Liban.
Pour la troisième fois, les députés ont reporté l’élection
du président. Ils se sont donné une ultime chance à trois
jours de l’expiration du mandat présidentiel.
Course contre la montre
Majorité et opposition sont cette fois-ci condamnées à
réussir. Elles n’ont plus droit à l’erreur, au risque de
plonger le pays du Cèdre dans une crise politique profonde
aux conséquences imprévisibles.
Faisant le constat de leur persistant désaccord, les députés
ont pour la troisième fois reporté l’élection du président
de la République, désormais fixée au 21 novembre, trois
jours avant la fin du mandat présidentiel, pour donner plus
de chances à un compromis entre opposition et majorité et
éviter un vide politique. Les divergences restent profondes
entre la majorité parlementaire antisyrienne, dirigée par
Saad Hariri et soutenue par l’Occident, et l’opposition
menée par le Hezbollah chiite, qui n’arrivent pas, malgré la
médiation internationale, à se mettre d’accord sur un
successeur au prosyrien Emile Lahoud.
Le secrétariat général du Parlement libanais, qui a annoncé
le report de l’élection, a cependant indiqué que le
président du Parlement, Nabih Berri, un ténor de
l’opposition soutenue par Damas, et Saad Hariri ont, dans
une ultime tentative de médiation, demandé au patriarche
maronite Nasrallah Sfeir de « rassembler les principaux
leaders maronites en vue de parvenir à établir une liste de
candidats consensuels à la présidence ». « Nous appuyons
avec force cette initiative afin que nous puissions tous
choisir un président consensuel parmi cette liste », ont-ils
affirmé. Le président doit être issu de la communauté
maronite, la plus puissante communauté chrétienne au Liban.
Le blocage entre majorité et opposition est tel que les
responsables libanais s’attendaient au report de la séance
parlementaire, qui devait avoir lieu lundi dernier, après
l’ajournement des deux précédentes sessions, les 25
septembre et 23 octobre. Selon Antoine Nasrallah,
porte-parole du Courant Patriotique Libre (CPL) de Michel
Aoun, chef de l’opposition chrétienne et candidat à la
présidence, « le report est intervenu après un accord entre
Berri et Hariri. C’est normal, car jusqu’à présent nous
n’avons pas de consensus. Nous espérons qu’il y en aura un
d’ici le 21 novembre ». Pour le député Boutros Harb, l’un
des candidats de la majorité à la présidence, « il s’agit
d’un sursis, d’une prolongation des efforts qui doivent
mener à une entente ». « Si ça n’avait pas été fait, cela
aurait déclenché l’affrontement. Nous allons faire tout ce
que nous pouvons pour (...) trouver une formule de compromis
», a-t-il affirmé. Pour sa part, le député du Hezbollah
Mohammad Haidar avait affirmé dans la matinée que « ces deux
derniers jours, le sentiment d’optimisme (s’était) renforcé,
par opposition au climat qui régnait la semaine dernière ».
« Et ce qui nous rend optimistes, ce sont les efforts
déployés par des parties régionales et internationales pour
éviter que le pays ne plonge dans l’inconnu », avait-il
ajouté.
Le Liban est secoué par une grave crise politique depuis la
démission de six ministres du gouvernement de Fouad Siniora
le 11 novembre 2006. Depuis, le gouvernement est totalement
paralysé, l’opposition menée par le Hezbollah chiite
réclamant une part plus importante du pouvoir.
La majorité insiste pour que le président soit issu de son
camp ou du moins qu’il ne soit pas inféodé à la Syrie,
ancienne puissance de tutelle au Liban. Elle affirme qu’en
l’absence d’accord, ses députés pourront élire un président
à la majorité simple entre le 14 et le 24 novembre, période
durant laquelle ils pourront se réunir sans avoir été
convoqués par M. Berri. L’opposition met en garde contre
l’élection d’un candidat qui ne serait pas « consensuel »,
brandissant la menace de créer un gouvernement rival. Elle
juge nécessaire de réunir un quorum de deux tiers des
députés et soutient que tout président élu sans ce quorum
sera « illégitime ». C’est ainsi que le chef du Hezbollah
chiite, Hassan Nasrallah, a affirmé dimanche que tout
président libanais élu sans consensus entre la majorité
antisyrienne et l’opposition, dont il est le chef de file,
serait un « usurpateur ». « Tout président élu à la majorité
simple (...) ne sera pas reconnu par l’opposition, qui le
considérera comme un usurpateur et un imposteur », a déclaré
Hassan Nasrallah. « L’élection d’un président à la majorité
simple et le maintien d’un gouvernement illégitime seront
pires que le vide politique », a assuré Nasrallah.
L’opposition et le président actuel considèrent comme «
illégitime » le gouvernement de Fouad Siniora depuis la
démission il y a un an de six ministres, dont cinq chiites.
Le secrétaire général du Hezbollah a lancé un appel à Emile
Lahoud pour qu’il prenne « une mesure de salut national en
vue d’empêcher le pays de sombrer dans le vide », sans
préciser la teneur de cette initiative. Emile Lahoud avait
annoncé, fin août, qu’il envisageait de nommer le chef de
l’armée à la tête d’un gouvernement provisoire si la
majorité et l’opposition ne parvenaient pas à un compromis.
Depuis, l’opposition brandit la menace d’un gouvernement
rival, un scénario identique à celui qu’a connu le Liban aux
dernières années de la guerre civile (1975-1990).
En l’absence d’un consensus entre majorité et opposition,
beaucoup au Liban et à l’étranger redoutent un nouvel
assassinat politique pour empêcher l’élection, comme ceux
dont ont été victimes depuis 2005 des personnalités
antisyriennes, dans lesquels Damas est soupçonné d’être
impliqué. Dans le dernier attentat en date, le 19 septembre,
le député antisyrien Antoine Ghanem a été tué aux côtés de
cinq autres personnes. C’est pour cette raison que les
pressions internationales se focalisent sur la Syrie,
ancienne puissance de tutelle au Liban, pour qu’elle
facilite la tenue de l’élection. Jeudi dernier, les
Etats-Unis ont fait savoir, à l’adresse de Damas, qu’ils «
recourront à tous les moyens pour soutenir ceux qui veulent
avoir une élection décente, juste et transparente ». Le 4
novembre à Damas, le secrétaire général de l’Elysée, Claude
Guéant, émissaire du président français Nicolas Sarkozy,
avait transmis au président syrien Bachar Al-Assad un
message de fermeté : le Liban doit élire un président par
ses propres moyens, sans intervention étrangère. Lors d’une
réunion à Istanbul la semaine dernière, Washington et Paris,
mais aussi l’Egypte, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes
unis, la Jordanie et la Ligue arabe ont mis la pression sur
Damas, affirmant que « l’ingérence et l’intimidation dans le
processus électoral (libanais) n’étaient pas acceptables ».
Les pressions internationales s’exercent aussi sur les
protagonistes libanais. Lundi, le ministre français des
Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s’est rendu à
Beyrouth pour une ultime médiation entre les parties
concernées. Il sera suivi par son homologue italien, Massimo
D’Alema, et le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr
Moussa .
Hicham Mourad