Al-Ahram Hebdo, Visages | Juliana Lumumba , Au nom de l’Afrique
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 3 au 9 Octobre 2007, numéro 682

 

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Visages

Née au Congo, enfance passée en Egypte, Juliana Lumumba est la fille d’un héros de l’indépendance africaine. Elle incarne la cohérence du continent noir, malgré les différences ethniques et culturelles. 

Au nom de l’Afrique 

« Vous avez un père noir et un autre blanc ? Une mère noire et une autre blanche ? ». Une question que la petite Juliana a souvent posée à ses camarades durant son enfance. Une question qui reflète aussi la naïveté de l’enfant qu’elle était, résume profondément le regard qu’elle porte sur sa vie « exceptionnelle » : une Congolaise ayant vécu et grandi au sein d’une famille égyptienne.

L’histoire a commencé en 1961, lorsque le palais présidentiel où vivait le militant congolais Patrice Lumumba avec sa famille a été assiégé par les forces des Nations-Unies. Car son père a été le premier à comprendre que la seule force permettant à son pays d’accéder à son indépendance était celle des masses opprimées ; il a su les réunir autour de lui pour s’arracher la liberté. Cela est, il était devenu l’homme le plus populaire au Congo et le plus détesté en Belgique. « L’ambassadeur d’Egypte au Congo à l’époque, Mohamad Ibrahim Kamel, a proposé à mon père un plan bien défini pour quitter le pays vers l’Egypte, mes frères et moi. Ce plan a été exécuté sous la supervision du président Nasser. Et le conseiller Abdel-Aziz Ishaq, qui travaillait à l’époque à l’ambassade égyptienne, nous a octroyé des passeports avec des noms égyptiens, indiquant même que nous étions ses enfants », raconte Juliana Lumumba, les yeux luisants.

Quelques jours après, Lumumba fut assassiné, et son cadavre disparut à jamais. « Tshombé, le premier ministre congolais, et Mobutu Sese Seko, le commandant en chef de l’armée, étaient impliqués dans l’affaire, de connivence avec la Belgique, les Etats-Unis et même les Nations-Unies ... C’étaient des moments très durs et des incidents dramatiques dont je n’aime pas beaucoup parler », commente-t-elle sur un ton ferme qui n’est pas sans refléter une forte personnalité apte à contrôler ses émotions.

Agée de cinq ans, Juliana est arrivée au Caire pour s’installer avec ses quatre frères chez Abdel-Aziz Ishaq. « Nous n’avons pas vécu en tant qu’étrangers à qui il apporte son aide, mais plutôt en tant que membres d’une même famille. Ishaq est devenu notre père, sa femme Zizi notre mère et leur fille Chams notre sœur », souligne Juliana tout simplement. Or, il demeure toujours difficile d’appréhender comment « une Congolaise », donc « une chrétienne dont la langue maternelle est le français », peut s’adapter et vivre dans une famille « égyptienne » et « musulmane » avec tout ce que cela implique, sans vraiment passer par une crise d’identité. « Tout le monde avait vécu à un certain moment de sa vie une crise identitaire, surtout pendant l’adolescence. Mais, je ne peux pas dire que j’ai subi une crise d’identité au vrai sens du terme. Par contre, j’ai connu un métissage culturel qui m’a beaucoup enrichie. Cela m’a rendue plus ouverte sur le monde, plus tolérante et capable de comprendre la différence, de la respecter ».

Elle se souvient encore des jours où « sa mère égyptienne » les accompagnait, elle et ses frères, à la messe du dimanche et des jours où ils fêtaient tous Noël avec leurs amis.

D’ailleurs, encore élève, elle était surprise de la réaction de certaines copines à l’école Notre-Dame des apôtres, lorsqu’elle prononçait un mot familier en égyptien. « Ce sont les autres qui avaient toujours un regard étonné sur moi. Plutôt un regard sympathique qu’hostile. Je suis congolaise autant qu’égyptienne : je suis africaine ».

Fille d’un héros du continent noir, elle se confirme via une identité africaine. Elle qui a tant combattu pour sortir de la mentalité de l’exilée, pour se retrouver, et « surtout garder la mémoire de son père ». « Le dernier mot que mon père nous avait dit : vous allez partir en Egypte pour étudier ... mais, il faut rentrer un jour ou l’autre, il faut que le pays en profite », se rappelle-t-elle.

Le testament du père est inscrit dans le cœur de la fille. Etudier pour être la meilleure et soutenir son pays, telle était sa devise. Mais, quel pays ? Le Congo ? l’Egypte ? « Le Congo, l’Egypte, toute l’Afrique ».

Ainsi, Juliana a-t-elle décidé de poursuivre ses études universitaires en sciences politiques à Paris. « Les premières années étaient difficiles. J’ai vécu une nouvelle rupture, mais cette fois-ci avec ma famille égyptienne. J’avais à affronter le monde réel. Je vivais dans un cocon, et j’ai connu une vie privilégiée et protégée : J’avais un chauffeur, un garde personnel. On a mené, mes frères et moi, une vie digne des enfants d’un président. Du jour au lendemain, je devais payer la facture d’électricité, de téléphone, etc. Personne n’était là pour m’aider comme ce fut le cas en Egypte. En Europe, on se sent vraiment étranger, on se rappelle toujours qu’on est différent. Mon sens de la responsabilité et de la persévérance s’est nettement développé grâce à cette expérience ». Toujours guidée par le sentiment de vouloir être la meilleure, Juliana Lumumba a poursuivi ses études supérieures et a travaillé pendant quelques années comme journaliste. Ensuite, elle a décidé de réaliser le testament de son père et de rentrer chez elle : au Congo. C’était un jour inoubliable. « J’ai vu une masse de gens sur le quai, portant des pancartes et des mouchoirs blancs ... et j’ai été surprise de savoir que tous ces gens étaient là pour moi ! ». Enthousiasmée, elle s’est lancée à bras ouverts à plusieurs carrières : journaliste, ensuite vice-ministre de l’Information, puis ministre de l’Information et de la Culture, et après la séparation des deux ministères, elle a été nommée ministre de la Culture.

Elle avait franchi également le seuil du secteur privé en fondant une entreprise de publicité qui prenait en charge l’organisation des campagnes électorales ... Tout ce potentiel extraordinaire nous induit à s’interroger sur les raisons motivantes : Est-ce un désir de venger son père, de quêter une compensation ? « Absolument pas. Notre mère nous a appris que la vengeance est issue  de la haine et n’engage que la destruction. C’est plutôt un désir d’accomplir ce que mon père n’a pas pu accomplir ... Il est mort pour ses principes et je me souviens toujours de ses phrases écrites dans sa dernière lettre adressée à ma mère : l’avenir du Congo est beau, j’attends de mes enfants ce que j’attends de chaque Congolais : accomplir la mission sacrée de reconstruire le pays ». Mission accomplie ? « Ce n’est pas une tâche héroïque, il faut toujours faire de son mieux ... Nous avons besoin d’être concernés par ce qu’on fait, de casser les barrières et d’être sûrs que personne ne va travailler à notre place ».

Grâce à son pragmatisme et ses relations, Juliana Lumumba est élue secrétaire générale de l’Union africaine des Chambres de commerce, de l’industrie, de l’agriculture et des métiers. Un poste, basé en Egypte, qui va la placer face à plusieurs problèmes entravant l’épanouissement économique du continent noir avec en tête la corruption. « On doit ici, de prime abord, se débarrasser du complexe de l’étranger », dit-elle en dialectal égyptien parfait, ajoutant : « Nous devons profiter des ressources humaines inexploitées, faciliter le transfert de la technologie, l’échange des expertises, résoudre les problèmes du transport terrestre, aérien et maritime entre les pays du continent et mettre fin au manque d’informations. Cela en montant un réseau de communication rassemblant tous les pays africains, avec une liste des produits de chaque pays en indiquant les quantités, les qualités, les prix, les procédures d’investissement, etc. afin de réaliser une vraie complémentarité qui débouchera sans doute sur un développement au sein du continent ». Apparemment, Juliana Lumumba restera à jamais habitée par son Afrique, comme par le testament de son père. Ainsi, Jean-Paul Sartre avait-il raison de citer : « Avec sa mort, Lumumba a cessé d’être une personne. Il est devenu toute l’Afrique ». Tel père, telle fille.

Lamiaa Al-Sadaty

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Jalons 

1961 : Arrivée au Caire.

1983 : Magistère en sciences politiques de l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris.

1987-1988 : Journaliste au bureau d’Al-Ahram à Paris.

1994 : Retour au Congo.

1998-2001 : Ministre de la Culture.

2007 : Secrétaire générale de la Chambre africaine de commerce, de l’industrie, de l’agriculture et des métiers, basée au Caire.

 

 




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