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Fouilles.
Celles menées dans la nécropole nord de la cité
antique d’Antinoé permettent de mettre en valeur la période
copte et la filiation entre ères pharaonique et chrétienne.
Sous le signe de l’au-delà
Fragments
de papyri, étoffes et lin coptes, pages de codex en cuir
ainsi que momies et fresques qui décorent quelques tombes
sont les plus importantes trouvailles de la nécropole nord
de la cité antique d’Antinoé à Cheikh Ebada, dans le
gouvernorat de Minya Celle-ci, dont la superficie atteint
les 200 mètres carrés, se situe derrière les murailles de
granit rose qui encerclent la ville, qui s’étale, à son
tour, sur 5 km carrés. « Voilà deux saisons que nous menons
des fouilles dans cette nécropole qui est en train de livrer
des secrets », souligne le papyrologue Rosario Pintaudi,
directeur de la mission italienne de l’Institut de
papyrologie G Vitelli dépendant de l’université de Florence.
Pour lui, à travers les pièces découvertes, on peut
esquisser non seulement les traditions et les coutumes des
citoyens de la ville, mais encore leur pensée et leur mode
de vie. En plus, on peut retracer l’évolution artistique au
cours des époques et la conversion de la ville romaine
païenne à la ville dévote chrétienne.
En effet, la nécropole est précédée d’un espace
rectangulaire vide entouré de colonnes en calcaire. Ce lieu,
situé au seuil de la nécropole, servait de cour accueillant
les citoyens durant les différentes fêtes. « A l’époque, les
habitants préféraient célébrer leurs cérémonies publiques,
religieuses et privées avec leurs morts à cet endroit où ils
passaient plusieurs jours », explique Pintaudi. D’après lui,
c’est l’une des traditions héritées de la période
pharaonique et qui a continué non seulement à l’époque
copte, mais elle demeure jusqu’à nos jours dans certaines
couches sociales égyptiennes. Quelques-unes de ces colonnes
sont insérées aux murs des tombes et des épitaphes. Selon le
papyrologue, cette estrade fut réduite au fil du temps au
profit de la nécropole, dont la superficie ne pouvait plus
recevoir d’autres morts. Les citoyens ont alors décidé de
rétrécir la cour rectangulaire.
Lors des fouilles opérées dans la nécropole, la mission a
découvert beaucoup de fragments de papyri en langue copte
qui comprenaient des messages privés « à l’exemple des
plaintes aux morts ou encore des récits des actions
familiales », reprend Pintaudi. D’autres fragments
contiennent des contrats d’achat ou de vente ou encore de
propriété. Selon le papyrologue, les textes des papyri
reflètent un autre aspect de traditions héritées. A l’époque
pharaonique, « les effets personnels étaient enterrés avec
le défunt pour le servir dans l’au-delà. C’est le même
concept, mais là, on y enterre les documents qui affirment
et assurent les propriétés du défunt », explique Pintaudi.
Autre trouvaille assurant toujours l’héritage des traditions
pharaoniques, ce sont des pages de codex en cuir écrits en
copte dans les tombes dont la date remonte du IVe au Ve
siècle. Ces codex qui accompagnaient le défunt dans sa tombe
jouaient le rôle de protecteur de l’âme.
Outre
ces manuscrits, la plupart des murs des tombes comprennent
des niches lesquelles portaient des icônes et des statues
qui représentaient la Vierge et Jésus. Selon le papyrologue,
chacune des anciennes tombes renferme une seule momie,
puisque le rite de la momification a continué durant l’âge
copte. Durant les périodes antérieures, on a relevé la
présence de plusieurs momies. « Les tombes ont été
réutilisées alors plusieurs fois lors des époques qui ont
suivi, à cause du manque de place », souligne le professeur.
Aussi, pour les experts, l’état de la tombe et de la
dépouille reflète la richesse ou la pauvreté du
propriétaire. La tombe de Théodosia est l’une des plus
intéressantes de la nécropole. Sur le linteau de la porte
est gravée une croix rouge. Elle est composée de deux
salles, dont la seconde comprend une cavité en forme de
coquillage qui renferme la momie d’une femme surmontée d’une
fresque endommagée. Cela dit, les traces des peintures
colorées sont encore visibles. « Cette fresque représentait
Théodosia, propriétaire de la tombe avec, à droite, la
Vierge Marie et à gauche, saint Colluthos, le patron de la
ville avec son auréole », remarque Pintaudi. Une telle
fresque fait rappel aux gravures des tombes pharaoniques qui
représentaient le défunt entouré de divinités pour le
protéger. Le professeur espère découvrir des tombes
semblables dans les prochaines saisons de fouilles.
D’autre part, l’une des découvertes les plus touchantes de
la mission c’est la momie d’une femme assez particulière.
Entre ses jambes a été trouvée la momie d’un nouveau-né. Il
paraît que cette femme et son bébé « sont morts lors de
l’accouchement. Raison pour laquelle les parents ont préféré
les ensevelir de la sorte », suggère le professeur.
Pour les archéologues, à travers les travaux de fouilles
dans la nécropole nord, on peut avoir une vue plus ou moins
précise des différents aspects de la vie quotidienne du
peuple d’Antinoé qui a vécu vers les débuts de l’âge copte
en Egypte. Tous ces résultats sont la moisson de deux
saisons de fouilles. Les experts attendent autant de
découvertes durant les prochaines années qui aideront à
retracer précisément l’histoire de la cité antique.
Doaa
Elhami
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Un carrefour des siècles
Antinoé,
où opère la mission italienne, a vu se succéder des vestiges
de toutes les époques.
Antinopolus,
Antinoé et enfin Cheikh
Ebada. Ce sont les nominations
d’une même cité, Antinoé. Située
près de la ville de Mallawi,
dans les environs du gouvernorat de
Minya, elle fut installée sur ordre de l’empereur
romain Hadrien en 130, à l’emplacement où son jeune ami
Antinüs s’était noyé dans le
Nil. Une diversité d’appellations qui reflète les multiples
époques que la cité a vues. Antinopolus
ou Antinoé a été une nomination
romaine donnée lors de son établissement. Appellation qui a
été transformée en Cheikh Ebada,
au début de l’époque islamique. C’était le nom du mystique
Ebada Ibn
Assamet qui a décidé d’y demeurer et bâtir sa
mosquée. Et ce, sans oublier les vestiges pharaoniques
découverts par les différentes missions françaises et
italiennes successives, comme par exemple Gayet,
Breccia et
Donadoni qui y ont travaillé au début du XXe siècle,
dans les années 1930 et 70, et récemment celle de l’Institut
de papyrus G. Vitelli, de
l’Université de Florence, présidée par le papyrologue
Rosario Pintaudi, dont les
travaux de fouilles ont commencé depuis seulement quatre
ans.
La capitale sud
« Antinoé est l’unique ville
ancienne, non couverte par une autre nouvelle », renchérit
le papyrologue. Pour lui, cette particularité a offert aux
archéologues une planification intégrale de la ville romaine
avec toutes ses caractéristiques. « On y peut alors voir le
seul hippodrome conservé en Egypte », explique le
professeur. Et ce, sans oublier le temple romain, l’arc de
triomphe et les rues parallèles de la ville qui comprenaient
les colonnes romaines. Autre caractère, d’après
Pintaudi,
Antinoé est pleine de trésors et de secrets
archéologiques grâce à l’épanouissement qu’elle a vécu tout
au long de son histoire dû aux rôles importants qu’elle a
joués dans différents domaines à la fois politique,
économique et commercial. « Celle-ci était la capitale de la
Tébaïde, la province méridionale
au sud du pays », explique le professeur. En même temps, la
ville occupait le centre de la route commerciale qui liait
l’Egypte aux pays de l’est à travers la mer Rouge. Les
habitants prenaient des impôts et des taxes des caravanes
commerciales qui passaient par la ville dont les frontières
sont déterminées grâce aux vestiges d’une grosse muraille de
granit rose. Ces habitants étaient plutôt à la fois des
précepteurs et des gardiens qui protégeaient les frontières.
L’empereur devrait alors assurer la loyauté perpétuelle des
habitants de cette cité en leur donnant
deux privilèges. Tout d’abord, en les exemptant des taxes
imposées sur les autres villes, en plus en leur offrant la
citoyenneté romaine.
Bien que la construction de la ville d’Antinoé
soit liée au nom de l’empereur romain Hadrien, son histoire
est bien plus ancienne. Ceci se voit grâce à l’existence du
temple pharaonique bâti sous le règne du grand conquérant
Ramsès II. Par ailleurs, « il paraît plutôt que la
date de cette cité soit beaucoup plus ancienne, et
précisément à l’époque amarnienne », affirme Gloria
Rosati, membre de la mission. Le
parterre devant le pylône du temple se composait de 50 blocs
talatates dont la date remonte à l’époque d’Akhenaton de la
XVIIIe dynastie. Révélés déjà au cours des années trente par
Sergio Donadoni, ces blocs sont
récemment étudiés et publiés. Pour les archéologues, les
bâtisseurs du temple ont réutilisé ces blocs comme dallage
devant le pylône parce qu’ils existaient déjà sur place ; ou
bien ces derniers se trouvaient auprès de cet endroit. Leur
petit volume et leur poids léger les ont encouragés à
enlever ces blocs polis dans le dallage du parterre devant
le pylône. D’après ces trouvailles, les archéologues
suggèrent que la date de fondation d’Antinoé
remonte à l’époque amarnienne.
Par ailleurs, l’épanouissement de cette ville a survécu
jusqu’à presque la fin de l’époque fatimide.
Antinoé renferme en fait les
vestiges d’une église datée du Ve siècle, sans oublier les
tas de fragments des papyri coptes, et plus de 200 poteries
dont les dates vont du IVe au VIIe
siècles. Reconstituées, ces poteries varient entre
couvercles, assiettes décorées, marmites, casseroles, ainsi
que des pichets de différentes dimensions. Et ce, outre les
lampes, amphores et les figures féminines en céramique qui
ont été réunies.
Cette ville, peu connue pour les citoyens, et qui a vécu
beaucoup d’événements, plusieurs périodes d’épanouissement
et de décadence a pu conserver beaucoup de trésors antiques.
Reste à les exploiter touristiquement en préparant le site à
la visite, sans oublier qu’elle cache beaucoup plus de
secrets qu’il faut dévoiler.
D. E.
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