Al-Ahram Hebdo, Une | Cannabis, terrorisme et poigne de fer
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 16 au 22 mai 2007, numéro 662

 

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Dossier

Centre du Sinaï . Les bédouins de cette région souffrent des mesures de sécurité draconiennes imposées depuis 2004 après les attentats de Taba. Visite dans une région oubliée.

Cannabis, terrorisme et poigne de fer

Se rendre au centre du Sinaï est une mission quasi-impossible. Pour l’accomplir, des autorisations des services de renseignements, de la Sûreté de l’Etat et du ministère de l’Intérieur sont indispensables. Permis qui ne sont pas accordés facilement. Autre nécessité : établir des contacts avec des bédouins qui, avec un 4x4, peuvent pénétrer dans le désert. Sans compter qu’il faut s’assurer que la tribu accepte d’avoir des contacts avec la presse. Chose plus aisée actuellement, car ils veulent faire état de leurs revendications notamment après les derniers événements du 25 avril. Ce jour-là, deux bédouins ont trouvé la mort suite à une poursuite par la police qui tentait d’arrêter leur véhicule sans plaque d’immatriculation. D’après le ministère de l’Intérieur, les deux bédouins ont tiré sur les policiers, qui ont riposté. La police a alors encerclé le village de Mahdiya dont les deux victimes sont issues. Craignant la brutalité de la police et les arrestations, des centaines de bédouins quittent alors le village pour se rendre près des frontières d’Israël. On raconte que certains d’entre eux ont tenté de passer dans ce pays. Cependant, les bédouins affirment qu’il s’agit de rumeurs préméditées pour semer la zizanie entre les bédouins et le régime. « Nous n’avons aucune intention de recourir à Israël. Ce sont les gardes-frontières israéliens qui ont coupé les barbelés à la frontière et nous ont appelés à passer en Israël. Mais, nous sommes très attachés à notre nationalité égyptienne et nous avons refusé. Tout ce que nous voulons, c’est de nous sentir en sécurité », assurent les bédouins.

Le sit-in des bédouins a duré 4 jours, jusqu’à ce qu’un haut responsable leur ait rendu visite le 1er mai pour connaître leurs revendications. Les bédouins se plaignent des agressions répétées des forces de l’ordre, des incursions continuelles dans leurs maisons et des arrestations arbitraires même des femmes sans jugement ni inculpation. La police mène en effet des opérations dans la région depuis l’attentat de Taba en 2004. Ces faits qui remontent à trois semaines constituaient la plus grande manifestation de colère des bédouins depuis les attentats de Taba, lorsque des bédouines ont manifesté sur les places du Nord-Sinaï pour réclamer la libération des détenus en 2005. De toute façon, les derniers événements viennent de mettre en relief la situation précaire des bédouins du Sinaï.

Une région pas encore normalisée

Occupé par Israël de 1967 à 1982, le Sinaï est depuis le Traité de paix de 1979 divisé en deux gouvernorats, celui du nord qui renferme le nord et le centre du Sinaï, et celui du sud. La région du centre est placée sous un régime de sécurité spéciale, vu sa situation géopolitique (ses frontières orientales s’étendent le long d’Israël). Pour y accéder, il faut emprunter une route asphaltée qui lie le nord au sud. Depuis 1995, il est interdit aux étrangers d’accéder à cette région sous prétexte de mettre fin à la chasse aux animaux du désert. Or, cette région s’est transformée en nid de trafiquants de drogue et d’armes. Et étant donné sa nature montagneuse, elle est devenue un abri pour les terroristes. Sur la route qui mène vers le centre du Sinaï, on ne voit que des véhicules de police qui sillonnent la région 24h sur 24. Cette région possède deux conseils locaux, Al-Neikhl et Al-Hasanna, et abritent 30 000 bédouins.

Al-Neikhl est une région qui renferme plusieurs villages. Son aspect plutôt moderne retient immédiatement l’attention. De petits restaurants, des cafés et quelques maisons en béton accueillent le visiteur. Pour accéder aux lieux où vivent les bédouins, il faut parcourir une centaine de kilomètres en plein désert. Les bédouins résident dans des huttes construites avec des feuilles de palmiers.

La vie des bédouins du Centre du Sinaï a été totalement bouleversée après les attentats terroristes de ces dernières années et l’émergence d’un mouvement armé nommé Al-Tawhid wa Al-Jihad accusé d’être le commanditaire des attentats de Taba, Noweiba et Charm Al-Cheikh et dont les membres seraient, selon les appareils de sécurité, des bédouins. Les mesures de sécurité ont bien évidement été renforcées. Et les appareils de sécurité veulent à tout prix arrêter les terroristes. « L’émergence d’un mouvement terroriste là où il n’en existait pas auparavant a donné lieu à des tensions entre la population et l’Etat. Le gouvernement a tenté de résoudre le problème d’un point de vue strictement sécuritaire, ce qui est une erreur et il est en train d’en payer le prix », explique Salah Al-Bolok, chercheur spécialisé dans la société bédouine. Il explique que les appareils de sécurité se comportent avec brutalité. « Ils arrêtent les gens arbitrairement et parfois même leurs familles pour les obliger à faire des aveux », précise-t-il. Face à cette situation, les bédouins n’avaient d’autres solutions que d’aller vivre dans les montagnes avec leurs familles et d’abandonner leurs foyers. Et pour y survivre, ils ont eu recours à la culture du cannabis. Et quand on sait qu’un petit terrain de 5 hectares rapporte en trois mois 30 000 L.E., on comprend pourquoi en l’espace de quelques mois les régions montagneuses du centre du Sinaï ont été transformées en champs de cannabis.

« Les appareils de sécurité ont transformé les bédouins en trafiquants de drogue et d’armes et ils cherchent maintenant à les arrêter. Ils ont produit un cercle vicieux », commente Saïd Aliane, bédouin du centre du Sinaï.

Reconnaître le terrain

Après les événements du 25 avril, le gouvernement a dépêché un haut responsable pour rencontrer les bédouins et connaître leurs revendications. Ces derniers réclament la libération de centaines des leurs, détenus depuis cette date sans jugement. Ils veulent que les policiers qui ont tué les deux victimes soient traduits en justice. Mais les bédouins ont d’autres revendications aussi : un véritable plan de développement pour leur région qui souffre de négligence.

Les bédouins mènent en effet une vie rudimentaire. Le problème majeur est le manque d’eau. « Il y a quelques années, le gouvernement nous a creusé une soixantaine de puits. Mais, la plupart d’eux se sont asséchés », explique une bédouine d’une cinquantaine d’années. Elle est obligée de parcourir le désert quotidiennement à la recherche d’un puits qui contient encore de l’eau. « Nous sommes privés d’eau potable. Lorsque je trouve un puits, je remplis une dizaine de jerricanes, qui me suffissent p

our trois jours, mais j’ai toujours peur de ne plus trouver d’eau le lendemain », ajoute-t-elle.

Les bédouins avaient accueilli avec joie la décision de l’Etat de creuser le canal d’Al-Salam dont le but est d’acheminer l’eau du Nil vers le nord et le centre du Sinaï. Ce canal doit alimenter en eau au moins 400 000 feddans, dont 50 000 devaient être distribués aux bédouins pour les cultiver. Toutefois, l’amertume s’est emparée des bédouins l’année dernière, lorsqu’ils ont appris que le canal s’arrêtera au nord seulement sous prétexte que la région du centre est montagneuse et très élevée, ce qui nécessite des fonds énormes. « Le résultat est que le centre du Sinaï n’a rien. Le gouvernement nous sort ces prétextes au moment où il est en train de débourser des milliards à Tochka à la Nouvelle Vallée », critique Abdel-Hamid Salmi, député du Nord-Sinaï. Comparé au nord et au sud du Sinaï, le centre de la péninsule manque d’infrastructures. « Nous n’avons qu’un seul centre médical. Toutefois, le médecin est toujours absent. N’étant pas originaire de la région, il ne veut pas venir vivre dans un endroit où il n’y a pas d’eau potable pour toucher à la fin du mois un salaire de 200 L.E., sans compter la vie dure dans le désert », affirme Oum Fayçal qui se rend à l’hôpital d’Al-Arich, situé à une distance de 300 kilomètres pour se soigner.

Une infrastructure scolaire précaire

Bien que le taux d’analphabétisme soit important, les familles inscrivent leurs enfants dans la seule école qui se trouve dans le désert. Les professeurs ne viennent qu’une fois par semaine. « Voilà, les examens de fin d’année approchent et ma fille, étudiante en troisième préparatoire, est toujours dans les premiers chapitres dans toutes les matières », souligne Mesmeh Aliane. Rares sont ceux qui continuent leurs études secondaires ou supérieures, à Al-Arich. Affaire qui ne préoccupe pas les bédouins, car ils ne sont pas recrutés dans les institutions gouvernementales.

Autre problème émergeant sur la scène , le chômage. En effet, il n’y a pas de tourisme au centre du Sinaï et les bédouins travaillent dans la bergerie. Une activité qui commence à s’éclipser avec le manque d’eau. Certains ont eu recours au trafic de voitures. D’autres décident d’aller travailler dans le Delta ou dans le tourisme au nord ou au sud. Mais, après les attentats de Taba, on refuse d’embaucher toute personne d’origine bédouine. Ce qui a aggravé le taux du chômage parmi eux.

Depuis 1982, des programmes de développement socio-économique ont été engagés par l’Etat dans le Sinaï. En 2002, un plan gouvernemental a été lancé pour en assurer le développement, dont le coût total est évalué à 75 milliards de L.E. et devrait être achevé en 2017. Les objectifs sont : arrêter l’exode des habitants originaires de la région, encourager le retour de ceux qui ont déjà quitté le Sinaï et transformer ce dernier en un gouvernorat d’attraction pour les habitants de la vallée du Nil. Mais les populations du centre n’ont que marginalement bénéficié de ces mesures de développement. « Le gouvernement a ignoré les problèmes socio-économiques et culturels du centre. Cette négligence a fait naître chez certains un profond sentiment de discrimination. Le bédouin se sent étranger dans son propre pays comme s’il était un citoyen de deuxième catégorie », note Ismaïl Auda, chef du conseil local du centre du Sinaï. Le développement du centre du Sinaï sera-t-il programmé dans le plan du gouvernement ? .

Ahmed Sélim
Héba Nasreddine


 

3 questions à

Abdallah Gahama, chef des tribus du centre Sinaï


« Il est nécessaire de les faire sortir de leur isolement Abdallah Gahama, chef des tribus du centre du Sinaï. »

 

Al-Ahram Hebdo : Pourquoi, d’après vous, les bédouins ont-ils manifesté à la frontière avec Israël ?

Abdallah Gahama : C’est le résultat de l’absence de canaux d’expression. Le centre du Sinaï avait jusqu’en 2000 des députés parlementaires. Mais, l’ignorance de l’exercice politique et l’éloignement des lieux de vote pour les bédouins ont provoqué un désintérêt quant aux pratiques politiques. Seuls 2 000 sur 27 000 électeurs ont voté aux élections de 1995. La décision a donc été prise de supprimer les circonscriptions du centre. Pouvez-vous croire que même les membres des conseils locaux n’ont jamais pu rencontrer de responsables pour présenter nos revendications, discuter de notre avenir et de nos conditions de vie ?

— Que pensez-vous du retard de développement du centre du Sinaï ?

— A mon avis, il ne s’agit plus d’une simple négligence. L’Etat ne s’est pas impliqué dans des guerres et a versé des milliards de livres pour libérer le Sinaï pour le négliger ensuite. Mais, il existe bien sûr des obstacles au centre du Sinaï qui est une région frontalière d’Israël. Avant de commencer un plan de développement, il faudrait d’abord y assurer la sécurité stratégique afin d’encourager les gens à y résider. Il faut lancer une initiative pour peupler le centre du Sinaï afin de pouvoir défendre le territoire en cas d’une éventuelle attaque de l’est.

— En quoi consisterait ce plan de développement ?

— Créer un gouvernorat ou un haut conseil comme ce fut le cas pour Louqsor suite aux attentats de 1999. Autre choix, un plan de développement socio-économique pourrait être lancé et financé avec la participation des hommes d’affaires. Ce plan pourrait apaiser les relations entre l’Etat et les bédouins. Le développement industriel est aussi l’un de nos objectifs. Le centre est riche en matières premières. Il est nécessaire de faire sortir les bédouins de leur isolement. Il faut leur fournir les instruments nécessaires pour l’élaboration de petits projets, en organisant des ateliers de formation, et en offrant des prêts pour l’équipement de ces associations.

Propos recueillis par H. N.

 




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