Présidentielles françaises .
Le deuxième tour opposant Sarkozy à Royal s’annonce serré.
Que peuvent espérer les pays arabes qui sont dans la crainte
d’un changement d’une politique qui leur a été favorable
depuis De Gaulle ? Etat des lieux.
L’espoir du changement dans la continuité
Au
lendemain du premier tour des présidentielles, les Français
semblaient plus proches d’une nouvelle image de leur pays.
Le nouveau locataire du palais de l’Elysée les préoccupe
certes, mais le tracas se sent plus dans le monde arabe qui
a décidé de ne pas être indifférent au dossier de la
politique étrangère de la France, bien que celui-ci ne soit
un sujet prioritaire dans la campagne électorale. Cette
préoccupation arabe s’est traduite par une visite de trois
figures importantes à Paris : le président Moubarak,
Abdallah II de Jordanie et le président de l’Autorité
palestinienne, Mahmoud Abbass. C’était certes des visites
d’adieu à celui que l’on nomme le dernier gaulliste, mais
une mission de reconnaissance aussi. Ils tentaient de savoir
si le départ de Jacques Chirac marquera la fin d’une
tradition diplomatique française instaurée depuis une
quarantaine d’années. C’est depuis 1967 en particulier que
l’on a vu ce véritable virage politique français. Le général
De Gaulle, au déclenchement de la crise qui s’est terminée
par l’agression israélienne du 5 juin 1967, avait mis en
garde les responsables israéliens : en aucun cas ceux-ci ne
doivent « tirer en premier ». Dès le 2 juin, dans le
contexte de tension montante, la France annonce qu’à partir
du 5, elle cessera toute livraison de matériel militaire aux
belligérants, donc à Israël. Auparavant, la France était le
principal fournisseur d’armes à Israël. De Gaulle a une
phrase qui suscitera un tollé en Israël qui a voulu
l’assimiler à de l’antisémitisme. Il a dit d’Israël que
c’était un « peuple d’élite, sûr de lui-même, et dominateur
». Depuis, c’est une évolution régulière bien précise sous
Chirac (lire page 5).
Mais
aujourd’hui peut-on tabler sur l’histoire pour lire l’avenir
? Des craintes se manifestent dans un monde arabe.
Inquiétudes légitimes. Ségo comme Sarko n’ont pas hésité à
courtiser Israël, même si c’est avec une grande précaution :
éviter par exemple de se prononcer sur le conflit
arabo-israélien, alors qu’il s’agit d’une affaire
stratégique pour la France. Trop risqué à leurs yeux
lorsqu’on arrive au décompte des votes. Les tendances de
l’un ou de l’autre sont cependant présentes, parfois encore
contradictoires pour ne pas dire schizophrènes. Il faudrait
une relecture de leurs différents discours pour retrouver
cette hésitation de vouloir maintenir les liens avec les
Arabes, mais sans s’impliquer directement dans le conflit
arabo-israélien. Fini des mots comme « la politique arabe de
la France doit être une dimension essentielle de sa
politique étrangère … La priorité de la politique arabe de
la France et de l’Europe, c’est naturellement, aujourd’hui,
la construction de la paix au Proche-Orient », comme le
déclarait Chirac au Caire il y a 11 ans.
Doutes
sur Sarkozy
Somme
toute, Nicolas Sarkozy demeure le moins pro-arabe. Le timbre
à son effigie, avec « bonne chance », lancé par la poste
israélienne, n’est qu’un simple élément de son « pro-israélisme
confirmé », dit-on. Il serait d’ailleurs le néo-conservateur
de France. N’a-t-il pas dit à Washington, l’an dernier : «
J’aimerais dire à quel point je me sens proche d’Israël ».
Durant les émeutes des banlieues en 2005, Sarko, alors
ministre de l’Intérieur, a fait appel au ministre israélien
de la Sécurité publique, Gideon Ezra, et au commissaire
Moshe Karadi pour le conseiller sur l’affaire ... « Il s’est
également affiché comme un supporter d’Israël, même s’il a
jugé, par exemple, la riposte militaire contre le Liban
disproportionnée. Néanmoins, il estimait que cette réaction
était légitime dans ses fondements », a déclaré Pascal
Boniface, directeur de l’Institut français des relations
internationales et stratégiques au quotidien d’Oran. De
toute façon, les termes employés, même s’ils peuvent
contenir des critiques pour Israël, sont plus incriminants à
l’égard des Palestiniens : « A nos amis palestiniens, je
veux dire que l’existence et la sécurité de l’Etat d’Israël
ne sont pas négociables et que rien ne peut justifier la
violence. Les terroristes qui prétendent agir en leur nom et
pour leur bien sont en fait les véritables ennemis des
Palestiniens, car ils les privent d’une paix à laquelle ils
aspirent et ont droit … Nous devons cette même franchise à
nos amis israéliens. La poursuite d’une politique de faits
accomplis sur le terrain est contraire aux intérêts d’Israël
à long terme », a-t-il dit.
Cette
attitude un peu floue a poussé Sarkozy à assurer Moubarak de
la continuité de la politique française au Proche-Orient
s’il était élu, lorsqu’il s’est entretenu avec lui à Paris.
« J’ai dit au président Moubarak que si j’étais élu
président de la République, je souhaiterais avoir avec lui
les mêmes rapports confiants et amicaux qu’il entretient
avec le président Chirac », a dit le candidat du parti UMP
(au pouvoir).
Un autre
aspect qui entre en jeu c’est celui de l’immigration. Au-delà
de son ‘aspect franco-français, la question de l’immigration
s’affirme désormais comme une question de politique
intérieure de plus en plus forte, étant donné son lien même
flou ou distendu avec le monde arabe. « Un retour du refoulé
arabe dans la conscience française et des effets
démultipliés sur la politique arabe de la France », souligne
Gilles Kepel, spécialiste français de l’islam contemporain.
Entre autres indices, pour la première fois depuis la
période coloniale, l’armée française s’interroge sur la
présence massive de musulmans en son sein. Craignant une
pression communautaire, elle a chargé l’Institut Français
des Relations Internationales (IFRI) d’une enquête sur « les
militaires français issus de l’immigration ». « Leur loyauté
est sans cesse questionnée », note Christophe Bertossi,
responsable du programme immigration à l’Ifri, auteur du
rapport avec la sociologue Catherine Whitol de Wenden. A cet
égard, selon Azouz Begag, ministre démissionnaire de
l’Egalité des chances, le système politique français
républicain a toujours fonctionné sur un paradoxe : d’un
côté, il ne reconnaît que des citoyens détachés de toute
appartenance culturelle, religieuse ou ethnique ; de l’autre,
il ne cesse d’instrumentaliser les identités à des fins
électorales et partisanes. Les Français d’origine maghrébine
et africaine sont peu représentés dans les institutions
politiques, en particulier au Parlement (Assemblée nationale
et Sénat), a-t-il soutenu. Begag est connu pour ses
péripéties avec Sarkozy. Quoi qu’il en soit, certaines
réactions du candidat ont eu une connotation bien raciste :
« racaille », qui avait enflammé les banlieues de France en
2005, ou encore « carcheres », lorsqu’il évoquait le
nettoyage des cités habitées en grande partie par des
populations immigrées. Un aspect qui pèserait un peu sur sa
politique arabe en général.
Ségolène
indécise ?
Quant à
Ségolène Royal, elle avait déjà rencontré Moubarak en
décembre lors d’une précédente visite de ce dernier à Paris.
Celle-ci est souvent jugée comme beaucoup moins experte en
matière de politique étrangère. Selon Boniface, « elle a
envoyé — elle aussi — des signaux contradictoires (…) Comme
si elle ne voulait plus prendre le risque de s’aventurer sur
ce terrain. On peut dire qu’elle a été finalement soumise à
une sorte de chantage qui a payé : la polémique largement
gonflée de sa visite à Beyrouth l’a certainement poussée à
adopter un profil bas lors de son passage à Jérusalem ».
Elle avait rencontré un député du Hezbollah avant d’aller
voir Ehud Olmert. Une offense pour les Israéliens, mais un
des principaux conseillers de Ségo n’est que le député
socialiste Julien Dray, dont le frère est médecin au sein de
l’armée israélienne. D’ailleurs, en réponse à une question
sur la participation d’entreprises françaises (Alstom et
Veolia) à l’installation de lignes de tramway reliant des
colonies, elle a affirmé : « On ne peut pas considérer que
les coopérations économiques entre les entreprises
françaises et Israël, en l’occurrence l’exploitation d’une
ligne de tramway en construction à laquelle vous faites
allusion, soient destinées à renforcer ou à légitimer les
colonies israéliennes dans les Territoires occupés. Le sort
de ces colonies devra être décidé entre les deux parties
lors des négociations pour une paix définitive et la
création d’un Etat palestinien ».
Cela dit,
elle a trouvé les moyens de s’attirer la foudre des
néo-conservateurs américains. Deux principaux Think Tanks
néo-conservateurs des Etats-Unis ont brutalement attaqué la
candidate, alors qu’ils ont fait un éloge tout aussi
inexplicable de Sarko après le voyage de ce dernier à
Washington en septembre 2006, un vibrant hommage au
futur candidat « pro-américain », porteur d’une nouvelle
politique étrangère française « indépendante de la ligne
gaulliste traditionnelle ».
Sally
McNamara, au Margaret Thatcher Center for Freedom, relevant
que « c’est un secret de polichinelle que Sarkozy avait
critiqué l’opposition de Chirac à la guerre en Iraq en 2003
», que « la position de Sarkozy sur la guerre
israélo-libanaise représentait une autre rupture avec la
politique étrangère française » et que « les Etats-Unis
pourraient avoir (en cas de victoire de Sarkozy) un
partenaire plus amical en Europe et au sein du Conseil de
sécurité de l’Onu » ... L’American Enterprise Institute
avait lui aussi salué le pro-américanisme de Nicolas Sarkozy
... L’énigme vient par contre du sort beaucoup plus clément
réservé à Nicolas Sarkozy (par ses mêmes Think Tanks
néo-conservateurs) ... Nile Gardiner, le « patron » de Sally
McNamara, croit lui aussi en Nicolas Sarkozy et affirme que
« l’ascendant de Sarkozy est considéré comme très positif
par Washington ». Nile Gardiner est lui-même très engagé
dans cette idée d’expansion de l’Otan et l’idée d’une
adhésion d’Israël à l’organisation ... La majorité des 26
membres de l’Otan, et en premier lieu la France, est opposée
à ce que Israël devienne membre à part entière de l’Alliance
Atlantique. On le voit bien, même si cette dimension de
politique étrangère ou politique en particulier paraît plus
ou moins estompée ; elle ne manque pas de susciter des
intérêts, voire des préoccupations chez les uns (les Arabes)
et des espoirs chez les autres (Américains et Israéliens).
Il est
sûr qu’en dépit du fait que la participation française au
processus de paix ne se conçoit plus désormais que dans le
cadre de l’Union européenne, avec contribution de celle-ci
au « quartet » accompagnant les pourparlers (effectifs ou
suspendus) entre les partenaires du conflit
israélo-palestinien, les uns et les autres misent toujours
sur un rôle distinctif d’une France qui a toujours cherché
une politique répondant à ses choix, même à l’heure de la
mondialisation effrénée.
Samar
Al-Gamal
Ahmed Loutfi