Al-Ahram Hebdo, supplément | Des jardins sans secret
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
Nos Archives

 Semaine du 27 juin au 3 juillet 2007, numéro 668

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Arts

  Idées

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez

  Le Caire...Regards croisés



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
 
Supplément

Loisirs. Sur de maigres pelouses, on pique-nique,  joue,  dort,  prie et flirte... Une liberté qui reste codée et soumise au regard des autres. 

Des jardins sans secret 

Quelques voitures filent sur le pont Al-Gamaa qui enjambe le Nil. Les rues du Caire sont étrangement vides pour un lundi matin. Les Cairotes auraient-ils été saisis d’une soudaine conscience écologique ? L’explication est plus simple : ce 9 avril est un jour férié. C’est le jour de Pâques pour les coptes, mais surtout la fête du printemps, Chem Al-Nessim en égyptien, littéralement « Hume la brise, respire l’air frais ». Avant que les grandes chaleurs de l’été ne s’abattent sur la ville.

Si les rues sont presque désertes, les jardins sont pris d’assaut. « Cinq tickets, s’il vous plaît ! ». Un père de famille tend 5 livres au guichetier. Les autres clients le poussent déjà vers l’entrée, impatients de pénétrer dans la joyeuse foule du parc zoologique. Pour cette fête d’origine pharaonique, il est d’usage d’envahir tout espace vert.

Le zoo de Guiza, créé en 1891, reste le jardin le plus couru, du moins pour les Cairotes des quartiers populaires. Les larges allées du parc de 36 hectares, situé sur la rive occidentale du Nil, se remplissent dès le matin d’un flot humain compact.

« Termiss ! Termiss ! ». Les lupins jaunes cuits dans le citron et le cumin luisent au soleil. Les vendeurs de jouets, fruits secs, friandises ou barbes à papa tentent de couvrir de leur cris la pop égyptienne endiablée que diffusent les transistors des buvettes.

« C’est deux fois plus cher qu’à l’extérieur. On préfère apporter à manger », explique la famille Abou-Saoud, venue du quartier populaire de Sayeda Zeinab. Le prix du ticket est déjà une dépense importante pour une famille, d’autant qu’il est passé, il y a un mois, de 25 piastres à une livre. Les pelouses desséchées sont officiellement interdites d’accès. On y déploie pourtant de grandes nappes et chacun prend place autour du festin. Un morceau de tissu tendu entre deux branches sert parfois de parasol.

Le ringa ou fissikh, du poisson séché mariné dans l’huile, et des œufs dont la coquille a été décorée par les enfants, spécialités de Chem Al-Nessim, constituent l’essentiel du pique-nique. « On vient ici pour manger, se reposer, regarder les animaux ... et les gens », raconte une mère de famille avec un grand sourire.

Voir et être vu

Le zoo n’est donc pas uniquement prisé pour ses lions, singes et éléphants. On y vient aussi pour être vu et contempler ses congénères. Vincent Battesti, sociologue spécialiste des jardins du Caire, explique qu’ils ne « fonctionnent » que s’il y a « de l’ambiance, c’est-à-dire si l’on est aussi tassé que dans son quartier d’origine ». Ce sont les seuls lieux où l’on peut « se poser » dans une ville envahie par le magma automobile.

Conçus au XIXe siècle comme des espaces de respiration dans la ville, les jardins du Caire sont rarement des lieux de sérénité, hormis dans certains faubourgs plus aisés.

« Ça repose du bruit des voitures », assure un père de famille qui joue aux échecs sur l’herbe du Jardin international. Situé à Madinet Nasr, ce grand parc est aussi un paradis pour les enfants, avec ces auto-tamponneuses et son théâtre de marionnettes. « On vient souvent ici. C’est propre et il y a beaucoup d’animations », ajoute-t-il, en surveillant d’un œil son fils qui gambade. « Dans ces jardins, l’entrée coûte une ou deux livres », explique Adel Taha, un militaire de carrière en charge de la gestion des espaces verts au Caire. La ville compte 294 jardins, gratuits pour la plupart ou accessibles avec un ticket d’entrée à 25 piastres.

Grandeur fanée

Situé au bout de la rue du 26 Juillet, l’Ezbekiya faisait l’admiration des voyageurs étrangers du début du XXe siècle. On peut y voir les ruines d’une architecture ronflante : une grande fontaine baroque d’où ne coule aucune eau et un bassin fissuré tout aussi vide. Inauguré en 1872, le jardin se voulait une réplique du parc Monceau à Paris. Il était destiné à la bourgeoisie cairote, comme l’ensemble des parcs de l’époque. Depuis, les élites égyptiennes ont abandonné les jardins du centre-ville aux classes populaires pour se retrancher dans leurs clubs à Zamalek, Héliopolis ou Maadi.

Inès, Reda, Nada et Aya, des étudiantes de 18 ans venues papoter dans le jardin, trouvent que son prix – une livre – est « normal ».

« L’autre jour, un homme nous embêtait et le gardien est venu le chasser ». Le jardin est un des seuls lieux de sortie « licites » pour beaucoup de jeunes Egyptiennes et elles n’hésitent pas à payer cette garantie de sécurité.

Hussein est installé sur l’épaisse pelouse avec sa femme et son fils de trois ans. Ils viennent au jardin pour fuir leur petit logement. L’été, ils y restent toute la soirée pour profiter de la fraîcheur.

On y vient en famille, sans se mêler aux autres groupes. Les couples aussi y sont tranquilles. « Si c’est notre fiancé, on peut accepter de venir au parc avec lui », estiment, avec un sourire gêné, les quatre étudiantes aux foulards savamment accordés à leur tenue du jour. Les regards qui surveillent les amoureux sont un gage de leur bonne conduite. Mais les couples se retrouvent souvent dans des jardins éloignés de leur quartier d’origine, à l’abri des commérages de la famille ou des voisins.

Devant l’ancien palais présidentiel, Ahmed et Rehab, étudiants à l’université de Banha (au nord du Caire), révisent leurs examens. Ici, les pelouses sont gratuites. Ils habitent à Hélouan et Maadi, au sud de la ville.

« Ce n’est pas un hasard si c’est au jardin qu’on flirte, explique Vincent Battesti. On y échappe à un voisinage » souvent très regardant en ce qui concerne les relations entre filles et garçons. Mais si l’on est plus libre hors de son quartier, pas question de s’embrasser en public pour autant. « Flirter » signifie simplement passer un moment en tête-à-tête. Parfois, on se tient la main, mais le contact physique s’arrête là. De même que toute manifestation politique ou religieuse est proscrite dans les jardins, les amoureux y sont en liberté surveillée.

Dans une société sous contrôle, cet espace de loisir n’échappe pas à la règle. Les neuf millions d’Egyptiens qui y viennent chaque année savent qu’ils peuvent s’y permettre beaucoup, mais pas n’importe quoi.

Nina Hubinet (France)

Rime Tork (Egypte)

Retour au sommaire

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah - Chourouq Chimy
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.