Miss Arab World .
Elégance et pudeur, c’est la devise de ce concours organisé
pour la deuxième fois en Egypte pour élire la « jeune fille
idéale », avec cette fois-ci une nouveauté : les voilées
peuvent y participer. De quoi créer une ambiance très
spéciale.
Je suis belle mais prude
Une
agitation inhabituelle règne à l’hôtel Cataract, près des
Pyramides de Guiza. Dans la discothèque, des jeunes filles
vont et viennent, chacune avec son dialecte arabe, son style
et ses couleurs de vêtements. Voilées ou non, c’est un
festival de mode, de beauté et surtout de personnalité.
Toutes attendent le chorégraphe qui réglera leurs
déplacements sur scène. Ce n’est qu’une des étapes du
concours de Miss Arab World 2007. Un concours organisé pour
la deuxième fois en Egypte et qui, pour la première fois,
accepte la participation des voilées. Dix-sept jeunes filles
des quatre coins du monde arabe concurrencent pour ce prix.
Dès le début du cours, une discussion très houleuse éclate.
Wafaa, diplômée de la faculté de droit bahreïnie, et qui a
remporté le prix du concours, critique la démarche que le
chorégraphe leur a apprise la veille et refuse de se prêter
de nouveau à l’exercice. Un refus suivi d’une vague de
protestations de plusieurs filles voilées et non voilées qui
n’acceptent pas de mettre leurs corps en avant. « Je ne suis
pas venue ici pour aguicher, on m’a dit que c’était plutôt
un concours culturel de la jeune fille arabe parfaite », dit
Ghizlane, Marocaine qui se soucie de son image auprès des
téléspectateurs de la chaîne Iqraa où elle est
présentatrice. Elle pense que la beauté physique est le
dernier critère de la fille parfaite. En fait, tout dépend
de ce que l’on entend par fille parfaite. Abir, Miss Liban
2006, voit les choses autrement. « Tu te trompes, la
définition d’une fille parfaite comprend aussi, a priori, la
beauté physique ».
Un désaccord qui s’est développé jusqu’à mettre fin au
cours, puisque le chorégraphe a claqué la porte. Une
décision qui a été approuvée par Hanane Nasr, la responsable
du concours, qui l’a aussitôt remplacé, jugeant qu’il
n’avait pas bien compris le concept du concours dont les
mots-clefs sont élégance et pudeur. Deux mots que chacune
des filles, en fonction de sa culture et de son éducation,
incarne à sa manière. Des divergences évidentes vu la
diversité des traditions, des cultures et des façons de
pensée de tout un monde arabe.
Ghada, 17 ans, Saoudienne, vêtue d’un pantacourt et d’un
débardeur, explique qu’elle a participé à ce concours après
avoir eu la confirmation qu’il ne s’agissait pas de se
dénuder. « Je ne vendrai pas mon corps ».
Issue d’une famille conservatrice, elle a dû déployer de
grands efforts pour convaincre son père de la laisser
participer à ce concours. Son argument principal est que la
compétition ne s’articule pas sur la beauté physique, mais
prend en compte la personnalité et l’éducation. « Je voulais
être la première à représenter une fille saoudienne cultivée
et moderne. Je rêve de participer à l’émancipation de la
femme saoudienne qui doit un jour avoir la possibilité de
monter sa propre affaire, de conduire son véhicule, sans
toujours dépendre des hommes », explique Ghada, étudiante en
gestion (business), qui espère présenter un film sur la
cause de la femme saoudienne. Selon elle, la fille idéale
est celle qui est bien éduquée et qui fait preuve d’un
comportement exemplaire. « Et peu importe sa beauté ».
Autre pays, autre culture. Abir, la Libanaise, n’a aucun
problème à faire du modeling. Confiante en elle-même, elle
pense que la fille idéale est belle, élégante et bien
éduquée. Elle trouve même que c’est paradoxal que des
voilées participent à un concours de beauté. « Le voile
consiste à cacher la beauté, tandis que dans un concours de
beauté, il faut l’exhiber », dit-t-elle. Cependant, elle
pense que c’est une occasion pour les voilées de sortir de
chez elles et de communiquer avec d’autres cultures et
d’échanger différentes expériences. Une opportunité qui a
fait que Fatma la Koweïtienne, Wafaa la Bahreïnie, et
Ghizlane la Marocaine, trois voilées, ont participé pour
présenter le visage de leurs pays. Fatma, sociable et très
active, avec des tenues de couleurs vives, jaune et vert
phosphorescents, explique qu’il n’y a pas de contradiction
entre son voile et sa participation à un concours de la
fille arabe parfaite. « La femme voilée peut se lancer dans
tous les domaines. Je voulais présenter la femme
koweïtienne, ses habits traditionnels, tout en préservant
nos traditions et nos coutumes », dit Fatma qui veut
profiter du concours pour faire des actes de bénévolat dans
les pays qui souffrent de la guerre ou de la famine.
Hanane, la responsable, qui essaye toujours d’éclaircir le
concept du concours qu’elle a lancé depuis deux ans et de
rapprocher les points de vue, explique qu’elle a ouvert la
porte aux voilées, car il y a des pays arabes où les filles
ne peuvent pas participer aux événements publics sans voile,
même si elles ne le portent pas dans leur quotidien. «
Sinon, ces filles n’auraient jamais pu s’y inscrire »,
dit-elle, en ajoutant que vu que le concours est dans sa
deuxième année d’expérience, l’idée n’est toujours pas bien
assimilée.
De l’art des contradictions
Or,
le fait que la devise du concours est pudeur et élégance
rend ses coulisses différentes. Abir, habituée à l’ambiance
des concours de beauté, doit faire preuve de réserve. « Je
ne peux pas me mettre en maillot pour nager à la piscine ou
danser librement en discothèque ».
Cependant, il semble que la question n’est pas tant d’être
voilée ou non voilée, mais dépend plutôt d’une culture et
d’une manière de pensée.
Une divergence qui s’est concrétisée lors de l’essayage des
robes de soirée confectionnées par le styliste égyptien
Mohamad Dagher, qui a tenu à concevoir un modèle unique en
forme de sirène long et couvrant, mais près du corps. Des
robes en satin, très en vogue. Seules différences : les
couleurs et les accessoires. Rima, présentatrice libyenne
bien connue, puisqu’elle a gagné le prix de la meilleure
journaliste pour l’année 2006 en Libye, s’est montrée
réservée sur la robe. Même si elle n’est pas voilée, Rima et
sa mère, qui a l’habitude de l’accompagner lors de ses
déplacements à l’étranger, ont jugé le modèle trop moulant
et ne convenant pas à leurs coutumes. « Je suis une
journaliste et pas un modèle de publicité. D’habitude, je ne
porte pas de vêtements moulants ni même des jeans. Je ne
veux pas décevoir mes téléspectateurs qui me respectent pour
ma culture, mais aussi pour ma façon de m’habiller,
conformément à nos traditions », explique Rima qui pense
qu’après plusieurs années d’expérience en tant que femme de
culture, elle n’a plus besoin de s’appuyer sur le côté
esthétique.
De son côté, Khadiga, Miss Tunisie 2007, essaye la robe en
toute simplicité sans y trouver aucun inconvénient, sous le
regard de Aïda Réda, présidente de l’association :
excellence, créativité et qualité, qui s’occupe de former
des Miss au Maghreb. Elle pense qu’une fille parfaite doit
avoir la joie de vivre, l’amour de l’autre et aussi la
beauté. Lier beauté et pudeur est indispensable pour elle. «
Une jeune fille qui se respecte et a confiance en elle est
forcément respectée des autres », dit-elle. Pour trancher
l’affaire, Hanane a demandé de rajouter des boléros ou des
abayas (sorte de longue tunique) pour certaines filles.
La culture pour sauver la mise
Des
compromis et des arrangements qui se font d’un jour à
l’autre de la part de la responsable Hanane pour éclaircir
le concept du concours et pour créer plus d’harmonie entre
les filles. Un éclaircissement nécessaire pour certaines
filles, tiraillées entre beauté et culture. Hanane cherche
justement à réunir les deux. Pour preuve : des cours
d’histoire le matin et des cours de maquillage et de beauté
le soir.
Cette introduction d’activités culturelles dans le programme
a calmé les esprits de beaucoup de filles. Elles ont eu
beaucoup d’échanges avec Bassam Al-Chammaa, professeur
d’histoire de l’Egypte et aussi membre du jury, qui leur a
dispensé des cours sur la beauté et la femme dans l’Egypte
pharaonique. Néfertiti a été citée comme exemple pour ces
filles, puisqu’elle est à la fois symbole de beauté et
d’implication de la vie politique.
Des cours qui ont élargi le champ de discussion entre les
différentes filles aux cultures diverses. Cela leur a permis
de surmonter leurs divergences et leurs préjugés. Somaya,
étudiante en architecture et représentante du Soudan dans le
concours, sportive et dynamique, se dit satisfaite d’avoir
pu combattre les préjugés sur le peuple soudanais. « J’étais
étonnée d’apprendre que nous sommes jugés paresseux, peu
soucieux de notre hygiène et que nous vivons au milieu du
bétail, alors que ce n’est évidemment pas vrai. Moi, à titre
d’exemple, j’exerce plusieurs activités sportives et je me
lave plusieurs fois par jour dans ma maison ! »,
explique-t-elle.
Chaïmaa, la concurrente égyptienne et la plus jeune arbitre
de football d’Egypte et du Moyen-Orient, joue en fait un
rôle de médiatrice entre les différents points de vue. Elle
se sent porte-parole de la paix entre les différentes
cultures et mentalités arabes. « Je me sens la
responsabilité du pays accueillant ».
Quelques jours ont passé et l’idée de la fille parfaite a
commencé à se propager dans la communauté des filles. Brune
et attirante, Khouloud, top- model au Yémen, explique qu’au
début, elle était sûre de remporter le prix grâce à sa
beauté. « Maintenant et après avoir passé plusieurs jours
avec des filles beaucoup plus cultivées que moi, j’ai
réalisé que le concours ne dépendait pas uniquement du
physique ». Une expérience qui, selon elle, influencera son
mode de vie. « J’ai compris que la beauté n’est pas une fin
en soi et que je dois chercher à me cultiver davantage »,
confie-t-elle.
Si Khouloud a bien compris la leçon, beaucoup d’autres n’ont
pas encore fait l’équation entre beauté, culture et pudeur.
Il semble qu’il reste beaucoup à faire pour que la mentalité
de la Miss dans le monde arabe fasse son chemin. « Il faut
que la Miss soit une idole pour les petites filles. Un
modèle d’harmonie, de beauté et de bonne éducation. La
réussite est dans cet équilibre », conclut Aïda Réda .
Doaa
Khalifa
Isis Fahmi