Ard al-léwa.
Quelque 40 000 cochons sont élevés pour ingurgiter les
ordures récoltées par les éboueurs de ce quartier du Caire.
La pire des insalubrités y règne.
Les porcheries indélogeables
Pour
se débarrasser des ordures collectées, les éboueurs du
quartier d’Ard Al-Léwa au Caire ont trouvé la solution :
utiliser des cochons, réputés pour se nourrir de tout et
n’importe quoi.
Autour des nombreuses porcheries à ciel ouvert sont
installés les habitants de Ard Al-Léwa dont beaucoup sont
venus des provinces pour gagner leur vie dans la collecte
d’ordures. L’odeur y est suffocante, la saleté et la
pollution sont reines. Les mouches, les insectes et les
souris sont partout. « Notre quartier n’intéresse personne,
comme si Ard Al-Léwa ne figurait pas sur la carte du Caire
», dénonce Oum Amer qui, comme toutes ses voisines, jette
ses poubelles par-dessus la fenêtre, dans une zériba. « Mes
enfants sont tombés malades à cause de ces déchets qui ont
envahi le quartier. C’est vraiment la misère et je ne sais
pas quoi faire », se plaint de son côté Mohamad Abdel-Qader,
qui, en marchant, prend soin de soulever sa galabiya pour ne
pas la souiller des immondices au sol.
L’odeur, la propagation des insectes et autres bactéries et
donc des maladies ne sont que quelques exemples de la
situation environnementale dégradée dans le quartier. Depuis
l’apparition de la grippe aviaire en Egypte et les arguments
selon lesquels les cochons peuvent transmettre cette maladie
à l’homme, la situation s’est aggravée. « Il est bien connu
que le cochon peut devenir un moyen de transmission d’un
nouveau virus à l’homme. Le cochon possède, en effet, des
récepteurs de virus aviaires et de virus humains. Si un
cochon était contaminé par le virus H5N1 et par un virus
humain, il pourrait devenir une nouvelle souche virale
susceptible de déclencher une pandémie », note le Dr Soliman
Mohamad Soliman, vétérinaire à l’Université du Caire. Il
ajoute que 250 maladies peuvent être transmises de l’animal
à l’homme et vice-versa, parmi lesquelles la tuberculose, la
peste et les maladies pulmonaires qui sont surtout liées à
une urbanisation non planifiée. De plus en plus de bactéries
infectieuses développent une résistance aux médicaments à
cause des produits chimiques et antibiotiques présents dans
les déchets des animaux de ferme, notamment les cochons. Les
habitants d’Ard Al-Léwa vivent donc une catastrophe
écologique. Mais jusqu’à quand ?
Manque d’infrastructures
Les
responsables affirment vouloir transférer toutes les
porcheries d’Ard Al-Léwa vers d’autres lieux retirés, loin
des agglomérations urbaines, conformément à la loi sur
l’environnement numéro 4 de l’année 1994. Deux décisions ont
été prises par le gouverneur de Guiza pour mettre fin à ce
cauchemar écologique : la 1re décision, prise en 2005,
stipulait le transfert des zéribas d’Ard Al-Léwa vers Wadi
Gandali, sur la route reliant Qattamiya à Aïn-Sokhna
(sud-est du Caire). La 2e décision date de 2006 et visait à
les transférer encore plus loin sur la route occidentale des
oasis de Jabal Al-Chib. « Pour mener à bien ce projet, nous
avons consacré une somme de 20 millions de L.E. Et nous nous
sommes mis d’accord avec les propriétaires des porcheries »,
déclare Amin Khayal, directeur général de la gestion des
déchets au sein de l’Agence Egyptienne pour les Affaires de
l’Environnement (AEAE). Mais les deux décisions sont restées
lettre morte en raison du manque d’infrastructures
(logement, eau, électricité) des nouveaux lieux désignés. En
effet, les éleveurs de cochons habitent avec leurs familles
à Ard Al-Léwa depuis des générations. « Nos porcheries sont
à deux pas de nos foyers. A quelques pas aussi se trouve
l’abattoir. La situation dans les nouveaux lieux ne sera
jamais la même. Il faudra faire un très long trajet pour
arriver à l’abattoir, et cela nous coûtera cher en frais de
transport, sans compter le temps passé dans les
embouteillages », note un propriétaire de zériba.
Face au refus des propriétaires des porcheries de quitter
les lieux et compte tenu des conditions de vie insalubres
des habitants de Ard Al-Léwa, reste une seule solution : le
recours à la force. Une option difficile à appliquer
puisqu’elle ferait des milliers de sans-logement.
De quoi
faire place à la résignation.
Manar
Attiya