chaque étape les mécanismes changent ».
C’était avec la fin de la colonisation britannique que cette
stratégie américaine vis-à-vis du Golfe a commencé à se
profiler. Le pacte de Bagdad, en 1955, est le point de
départ. Washington comptera plus tard sur le shah d’Iran,
Reza Pahlavi, sur fond de tableau riche en gisements
pétroliers. Avec la révolution khomeiniste de 1979, les
Américains chargeront l’Iraq de cette mission. Mais lorsque
Saddam commence à faire fausse route, pour eux, et menacer
la sécurité des pays du Golfe qui flottent sur un océan de
pétrole, l’Oncle Sam ne tarde pas à intervenir, et la
première conséquence était l’installation de bases
américaines dans la région. Le Centcom ou le commandement
central, dont le quartier général se trouve en Floride, a
des bases au Koweït, à Bahreïn, au Qatar, aux Emirats arabes
unis, à Oman, au Pakistan, à Djibouti et en Asie centrale.
Celle de l’Arabie saoudite a été démantelée en 2003, au
lendemain de l’invasion américaine de l’Iraq. Ces bases
accueillaient quelque 40 000 militaires américains. En aucun
cas suffisants, semble-t-il, pour George Bush. Il a préféré
que les Américains soient bel et bien présents, en
Afghanistan puis en Iraq. « C’est le nouveau mécanisme qui a
été accompagné d’une série d’accords militaires bilatéraux
avec les pays du Golfe, en vertu desquels ces Etats seront
plus actifs militairement », précise Saïd, qui dirige la
branche militaire au Centre d’Etudes Politiques et
Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. La donne a encore changé.
Les militaires américains n’arrivent pas à s’en sortir en
Afghanistan et sont engouffrés en Iraq. « De plus, à leurs
yeux, certaines parties sont devenues plus agressives, comme
l’Iran, ou prennent des initiatives, comme le Hezbollah ».
Et les Etats-Unis recommencent. Ils lancent une nouvelle
course à l’armement semblable à celle de l’époque soviétique
(Lire article sur Nasser). On annonçait ce montant de
contrats militaires, 63 milliards, ils veulent à la fois
dissuader l’Iran et le pousser à dépenser davantage d’argent
dans le militaire. Téhéran serait ainsi plus vulnérable,
pensent-ils. Paradoxalement, ce sont les Arabes qui
encaissent le coup. Une attaque militaire américaine partira
des bases dans leurs pays. L’Iran ne tardera pas à riposter.
Le conflit se transformerait en guerre irano-arabe. Les
Arabes sont-ils prêts à en payer le prix ? N’est-il pas la
contrepartie de ces contrats d’armement ? Le Qatar et les
Emirats arabes unis ont déjà fait savoir qu’ils ne
prendraient pas part à une attaque contre Téhéran. On reste
au niveau des déclarations. Quant à l’Egypte, « elle doit
d’abord s’assurer que les Iraniens représentent une menace
effective pour les pays du Golfe et par la suite pour elle,
avant d’agir réellement », comme c’était le cas au moment de
l’invasion iraqienne du Koweït. Le Caire n’a pas tardé à
dépêcher 36 000 de ses militaires. De loin, c’était le
deuxième contingent derrière l’américain.
La donne n’est pas du tout la même cependant, puisque s’il y
a un conflit avec l’Iran, il englobera aussi la Syrie et le
Hezbollah. Chose qui reste inadmissible donc et qui
équivaudrait à une trahison puisqu’on serait du côté
israélien. Pour le moment, on est dans la phase du flou
artistique.
Samar
Al-Gamal