Subventions.
Le gouvernement peine à mettre en œuvre son intention de les
diminuer, dans un contexte de hausse continuelle du cours
mondial des denrées de base.
Fragile équilibre
Toujours
plus lourde pour le budget de l’Etat, le gouvernement s’est
penché sur la politique des subventions à maintes reprises,
avec la ferme intention de les revoir à la baisse. Le débat
sur la révision des politiques de subvention, lancé il y a
plus de deux semaines, et initié par le président Moubarak,
n’a pas épargné, et ceci pour la première fois, les
subventions à l’aliment de base des Egyptiens : le pain.
La subvention au pain absorbe près de 7,3 milliards de L.E.
durant l’exercice 2007/08. Or, cette somme sera désormais
révisée à la hausse, malgré la décision de l’Etat de baisser
les subventions. Une source du ministère des Finances
explique que cela est dû notamment à la hausse spectaculaire
du prix mondial du blé. Ainsi, vendredi dernier, le Conseil
des ministres a-t-il approuvé la décision de doubler le
montant de la subvention au pain, selon un communiqué de
presse. Une somme exagérée ? L’Egypte, deuxième plus grand
importateur mondial de blé, importe quelque 4,5 millions de
tonnes par an. Or, le prix mondial a dernièrement atteint
350 dollars la tonne, contre 200 dollars un an auparavant.
Cette hausse signifie que la facture des subventions devra
augmenter à presque 11 milliards de L.E.
Il semble donc que le gouvernement sera amené à remettre la
révision du système de subvention à l’année prochaine. La
source du ministère des Finances, qui a préféré l’anonymat,
salue le débat actuel sur la révision de la politique des
subventions. « Un tabou est brisé », a-t-elle déclaré. En
fait, il y a près de 20 ans que le prix de la galette de
pain traditionnelle égyptienne est stable, contre vents et
marées, à cinq piastres.
Le fardeau budgétaire n’est cependant pas la seule cause
pour laquelle le gouvernement appelle à modifier le système
actuel des subventions. C’est aussi parce que les
subventions profitent plus aux riches qu’aux pauvres. Les
chiffres de la Banque mondiale indiquent en effet que le
quart des plus démunis n’ont pas accès au pain subventionné.
En fait, en Egypte, il y a 17 000 boulangeries produisant du
pain subventionné. Elles sont majoritairement situées dans
des zones urbaines, plus ou moins aisées. Lorsque la
subvention au pain a été instaurée dans les années quarante,
elle était allouée à la classe moyenne résidant
majoritairement dans les villes. Les paysans cultivaient
alors leur blé et préparaient leur pain à la maison. Mais
les temps ont changé, les paysans ne cultivent plus de blé,
car c’est devenu trop coûteux, et cherchent donc à acheter
le pain subventionné. A cause de l’absence de boulangeries
et de l’isolement géographique, les Egyptiens sont obligés
de perdre deux heures chaque jour dans de longues queues
pour s’approvisionner en pain. Pire, le ministre de la
Solidarité sociale, Ali Al-Mosselhi, a à maintes reprises
accusé les propriétaires des boulangeries qui revendent au
noir la farine subventionnée, cumulant ainsi d’immenses
profits. Il suffit de savoir qu’ils achètent un sac de
farine à 80 L.E. et le revendent aux restaurants ou à
d’autres boulangeries à plus de 200 L.E. « Il est temps de
se demander qui mérite notre subvention, le citoyen, le
boulanger ou les restaurants ? », a-t-il lancé lors d’une
interview télévisée.
La Banque mondiale, qui conseille de maintenir la subvention
sur le pain, avait alors proposé au gouvernement de séparer
la production de la distribution. Ainsi, chaque boulangerie
devra-t-elle rendre au ministère une quantité déterminée de
pain, d’après la quantité de farine qu’elle reçoit. Le
ministère s’occupe ensuite de la distribution du pain dans
les régions les plus démunies et les plus isolées. Mais
après avoir créé en juin une entreprise pour atteindre cet
objectif, le gouvernement semble tout à coup peu engagé dans
cette voie.
Une aide directe
En revanche, la semaine dernière, le gouvernement a commencé
à plaider pour une autre alternative plus radicale :
L’élimination complète de la subvention de la farine et en
revanche, donner en espèces aux plus démunis l’équivalent de
la subvention au pain. Ainsi, le premier ministre s’est-il
entretenu avec les rédacteurs en chef de journaux
gouvernementaux et de l’opposition pour lancer le débat sur
cette proposition. Pour Ali Al-Mosselhi, cette solution
mettrait fin au marché noir de la farine subventionnée. Par
ailleurs, elle garantirait que la subvention profite
uniquement à ceux qui en ont besoin.
Gouda Abdel-Khaleq, professeur d’économie à l’Université du
Caire, rejette l’idée que le gouvernement remette aux plus
pauvres les subventions en espèces. Selon lui, dans un
contexte d’inflation élevée, ce qui est le cas pour l’Egypte,
l’injection de plus d’argent dans l’économie alimenterait
encore davantage la hausse des prix. De plus, « qu’est-ce
qui garantit que le gouvernement pourra augmenter les
subventions l’année prochaine pour compenser la hausse
continuelle des prix ? ». Par exemple, si une famille mérite
cette année une subvention au pain de 50 L.E. par mois, qui
lui permet d’acheter 200 galettes de pain, et si l’inflation
sur les denrées alimentaires persiste à 20 %, le
gouvernement devra élever la subvention à 60 L.E. l’année
prochaine, pour garantir le même pouvoir d’achat. Gouda
doute que l’Etat puisse compenser ces hausses, et conclut
que la proposition gouvernementale n’est qu’un détour pour
finalement, de fait, « réduire les subventions ».
Par ailleurs, Samir Radwan, rédacteur en chef du Rapport
annuel de la compétitivité de l’économie égyptienne, appelle
le gouvernement à profiter de la toute récente carte
géographique de la pauvreté, élaborée en juin 2007 par le
ministère du Développement économique et la Banque mondiale,
afin de redessiner la carte des subventions. Cette carte
précise en effet la localisation des 1 000 villages les plus
pauvres et aussi les 200 quartiers les plus démunis des
régions urbaines.
Il semble donc qu’une révision de la politique des
subventions immédiate est délicate. Le risque d’une grogne
sociale est grand. Et comme le note Radwan, la subvention au
pain, en dépit de ses défauts actuels, « a sauvé 7 % de la
population de tomber en dessous du seuil de pauvreté ».
Salma
Hussein