Al-Ahram Hebdo, Littérature | Premier récit
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 18 à 24 avril 2007, numéro 658

 

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Littérature

Remémoration d’une histoire d’amour qui a échoué, le premier roman de Mahmoud Abdel-Wahab, Siratouha al-oula (Charqiyat, 2006), en évoque en toute simplicité les moments intenses et orageux. Mais aussi, comme ici, les anecdotes drôles et savoureuses.

Premier récit

-22-

On a fait le tour de tous les hôtels d’Alexandrie qui se trouvent sur la corniche, de Cleopatra à Al-Raml. Dans chaque hôtel, on lisait dans le regard des employés de la réception et de la sûreté, le doute et la suspicion.

On était arrivés à Alexandrie vers midi cette fois-ci. Chez moi, la configuration n’était pas très favorable : mon frère était en vacances pour quelques jours et logeait à la maison.

Il était difficile pour eux de loger un homme et une femme ensemble, même dans deux chambres séparées. Car, venus ensemble, ils ne pouvaient — évidemment avoir qu’un seul but : faire l’amour.

Leur regard laissait en moi une impression de bizarrerie ; ils avaient le sang chaud ces Alexandrins.

Dans une rue perpendiculaire à la corniche, dans le quartier entre Al-Raml et Al-Manchiya, se trouvait l’hôtel Crillon.

L’employé nous donna deux chambres, chacune à un bout de l’hôtel qui était constitué de deux appartements séparés ouverts l’un sur l’autre. La réception était située au milieu. Si je voulais aller la voir dans sa chambre le soir, je devrais passer devant cette réception. Et comme j’étais un habitué des hôtels, je savais exactement à quoi pensait, sans aucun doute, l’employé derrière la réception. Dans l’espoir qu’elle réussirait, elle, à apaiser les soupçons de l’homme, je lui laissais donc la parole, même si la tentative devait échouer.

— On veut deux chambres l’une à côté de l’autre, dit-elle.

— C’est malheureusement interdit, répondit l’homme, mi-insistant, mi-gêné.

— Pourquoi ?

— Les instructions du ministère du Tourisme.

Il n’y avait – bien sûr — aucune instruction de ce type, ni même des instructions de la sûreté intérieure à l’hôtel. Il s’agissait simplement d’un usage appliqué dans les hôtels. C’était « quelque chose » qu’on avait hérité de nos coutumes arabes, c’est tout.

Nesma ne s’arrêta pas là. Elle se tourna vers moi et me demanda, devant lui :

— Elles existent vraiment ces instructions ?

Comme elle savait pertinemment que je ne donnerais pas la réponse susceptible de prolonger la polémique, elle s’adressa de nouveau à lui :

— Vous avez devant vous un ancien hôtelier, demandez-lui.

— Allez, viens on s’en va. Ce ne sont pas les hôtels qui manquent, dis-je en m’adressant à elle.

— Où est le problème, monsieur ? Les chambres sont toutes très belles.

— Le problème — c’est elle qui répondit — est que c’est la première fois de ma vie que je me retrouve dans un hôtel pareil, et je ne me sentirai en sécurité que s’il est à côté de moi.

— Madame, cet hôtel est très sûr. La sécurité y est garantie partout.

Elle lui dit, après que nous avons vu les chambres et accepté le prix :

— On va réfléchir.

Elle sortit la tête haute. J’ai eu envie de l’embrasser dans la rue — mais je ne le fis pas.

A l’hôtel La Mecque, l’employé était plus direct. Dès qu’il nous vit entrer, il nous dit :

— On ne peut pas loger un homme et une femme venus ensemble, même séparément, sur deux étages différents.

On laissa derrière nous Al-Raml et ses hôtels, et on se dirigea vers Al-Ibrahimiya et Cléôpatra.

Une employée très jeune nous reçut, nous scruta, soupçonneuse, puis nous lança littéralement :

— Il faut que ça soit clair dès maintenant, pour qu’il n’y ait pas de problèmes après : interdit d’entrer dans la chambre de la demoiselle la nuit.

Le rire que je dus étouffer, en me disant que Nesma devait sûrement faire comme moi, valait largement la nuit elle-même.

La phrase qu’elle dit en sortant, en réplique à celle de la fille, suffisait à elle seule :

— Elle veut dire qu’il est interdit de sauter la demoiselle.

Difficile de décrire le rire qui nous secouait les côtes alors qu’on allait d’une humiliation à l’autre, sans que cela ne nous atteigne. Comme si on ne cherchait pas à faire une de « ces choses », comme si notre désir avait rapport à la démesure en soi, comme s’il ne s’agissait pas d’atteindre un autre objectif.

A l’hôtel Saint-Marc, on a joué un autre jeu. Pour faire diversion sur notre situation avec les Alexandrins, on a demandé une réduction sur le prix officiel, sur base d’un fax envoyé à l’hôtel par l’entreprise qui nous employait.

— Quelle entreprise ?, demanda l’employé.

Avant même que je ne prononce un mot, elle avait déjà répondu :

— C’est un bureau privé.

Je mentionnai un nom imaginaire.

L’employé répondit que ce bureau n’avait pas passé de contrat avec l’hôtel et que, partant, on ne pourrait pas profiter du prix préférentiel.

Il ajouta : Mais vous pouvez, Monsieur, prendre deux chambres au prix normal.

L’employé cherchait à vendre à n’importe quel prix, et c’est exactement ce qu’on cherchait. On a vu les deux chambres ; la première était dans les étages du bas, la deuxième dans ceux du haut. Ils nous dirent que toutes les chambres de l’hôtel étaient occupées. Bien sûr, ce n’était pas vrai. On se rendit compte que cela ne servait à rien de discuter. Un regard et on descendit vers la réception :

— On va réfléchir.

— Ma chérie, on est à la recherche d’un hôtel depuis 15h. La journée est finie, ça fait six heures qu’on cherche et il est maintenant 21h. Six heures d’humiliations de la part des habitants d’Alexandrie, je pense que ça suffit. Il n’y avait dans ma remarque pas l’ombre d’un agacement — C’est ce qui était étrange.

Cette fois, on était à Stanley. On avait décidé de déclarer forfait et d’accepter n’importe quelle chambre, même dans deux hôtels différents, pour pouvoir profiter de la soirée ensemble.

On enregistra nos papiers à l’hôtel. Je partis chercher sa carte d’identité dans son sac dans la voiture. C’était la première fois que je voyais sa photo quand elle était toute jeune, au début de la vingtaine. Elle était très ordinaire ; un visage familier sans rien de particulier. Je souris. Nesma était de ces femmes dont la beauté s’épanouissait avec l’âge.

On retourna vers Al-Raml, en route vers le Cheikh Ali. On passa devant le bâtiment d’administration de l’université à Chatbi, Al-Silsila, Azarita. Puis on arriva à Al-Raml. C’est comme ça que je lui décrivais les choses.

Arrivés place Saad Zaghloul, on prit à gauche, puis à droite dans la rue en direction d’Al-Manchiya, à gauche de nouveau à l’arrêt des « masrou », ces microbus dits « les projets », tout droit dans la rue Saad Zaghloul et enfin à droite dans la rue étroite au bout de laquelle se trouvait le bar du Cheikh Ali. L’entrée était formée d’une simple planche en alumétal marron entourant du verre gravé sur lequel étaient dessinées des fleurs aux couleurs criardes. Rien ne laissait deviner l’univers magique à l’intérieur.

Dès que j’entrais, je me débarrassais du temps, de l’espace, de l’Histoire, comme si je ralentissais le train de la vie une journée — le temps de décider quelle direction prendre. Nesma s’installa à côté de moi, sur le bar rosâtre.

Elle était tout à gauche, dans le coin le plus reculé.

Puis moi, et ensuite rien.

Je connaissais quelques visages alexandrins ici. Docteur Sameh, le pédiatre. Il venait une fois par semaine, parfois deux, après ses consultations.

Il s’était marié puis divorcé deux fois, et il n’avait pas d’enfants. On était devenus amis pendant un temps après la fin de ma relation avec Nesma. Puis notre amitié s’éteignit. Il fréquentait beaucoup de femmes, égyptiennes ou étrangères, dont il était très presque obsédé. Alaa, le jeune businessman qui venait au Caire tous les vendredis pour récupérer son argent. Le khawaga qui s’appelait Walter, et qui atterrissait ici après être passé par deux autres endroits. (…)

Un Libyen noir, qui parlait l’anglais comme les Anglais. On disait qu’il était excessivement riche.

Quelques propriétaires de magasins de la station d’Al-Raml.

D’autres visages du Caire, des étrangers qui travaillaient dans les centres culturels et les organisations civiles au Caire et à Alexandrie.

Mamdouh, le Turc qui avait beaucoup vécu à Alexandrie. Il était marié à une Egyptienne et travaillait comme représentant d’une entreprise turque dans le domaine du nettoyage. Et d’autres encore.

« Maqam al Huzam » me plut. Je pris le oud à Abdallah et me mis à chanter : « Hier je n’ai pas fermé l’œil de la nuit ».

Le public se tut quand je me concentrai sur mon jeu. Après chaque couplet, ils s’exclamaient. Quand j’eus fini, certains me demandèrent ma carte, mais je n’en avais pas sur moi.

Ici, je n’étais personne. J’aurais pu être n’importe qui, j’aurais pu ne pas être une créature du tout.

Je me contentais de leur donner mon numéro de portable.

La nuit était noire. Je ne sais pas comment on a quitté.

Ni comment on est sortis de l’étroite ruelle obscure, vers la place d’Al-Manchiya pour se diriger vers l’hôtel.

— Ne me laisse pas toute seule, chéri.

— Ma chérie, ce n’est pas possible. On est dans un hôtel ici, pas dans une maison.

— C’est que tu ne m’aimes pas alors.

Je fis beaucoup d’efforts pour la convaincre qu’il était impossible que je passe la nuit avec elle dans la même chambre. En vain. Elle répétait que je ne l’aimais pas.

Je lui dis que j’étais sûr qu’il y avait quelqu’un debout dans le noir derrière la porte de la chambre, et que, si je ne sortais pas, ils frapperaient à la porte dans cinq minutes et me demanderaient de sortir. Je devrais alors sortir malgré moi, et la situation serait très désagréable.

— De toute façon, même si tu sors maintenant, tu les verras quand même.

— Je me débrouillerai.

Lorsque je la quittai, malgré elle, elle avait le visage enfoui dans le coussin.

— Je suis fâchée.

J’allumai une cigarette, ouvris la porte, sortis. Personne. A peine avais-je monté quelques marches, qu’un préposé à la sécurité se jeta devant moi dans le noir — comme un prophète de la mort.

— Qu’est-ce que tu faisais à l’intérieur ?

— J’allumais une cigarette.

Il était loin d’être convaincu. Mais j’avais la cigarette allumée à la main.

Traduction de Dina Heshmat

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Mahmoud
Abdel-Wahab

Né en 1962, Mahmoud Abdel-Wahab, malgré son penchant pour la musique et la littérature, rejoint la faculté de commerce à Alexandrie, dont il est diplômé en 1985. Il travaille actuellement en tant que responsable des relations publiques dans le domaine de l’immobilier. Avant son premier roman, il avait publié plusieurs nouvelles dans l’hebdomadaire Akhbar Al-Adab, ainsi qu’un texte autobiographique dans Amkina n°6, revue indépendante publiée à Alexandrie. Un recueil rassemblant ces nouvelles ainsi que d’autres inédites, sous le titre Kol chaï mohtamal fil massaa (tout devient supportable le soir), est en voie de publication.

 




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