Le doyen des archéologues arabes,
Ali Radwane, vient d’être nommé membre du comité de
préservation de l’héritage international de l’Unesco. Un
poste couronnant quelque 40 ans de carrière.
Inlassable creuseur
A peine arrivé au Conseil suprême des Antiquités, on est là,
à le saluer, lui rendre service ... L’accueil est
chaleureux, témoignant du respect au doyen des archéologues,
Ali Radwane. Puis, dans le bureau du chef des antiquités
égyptiennes, Zahi Hawas, un secrétaire le reçoit
cordialement : « Vous êtes le bienvenu, il n’a pas de
visiteurs ». Hawas a été l’un de ses disciples dans le
temps, et aujourd’hui un vrai ami. L’accueil est suivi de
grandes félicitations, puisque Radwane vient de devenir
membre du comité de préservation de l’héritage international
auprès de l’Unesco. « Le comité regroupe 21 pays, lesquels
œuvrent pour la protection des sites archéologiques de par
le monde. C’est un des plus anciens comités de l’Unesco, qui
date de 1976. La qualité de membre est un honneur, non pas
pour la personne, mais pour le pays. C’est pour cela que
j’étais au comble de ma joie le jour des résultats. Je serai
là pour représenter l’Egypte et le monde arabe », dit-il,
évoquant le bonheur qu’il a connu ces derniers jours.
Pendant plus de quarante ans, il a bâti sa réputation
d’homme très direct, clairvoyant, qui ne vise que le bien de
son pays. Archéologue et professeur d’égyptologie, il
n’hésite pas à rouler des yeux furibonds quand le patrimoine
égyptien est en danger. Il s’attaquera fermement et
farouchement aux plus hauts responsables. Ainsi, s’est-il
opposé au projet du ministre de la Culture visant à déplacer
le Musée d’art islamique. Ces derniers temps, d’aucuns lui
ont reproché de se joindre à la cohorte gouvernementale et
d’adhérer aux mêmes points de vue que le ministre de la
Culture et les maîtres archéologues. La presse n’a pas
manqué de s’attaquer à Ali Radwane. Mais sur un ton calme et
posé, il explique : « Dans le domaine archéologique, ce qui
compte pour moi, c’est de préserver les sites historiques de
mon pays. Autrefois, je m’opposais directement à une
question ou un point de vue incorrect en tant qu’homme ayant
une grande expérience dans ce domaine. Mais quand l’action
des responsables n’est pas sans promouvoir ce domaine, je
n’ai pas de quoi me plaindre, notamment avec la présence de
quelqu’un comme Zahi Hawas, à la tête du Conseil suprême des
antiquités. En plus, étant membre de ce conseil, j’ai le
droit d’intervenir et de stopper n’importe quel projet que
je juge douteux ou inutile ».
Avec un visage sculpté, aux traits sévères, Radwane a l’air
d’un descendant des pharaons. Dès son plus tendre âge, il a
éprouvé de la passion pour le passé et l’Histoire. « Je suis
originaire de la ville d’Al-Tell Al-Kébir (dans le Delta).
Ma grand-mère a vécu jusqu’à l’âge de 100 ans. Elle me
racontait souvent des faits réels et des histoires qu’elle a
vécues. Elle me narrait par exemple les faits de la bataille
d’Al-Tell Al-Kébir menée par le leader patriotique Ahmad
Orabi. Avec une grande fierté, elle me décrivait ce leader
et me montrait le lieu de la bataille, situé à quelques
mètres de notre maison. Elle me racontait la gloire de son
village », évoque-t-il. Ces histoires éveillaient sa
curiosité d’enfant. Il adorait écouter les événements de
jadis comme dans un conte de fée.
Durant le cycle secondaire, l’adolescent se penchait sur
l’histoire de l’Egypte ancienne et rêvait d’être un jour un
inspecteur d’archéologie. « En première année secondaire, on
étudiait un livre d’Histoire rédigé par l’Américain James
Henry Breasted, un grand historien de la fin du XIXe et
début du XXe siècle, traduit par le célèbre archéologue
égyptien Ahmad Fakhri. Ce dernier a choisi d’écrire une
introduction où il racontait l’histoire de sa vie en tant
qu’archéologue. Il décrivait son travail d’inspecteur des
antiquités dans les années 1930 et sa rencontre avec ce
grand historien américain … J’étais alors ravi de ce métier,
fasciné par la carrière d’Ahmad Fakhri », raconte-t-il.
Ses parents s’attendaient à avoir un fils ingénieur ou
médecin, et pas vraiment archéologue. Son oncle lui a imposé
de passer un bac scientifique, mais discrètement, Radwane a
choisi de faire lettres. Parce que tout simplement, il
cherchait encore l’Histoire et les contes des faits réels.
Ensuite, il s’est joint à la faculté des lettres, section
anglaise, et le rêve d’archéologue s’est éteint.
Le hasard a joué son tour lorsqu’il rencontra un ancien ami
du département d’archéologie. Avide de mieux comprendre de
quoi il en retournait, Radwane a suivi son ami et assisté à
un cours donné par le professeur d’égyptologie Ahmad
Abou-Bakr. « J’étais charmé par ce cours. Le lendemain, j’y
voyais plus clair. Je voulais étudier l’archéologie, il n’y
avait pas de doute là-dessus. Mon rêve pouvait devenir
réalité …Cela est un jeu de fatalité », sourit-il. Certains
lui ont quand même fait des reproches : « Comment quitter le
département d’anglais ? Quel avenir avec l’archéologie ? »
...
Dès lors, il s’est adonné à son Egypte et son Histoire. «
Mon travail consiste à préserver notre identité face aux
défis de la mondialisation. L’archéologie n’étant que notre
Histoire à tous, notre culture. De quoi approfondir la
conscience patriotique du peuple », dit-il.
Son diplôme en poche, le jeune archéologue de 21 ans cherche
alors un travail. Il postule pour être commentateur à la
télévision, mais est vite embauché comme inspecteur
d’archéologie dans les gouvernorats du Fayoum et de
Béni-Souef. Un premier défi professionnel. « A l’époque
nassérienne, des individus voulaient s’emparer des terrains
de Kiman Farès au Fayoum pour construire des bidonvilles.
Pour eux, ces terres n’appartenaient à personne. Mais en
fait, c’était un site antique. J’ai eu donc recours à des
appareils de mesures, j’ai effectué quelques fouilles et
découvert des bains gréco-romains. Ensuite, j’ai déclaré ces
terrains comme sites archéologiques. A l’époque, je
travaillais seul avec le secrétaire Tewfiq effendi et les
vigiles, cependant j’ai réussi à faire cesser les menaces
des personnes mal intentionnées ». Une mission appréciée par
ses chefs et le gouverneur du Fayoum.
En dépit de cette passion vouée à l’archéologie, Ali Radwane
a dû s’en éloigner pendant un moment, le temps de remplir
des fonctions d’attaché culturel à l’étranger. Mais
rapidement, le destin a dicté sa loi : Radwane est ensuite
nommé professeur d’archéologie à l’Université d’Assiout et
obtient une bourse de cinq ans pour étudier l’égyptologie en
Allemagne. « J’ai été ébloui par l’ordre et l’efficacité de
ce pays. Les Allemands sont passionnés d’égyptologie,
considérant que ce n’est pas uniquement l’histoire d’un
pays, mais de toute l’humanité », dit-il.
Durant ses années de boursier, Radwane a connu Ingeborg, sa
future femme, qui s’est intéressée à lui autant qu’à
l’égyptologie. « C’est en demandant sa main qu’elle m’a
dévoilé ses origines nobles. J’ai épousé la baronne de
Campen House. De plein gré, elle a quitté son pays, son
titre et sa famille pour venir avec moi en Egypte et fonder
une famille », confie–t-il avec beaucoup de gratitude,
ajoutant : « Je sais qu’en Egypte je représente pour elle
toute sa famille, mais elle comprend l’importance de mon
travail et sait qu’il s’empare de tout mon temps. Elle ne se
plaint jamais ».
Radwane a enseigné à Minya, Assiout, Fayoum et fondé avec
d’autres professeurs, dans les années 1970, la faculté
d’archéologie de l’Université du Caire. Il a aussi été
retenu par l’Unesco en 1972 pour rédiger un livre sur les
récipients en cuivre et en bronze dans l’Egypte pharaonique.
Une tâche qui lui a pris 10 ans de recherches.
Radwane a également découvert la barque funéraire de la
cinquième dynastie d’Abou-Sir. Il raconte : « Après de
longues études, j’ai remarqué que les textes pharaoniques
citent souvent cinq temples du soleil dans cette région d’Abou-Sir.
Or, on n’en avait répertorié que deux. En 1992, au nom de
l’Université du Caire, j’ai donc fait des fouilles et
découvert un cimetière de l’époque du roi Mina, où j’ai
trouvé la barque funéraire ». Radwane s’est investi dans
cette découverte avant d’arrêter les fouilles, préférant se
consacrer à la publication.
Pourtant, il est toujours heureux de contribuer à la
création de l’Histoire. « Une découverte ou une excavation
change l’Histoire et révèle d’autres faits. Pour nous les
archéologues, l’Histoire se renouvelle sans cesse ».
Inspecteur d’archéologie, professeur d’égyptologie,
chercheur, doyen de la faculté d’archéologie, auteur de
nombreux articles sur des découvertes archéologiques, membre
de l’Union des archéologues arabes et aujourd’hui chef de
l’union à vie … les postes se multiplient, et son agenda
demeure surchargé … Mais il trouve le temps d’élaborer des
manuels scolaires d’Histoire, se focalisant sur l’époque
pharaonique, enseignée en cycles primaire et préparatoire. «
Ce n’est pas un travail inférieur ou une corvée, c’est un
honneur, un devoir patriotique », juge-t-il.
En plus, il suit de près les diplômés de l’école du Musée
égyptien et supervise les jeunes chercheurs. C’est le
parcours qu’il a choisi, il en est plus que satisfait.
May
Sélim